Le procès Habré a démarré sur le fond malgré le silence de l’accusé

Le procès Habré a démarré sur le fond malgré le silence de l’accusé©Malicom
Hissène Habré amené de force à l'audience le 20 juillet 2015
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Fidèle à sa ligne de conduite, l’ancien président tchadien Hissène Habré, poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, a refusé de se présenter de lui-même à la barre lundi, à la reprise de son procès devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE) à Dakar, au Sénégal.

Le greffe a néanmoins fait lecture de l’ordonnance de renvoi, marquant ainsi l’ouverture du procès sur le fond.

Créées en vertu d’un accord entre le Sénégal et l’Union africaine (UA), les CAE sont un tribunal spécial chargé de juger les principaux auteurs présumés des pires violations du droit international commises au Tchad pour la période de 1982 à 1990, donc sous Hissène Habré.

Ouvert le 20 juillet, le procès d’Hissène Habré, accusé unique, avait été ajourné de 45 jours, dès le lendemain, pour donner le temps aux avocats commis d’office pour la défense, de prendre connaissance du dossier. Mais l’ancien président ne veut même pas les voir.

La Cour  a donc ordonné, à la reprise lundi, que M. Habré soit amené de force au tribunal et un  huissier a été envoyé à lui « servir » la « sommation à comparaître immédiatement ».

A son entrée, ses partisans présents dans la salle ont bruyamment dénoncé cette comparution forcée.

Il a fallu que les forces de l’ordre fassent sortir certains d’entre eux du Palais de Justice pour que le greffier puisse enfin entamer la lecture de l’ordonnance de renvoi, un document de 167 pages.

Pendant ce temps, Hissène Habré, qui encourt 30 ans de prison ferme et des travaux forcés, est resté encadré par des surveillants pénitentiaires alors que des gendarmes quadrillaient la salle d’audience.

 Environ 100 témoins et victimes sont attendus à la barre lors de ce procès qui devrait durer deux mois.

 

 

« Habré n’est pas une victime »

 

L’ancien président, aujourd’hui âgé de 72 ans, doit répondre de  dizaines de milliers d'assassinats politiques et de tortures systématiques essentiellement perpétrés par sa tristement célèbre police politique, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).

 « Les exclamations de Habré ne sont vraisemblablement qu’une énième tentative de jouer la victime. Il cherche à persuader l’opinion qu’il est la personne lésée dans cette affaire et qu’une sombre conspiration est dirigée contre lui », a réagi Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch, soulignant que «  Habré n’est pas une victime. »

« De vraies victimes sont présentes à l’audience aujourd’hui, d’authentiques  survivants d’exactions  du régime de Habré. Satisfaites de pouvoir assister à l’audience, elles sont conscientes que ce jour tant attendu de justice est enfin arrivé. Si Habré dispose d’un minimum de sens moral, il cessera son cirque et les regardera dans les yeux, lorsqu’ils témoigneront du passé tragique dont ils ont été victimes », a ajouté Brody dont les propos sont publiés sur le site internet de Human Rights Watch.

Comme d’habitude, les seuls avocats reconnus par Habré, le Sénégalais Ibrahima Diawara et le Français François Serres, poursuivent leur combat à travers des déclarations en dehors du prétoire. Dans une lettre adressée au président burkinabè de la Chambre extraordinaire d’assises et publiée sur le site d’Hissène Habré, Maître François Serres, loin de s’attaquer au dossier proprement dit, embouche le discours élimé de son client. « Monsieur Gberdao Gustave Kam, une chose est sûre, vous n’êtes pas l’Afrique, vous ne jugez pas l’Afrique, ni le Tchad, ni le peuple tchadien dans son unité comme dans sa diversité », écrit l’avocat français dans l’exorde de sa lettre. « Vous jugez un homme et un seul, le libérateur de son pays, pointé du doigt par une conférence de chefs d’Etat, obligés de Kadhafi, comme celui qui doit être jugé sur une simple décision politique, un mandat de juger, en violation des décisions judiciaires rendues au Sénégal en sa faveur en 2000 et 2001 », poursuit Maître Serres.

Hissène Habré a bénéficié jusqu’à sa chute fin 1990, du soutien de la France et des Etats-Unis contre la Libye du colonel Mouammar Kadhafi, qui était alors accusé d’appuyer le terrorisme international.

 

« Idriss Deby a payé »

 

Pour l’avocat français, le juge Kam qui siège dans l’affaire avec deux assesseurs sénégalais, « n’est plus un juge mais un simple mandataire de l’Union Africaine ».

Dans la suite de la lettre, Me Serres dénonce « le caractère discriminatoire de poursuites intentées, circonscrites dans le temps, puis dans les lieux, contrôlées dans le choix des témoins, des prétendues victimes par le pouvoir d’Idriss Deby dont les liens financiers avec les juges des CAE ont été démontrés ».

Le gouvernement tchadien est le principal bailleur de fonds des CAE.

Se tournant vers le Sénégal, qui a conclu avec l’Union africaine l’accord de création du tribunal spécial, l’avocat reprend encore un discours cher à Hissène Habré qui avait coulé des jours heureux au « pays de la Teranga » avant l’élection du président Macky Sall.

« Le régime sénégalais, Macky Sall, Sidiki Kaba (ndlr : actuel ministre sénégalais de la Justice) en tête s’est couché devant les exigences occidentales et l’affront tchadien du refus de collaborer et de renvoyer devant votre chambre d’autres prétendus complices, au point d’organiser au Tchad des procès fantoches qui n’avaient d’autre objet que d’exonérer Idriss Deby de ses propres responsabilités et de ne pas mettre sur la place publique la véritable histoire du Tchad des années 70 jusqu’à aujourd’hui ».

 « Un dernier conseil Monsieur le Juge, le Président Habré n’a pas besoin d’avocats d’office. (…) L’homme qui a libéré son pays n’a pas besoin d’auxiliaires d’injustice, déguisés en avocats, salariés de fait d’Idriss Deby », poursuit-t-il

Et de conclure : « La comptabilité est une science à peu près exacte : Idriss Deby a payé ; reste la rédaction du jugement ».

La Chambre d’assises compte rendre sa décision le 28 octobre dans la matinée.