Alassane Ouattara, l'économiste devenu maître du jeu politique en Côte d'Ivoire

Économiste, opposant puis président: Alassane Ouattara, 83 ans, est le grand favori de la présidentielle de samedi pour un quatrième mandat à la tête de la Côte d'Ivoire, qu'il gouverne depuis 2011, au risque d'être accusé de confisquer le pouvoir par ses détracteurs.

La justice ayant écarté les deux principaux leaders d'opposition, l'ancien président Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, Alassane Ouattara vise une victoire au premier tour.

Il a longtemps entretenu le suspense sur sa candidature avant de se lancer dans la bataille fin juillet "par devoir", assurant que sa "santé le permet".

Pour le prouver, il a mené ces derniers jours une campagne de terrain, avec meetings et rencontres à Daloa (centre-ouest), Bondoukou (est), Yamoussoukro (centre) et Abidjan, où il est apparu en bonne forme.

- "Candidat naturel" -

Dans ses discours, souvent concis, il promet de "faire plus", tout en mettant en avant son bilan à la tête d'une Côte d'Ivoire aux infrastructures transformées.

Leader incontesté de la majorité, ses partisans le qualifient de candidat "naturel", quand l'opposition l'accuse de "dérives autoritaires" et de choisir ses adversaires. Ces derniers jours, près de 700 personnes ont été arrêtées lors de manifestations de l'opposition dénonçant les exclusions de candidats, selon le gouvernement.

Alassane Dramane Ouattara (ADO) a longtemps tourné autour du pouvoir. Après une longue carrière au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (Bceao), il est appelé pour être Premier ministre en 1990 par le "père" de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny (1960-1993).

Né à Dimbokro en 1942, dans le centre de la Côte d'Ivoire, ce musulman malinké (ethnie du nord) marié à une Française chrétienne a accompli la majeure partie de sa scolarité au Burkina Faso voisin et a longtemps été désigné comme un Burkinabè.

A la mort d'Houphouët-Boigny, en 1993, sa nationalité ivoirienne est remise en doute par les tenants de l'idéologie xénophobe de "l'ivoirité".

En 2000, sa candidature à la présidentielle est rejetée pour "nationalité douteuse", puis la Côte d'Ivoire bascule deux ans plus tard dans une profonde crise politique qui coupe le pays en deux pendant quasiment une décennie.

Les partisans de M. Ouattara soutiennent une rébellion et contrôlent le Nord face au pouvoir du président Laurent Gbagbo (2000-2011) qui tient le Sud.

La crise atteint son paroxysme lors de la présidentielle de 2010: cette fois M. Ouattara peut participer et l'emporte. La victoire est contestée par M. Gbagbo et la Côte d'Ivoire s'enfonce dans des mois de violences, qui feront plus de 3.000 morts.

Soutenu par la France, le camp Ouattara finit par s'imposer et Laurent Gbagbo est arrêté.

- Infrastructures et inégalités -

Devenu président, ce libéral francophile, adoubé par la communauté internationale, parvient à séduire les investisseurs qui reviennent rapidement en Côte d'Ivoire, où beaucoup est à reconstruire.

Si son bilan de bâtisseur est un point fort incontestable, les inégalités restent importantes, tout comme la corruption, et ses détracteurs lui reprochent un endettement incontrôlé (autour de 60% du PIB), ainsi que de profondes lacunes dans l'éducation et la santé publique.

Pendant son troisième mandat, Alassane Ouattara a aussi vu la situation sécuritaire au Sahel se dégrader.

La Côte d'Ivoire doit désormais composer avec des voisins dirigés par des juntes militaires qui lui sont hostiles - en particulier le Burkina Faso - et dont les territoires sont infestés de jihadistes. Une menace qu'elle réussit pour l'heure à endiguer.

"L'Afrique a très peu de dirigeants comme Ouattara. Il a l'expérience, la sérénité, la connaissance du monde, c'est un interlocuteur essentiel dans la région", assure un proche du président.

Sur le volet de la réconciliation, peu de partisans du camp Ouattara ont été jugés pour les crimes de la crise de 2010-2011, mais après son acquittement définitif par la justice internationale, Laurent Gbagbo a pu rentrer en Côte d'Ivoire en 2021 et a été gracié.

Dans le jeu politique, le technocrate Ouattara est devenu celui qui dicte le tempo, mais il n'ira pas jusqu'à amnistier son vieux rival, le laissant ainsi hors course pour la présidentielle de 2025.

"Si on ne laisse pas aux autres la capacité de se battre pour être au pouvoir, ce n'est plus la démocratie", tance Laurent Gbagbo.

Réélu en 2015 avec 83% et en 2020 avec plus de 94% des voix, après une révision contestée de la Constitution, Alassane Ouattara se dirige vers un nouveau score fleuve.

En 2020, il avait dit vouloir passer la main. Mais le décès de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly, l'avait poussé à rempiler pour une élection qui sera marquée par des violences faisant 85 morts.

Depuis, Alassane Ouattara a souvent répété qu'il avait "une demi-douzaine de successeurs potentiels". Ils vont devoir attendre encore quelques années.

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