Deux anciens bourgmestres rwandais jugés pour génocide à Paris

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Deux ans après un premier procès en France pour les massacres de 1994 au Rwanda, un deuxième acte s'est ouvert mardi: deux anciens bourgmestres comparaissent devant les assises de Paris pour leur participation présumée au génocide.

Octavien Ngenzi et Tito Barahira, qui nient les faits, sont accusés d'avoir directement participé au massacre de centaines voire de milliers de Tutsi en avril 1994 à Kabarondo, essentiellement des réfugiés regroupés dans l'église de cette commune de l'est du Rwanda.

A l'ouverture du procès, décrit comme "historique" par la présidente Madeleine Mathieu et qui sera entièrement filmé, les accusés, très calmes et attentifs, ont affirmé qu'ils répondraient aux questions de la cour, ne choisissant pas d'user de leur droit au silence.

Les deux hommes, qui se sont succédé à la tête de la localité, seront jugés pendant huit semaines pour "crimes contre l'humanité" et "génocide", pour "une pratique massive et systématique d'exécutions sommaires" en application d'un "plan concerté tendant à la destruction" du groupe ethnique tutsi.

Un procès fleuve pour un génocide éclair: à Kabarondo, les tueries étaient terminées avant la fin avril, avec l'entrée de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR, actuellement au pouvoir). Alors que le génocide, qui fit au moins 800.000 morts, n'a pris fin qu'en juillet à Kigali.

Trente-huit jours d'audience, 31 tomes de procédure et pas moins de 90 témoins. Un procès compliqué par l'état de santé de Tito Barahira, 65 ans en juin, qui doit être dialysé trois fois par semaine. De ce fait, les audiences seront écourtées les lundis et mercredis.

- "Retraité" et "ingénieur forestier" -

Veste tabac sur pantalon blanc, moustache et cheveux grisonnants, Barahira est assis sur un fauteuil rembourré bleu, plus confortable que le banc en bois du box où se trouve Ngenzi, 58 ans, chemise sombre et fines lunettes. Le premier s'est dit "retraité", le second "ingénieur forestier".

Cette première journée sera essentiellement consacrée à la sélection des jurés et à l'identification des témoins.

En dépit de la satisfaction des victimes de voir un second procès se tenir en France, l'atmosphère s'est alourdie depuis deux ans.

Quand, en mars 2014, Pascal Simbikangwa, ancien capitaine de l'armée rwandaise, est condamné à 25 ans de réclusion pour complicité de crimes de génocide, l'heure est au rapprochement entre Kigali et Paris après trois ans de rupture des relations diplomatiques (2006-2009). Le vent a tourné à nouveau après un non-lieu en octobre 2015 pour le prêtre Wenceslas Munyeshyaka, le premier Rwandais visé par une plainte en France.

Pourtant, ce second procès devrait donner à voir "un génocide plus concret, avec des témoins venus du Rwanda", pour Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), à l'origine de la plupart des enquêtes ouvertes en France sur le génocide. Il attend "que les victimes soient enfin reconnues comme telles".

L'enquête judiciaire décrit Tito Barahira et Octavien Ngenzi, bourgmestres respectivement en 1977-1986 et 1986-1994, comme des "donneurs d'ordre", personnages-clés d'une administration qui allait glisser au service des tueurs.

Le matin du 13 avril, des témoins affirment avoir vu Barahira armé d'une lance à une réunion sur un terrain de football où il aurait appelé à "travailler", c'est-à-dire à tuer des Tutsi.

Peu après, des centaines de réfugiés arrivés les jours précédents ont été regroupés à l'extérieur de l'église: en quelques heures, des centaines furent pourchassés jusque dans l'église et tués à coups de machettes, gourdins ou grenades, selon des survivants.

"Barahira, auquel on prête une influence démesurée, était allé voir s'il pouvait faire quelque chose pour aider les réfugiés", selon son conseil. Quant à Ngenzi, son avocate le décrit comme "un bon bourgmestre, dépassé par les événements".

Détenu depuis 2010, Ngenzi avait été retrouvé à Mayotte où il avait, sous une fausse identité, sollicité le statut de réfugié politique. Barahira a été interpellé en 2013 à Toulouse où il s'était installé.

Condamnés en leur absence à la prison à vie par des tribunaux populaires rwandais "gacaca" en 2009, ils encourent la même peine en France.