Pour ses victimes, Hissène Habré avait un "droit de vie et de mort"

Pour ses victimes, Hissène Habré avait un ©AFP
Hissène Habré aux CAE (image d'archive)
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Durant sa présidence, Hissène Habré exerçait un "droit de vie et de mort" sur son peuple et s'est "substitué à Dieu" en usant d'une redoutable police politique, ont affirmé lundi les avocats des parties civiles devant le tribunal spécial africain qui juge à Dakar l'ex-dirigeant tchadien pour "crimes contre l'humanité".

Ce procès inédit - le premier au monde dans lequel un ancien chef d'Etat est traduit devant une juridiction d'un autre pays pour violations présumées des droits de l'homme - ajourné depuis la fin des auditions des témoins le 15 décembre, a repris lundi avec les plaidoiries.

Comme depuis l'ouverture du procès le 20 juillet 2015, l'unique accusé, habillé en blanc, enturbanné, portant des lunettes noires, est resté assis, silencieux et impassible, bougeant seulement parfois un pied.

En détention depuis fin juin 2013 au Sénégal, où il a trouvé refuge en décembre 1990 après avoir été renversé par l'actuel président tchadien Idriss Deby Itno, Hissène Habré est poursuivi pour "crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crimes de torture".

Il comparaît devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), juridiction créée en vertu d'un accord entre le Sénégal et l'Union africaine (UA), qu'il récuse et devant laquelle il refuse de s'exprimer et de se défendre, une tâche confiée par les CAE à trois avocats commis d'office.

"Les témoignages sont unanimes. Personne ne pouvait rien faire sans en référer au président de la République", a déclaré le premier avocat à s'exprimer au nom des parties civiles, le Sénégalais Me Yaré Fall, résumant la teneur des dépositions.

Durant sa présidence (1982-1990), M. Habré "n'a pas pris les mesures pour empêcher que les crimes se commettent. Etant informé des exactions, il n'a pas pris de sanctions. Il avait un droit de vie et de mort sur les populations du Tchad", a ajouté Me Fall.

Pour son confrère tchadien Philippe Houssine, "M. Habré a mis en place une armée et un service de répression à son service exclusif", la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), police politique du régime. "Sa responsabilité individuelle et pénale est engagée en tant que supérieur hiérarchique", a estimé Me Houssine.

"Cette machine répressive" est due "à un seul homme, qui s'est substitué à Dieu. Cette cruauté humaine ne doit pas rester impunie", a de son côté lancé la Tchadienne Jacqueline Moudeina, présidente du collectif des avocats des victimes.

- "Un peuple décimé" -

Or, a soutenu Mme Moudeina, "nul n'a contesté l'effectivité des crimes" au Tchad durant la présidence M. Habré, "la seule question est celle de (sa) responsabilité".

Auparavant, Me Laminal Ndintamadji, également tchadienne, avait comparé la DDS à la Gestapo, la police politique nazie. "Chaque famille au Tchad a perdu un des siens. Tout le monde a subi cette horreur", a-t-elle dit, interpellant le président du tribunal, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam: "C'est un peuple décimé".

La répression sous Hissène Habré a fait 40.000 morts, selon les estimations d'une commission d'enquête tchadienne.

Les plaidoiries des 15 avocats des parties civiles sont prévues lundi et mardi, suivies mercredi par le réquisitoire du Parquet général puis jeudi et vendredi des plaidoiries des trois avocats de la défense commis d'office.

Les audiences seront ensuite "suspendues pour le délibéré", et le verdict est attendu vers fin mai, d'après un porte-parole des CAE. L'accusé encourt jusqu'aux travaux forcés à perpétuité.

La semaine dernière, les avocats de M. Habré, auxquels leur client a interdit de participer au procès, ont de nouveau dénoncé une décision "déjà nulle avant d'avoir été prononcée". L'un d'eux, Me François Serres, avait fustigé "la liquidation politique d'un dirigeant africain qui gêne".

Ce procès, pour ceux qui soutiennent la procédure, doit servir d'exemple en matière de lutte contre l'impunité sur le continent où les critiques se multiplient contre la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, accusée de poursuivre exclusivement des Africains.

La CPI juge actuellement l'ex-président ivoirien Laurent Gbagbo et son chef de milice Charles Blé Goudé, accusé de "crimes contre l'humanité" lors des violences postélectorales de 2010-2011.

Lors du sommet de l'UA fin janvier, les dirigeants africains se sont d'ailleurs prononcés en faveur d'un retrait commun de la CPI, qui "s'acharne beaucoup plus sur l'Afrique, sur les chefs d'Etat africains, y compris des chefs d'Etat en exercice", selon Idriss Deby, nouveau président du bloc panafricain.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, présent au sommet, avait lui salué "le procès de Hissène Habré au Sénégal, un tournant pour la justice africaine".