13.04.14 - RWANDA/GÉNOCIDE - BILAN EN DEMI-TEINTE DE LA JUSTICE LIÉE AU GÉNOCIDE DES TUTSIS, SELON UNE CHERCHEUSE DE HUMAN RIGHTS WATCH

Lausanne, 13 avril 2014 – Vingt ans après le génocide, quel est le bilan des procédures judiciaires engagées devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), les juridictions rwandaises et celles d’autres pays ? Carina Tertsakian, chercheuse  principale sur le Rwanda pour Human Rights Watch (HRW) salue des avancées significatives mais déplore aussi des lacunes.

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Hirondelle: Quel bilan dressez-vous de l’activité du TPIR, 20 ans après le génocide? Tertsakian: Le TPIR ne devait juger qu’un petit nombre de personnes : principalement celles qui ont joué un rôle de leader dans le génocide. Dans une certaine mesure, il a réussi à le faire. Il a jugé 75 personnes, dont 49 condamnées, parmi lesquelles plusieurs personnalités de haut niveau, comme le Premier ministre Jean Kambanda, l’ancien chef d’état-major (de l’armée) le général Augustin Bizimungu et l’ancien directeur de cabinet au ministère de la Défense, le colonel Théoneste Bagosora.Le TPIR a rempli sa mission, dans une certaine mesure, en ce qui concerne les principaux responsables présumés du génocide au Rwanda.Le TPIR a également créé une importante jurisprudence en reconnaissant le viol comme élément constitutif du crime de génocide dans le procès de l’ancien bourgmestre (maire) Jean-Paul Akayesu. Hirondelle: Le Tribunal a-t-il contribué à la réconciliation de la société rwandaise ? Tertsakian : Le TPIR ne s’est pas acquitté de la partie de son mandat relative aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par le FPR (Front patriotique rwandais, ancienne rébellion aujourd’hui au pouvoir, NDLR). Les troupes du FPR ont tué des dizaines de milliers de civils lorsqu’elles ont pris le pays en 1994. Ces tueries n’étaient pas équivalentes ou comparables au génocide mais nombre d’elles constituaient des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ces crimes rentraient bien dans le mandat du TPIR, mais le TPIR n’a pas jugé une seule affaire concernant le FPR.Le résultat est que cela a créé  chez certains Rwandais et des observateurs internationaux de la justice, un sentiment selon lequel le TPIR a rendu une justice en sens unique ou la justice du vainqueur. Cela peut avoir réduit son efficacité dans la contribution à la réconciliation.Hirondelle: Et qu’en est-il des procès devant les tribunaux rwandais, en particulier les tribunaux gacacas? Ces tribunaux gacacas ont-ils contribué à la réconciliation au Rwanda ? Tertsakian : Sur la base de notre recherche sur le terrain et de l’observation des procès, Human Rights Watch a conclu que les gacacas avaient laissé un héritage mitigé. A l’actif des gacacas, figurent l’accélération des procédures pour juger un nombre impressionnant d’affaires (environ deux millions, selon les chiffres du gouvernement rwandais), la participation des communautés locales et l’opportunité pour certains survivants du génocide de savoir ce qu’il en est advenu des leurs. Les gacacas pourraient aussi avoir aidé certains rescapés à trouver une voie de vivre pacifiquement avec les auteurs (du génocide).Toutefois, beaucoup de procédures gacacas ont donné lieux à des procès inéquitables. Beaucoup d’accusés n’ont pas pu se défendre de façon effective ; il y a eu de nombreux cas d’intimidation et de corruption de témoins de la défense, de juges et autres parties ; une prise de décision défectueuse à cause d’une formation inadéquate pour les juges. Les attentes selon lesquelles les gacacas pouvaient apporter la réconciliation nationale en peu d’années se sont révélées irréalistes. La possibilité pour les gacacas de contribuer à la réconciliation a été entravée par des difficultés dans la manifestation de la vérité, car certains intervenants ont menti ou sont restés silencieux à cause de l’intimidation,  de la corruption, des liens personnels ou de la peur de représailles. Par ailleurs, les gacacas n’ont pas honoré leurs promesses en ce qui concerne la réparation pour les rescapés : les rescapés n’ont reçu aucune compensation de l’Etat, ils n’ont reçu qu’une petite restitution ou le plus souvent des excuses trop formalistes de la part de génocidaires passés aux aveux ou condamnés..Même si les gacacas peuvent avoir été une première étape pour aider certains Rwandais sur le long sentier de la réconciliation, ils n’ont pas réussi à dissiper la méfiance entre de nombreux auteurs et survivants du génocide.Hirondelle: Que pensez-vous du déroulement des affaires transférées à la justice rwandaise par le TPIR  et des pays tiers? Tertsakian : En 2011, le TPIR a décidé de renvoyer au Rwanda une première affaire de génocide : Jean Uwinkindi. Uwinkindi a été transféré au Rwanda en 2012. Les audiences dans cette affaire ont commencé devant la Haute Cour à Kigali, mais n’ont pas encore franchi le stade des questions de procédure pour l’instant. Il en est de même du cas de Bernard Munyagishari, renvoyé au Rwanda par le TPIR en 2013. Il est donc prématuré de faire des commentaires sur les standards de leurs procès au Rwanda. Hirondelle: Certains pays occidentaux refusent encore d’extrader des suspects de génocide vers le Rwanda et ne les défèrent pas devant leurs propres tribunaux. N’est-ce pas là encourager l’impunité ? Tertsakian: La situation a changé. Jusqu’aux environs de 2011, la plupart des pays ne voulaient pas extrader des suspects de génocide vers le Rwanda, d’abord à cause de la peine de mort ; et puis, à cause du risque d’un procès inéquitable après que le Rwanda eut aboli la peine de mort en 2007. Toutefois, au cours des deux ou trois dernières années, un nombre croissant de pays, comme la Suède et la Norvège, ont manifesté la volonté d’extrader des suspects de génocide vers le Rwanda. Des procédures d’extradition sont actuellement en cours dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni.Le tournant est intervenu lorsque le TPIR a décidé de transférer la première affaire vers le Rwanda en 2011 (Uwinkindi). Les tribunaux de plusieurs pays se sont appuyés, par la suite, sur la décision du TPIR pour autoriser des extraditions de suspects vers le Rwanda. Il y a eu, en plus, un certain nombre de procès de Rwandais soupçonnés de génocide devant des tribunaux nationaux de pays occidentaux- par exemple en Belgique, Suisse, Allemagne, Canada, Finlande, Norvège, Suède, Pays-Bas et France.Dans certains cas, aux Etats-Unis par exemple, le Rwandais suspects de génocide ont été inculpés et jugés, dans des affaires d’immigration, pour avoir caché leur rôle dans le génocide.L’une des plus importantes affaires récentes est le premier procès d’un suspect de génocide en France – un pays qui a apporté son appui à l’ancien gouvernement du Rwanda et a soutenu et entraîné certaines des forces qui sont allées commettre le génocide.Le 14 mars 2014, un tribunal de Paris a reconnu Pascal Simbikangwa, chef du renseignement sous le gouvernement Habyarimana, coupable de génocide et de complicité de crimes contre l’humanité et l’a condamné à 25 ans de prison.Juste un mois auparavant, le 18 février 2014, un tribunal allemand avait condamné l’ancien maire Onesphore Rwabukombe à 14 ans d’emprisonnement pour aide et encouragement à commettre le génocide. Ces poursuites devant des juridictions nationales sous le régime de la compétence universelle sont d’importants repères témoignant de l’engagement international à faire en sorte que les auteurs du génocide rendent compte de leurs actes, où qu’ils soient.AH