Procès de Dakar : Habré personnellement mis en cause

Procès de Dakar : Habré personnellement mis en cause©AFP PHOTO
Haoua Brahim (gauche) et Rachel Mouaba de l'Association des victimes du régime de l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré
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A Dakar, le tribunal spécial africain qui juge l'ancien président tchadien Hissène Habré a suspendu ses audiences le jeudi 29 octobre jusqu'au 9 novembre. L'ex-homme fort de N'Djamena est poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et tortures perpétrés dans son pays sous son régime.
Les auditions reprendront avec la suite du défilé des témoins à charge contre celui qui a dirigé le Tchad sous la coupe réglée de la très redoutée Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), de 1982 à 1990, avant de se réfugier en terre sénégalaise après sa chute.
Alors que le calendrier initial des Chambres africaines extraordinaires (CAE) prévoyait la fin des plaidoiries au 30 octobre, soit trois mois de procès, le timing de l'audition des témoins a été faussé dès le début par des lenteurs notées dans les dépositions qui prennent plus de temps. Par prudence, aucun membre des CAE ne se hasarde à avancer une nouvelle date pour la fin de ce procès entamé le 20 juillet dernier et voulu comme exemplaire par l'Afrique et la communauté internationale « parce que c'est la première fois qu'un ancien chef d'Etat du continent est jugé en terre africaine » pour sa gouvernance.
La pause décrétée par le président de la chambre d'assises a pour but de permettre aux parties de se reposer après de longues et éprouvantes journées de dépositions, d'interrogatoires et contre-interrogatoires par les représentants du procureur et les avocats commis d'office pour défendre l'homme au turban blanc, ancien tout puissant maître de N'Djamena.
Cet ajournement est le deuxième après le renvoi au 7 septembre, au lendemain même de l'ouverture du procès. Le motif invoqué était que l'accusé refusait de se défendre devant les CAE dont il conteste la légalité.
Hissène Habré avait en effet dénoncé le 20 juillet, à l'ouverture du procès, à son entrée forcée dans la salle d'audience, « l'impérialisme et le néocolonialisme » de la France et des Etats-Unis, qualifiant son jugement de « mascarade ».
Une fois sur le banc des accusés, l'homme au turban blanc, arrêté à son domicile dakarois le 30 juin 2013 et inculpé deux jours plus tard pour « crimes de guerre, crimes contre l'humanité et torture », choisira le silence comme arme de défense.

Quarante mille morts, 4.000 parties civiles

 

Les faits qui lui sont reprochés sont d'une extrême gravité, à en juger par le nombre des victimes. Une commission d'enquête tchadienne impute au régime de l'accusé 40.000 morts dont la mémoire est défendue par 4.000 victimes directes ou indirectes constituées parties civiles dans l'affaire.
Les juges ont effectué quatre commissions rogatoires au Tchad, auditionné environ 2. 500 témoins et victimes et surtout exploité les archives de la DDS, la tristement célèbre police politique de Hissène Habré.
Les dépositions entendues à ce jour donnent une idée de l'enfer vécu en terre tchadienne durant cette période sombre de l'histoire de ce pays d'Afrique centrale.
Tortures, assassinats, abus sexuels que les victimes, par pudeur, refusent de détailler, exécutions sommaires, telles sont certaines parmi les innombrables charges qui noircissent le dossier Habré.
« Par pudeur, je ne peux raconter le calvaire subi à Ouadi-Doum » (nord du Tchad), déclare ainsi Hawa Brahim Faraj, à la barre, le mercredi 21 octobre. Arrêtée le 6 juin 1985 par des militaires venus cueillir sa maman commerçante qu'ils n'ont pas trouvée sur place, la gamine de 13 ans et demi sera, selon son récit, incarcérée à N'Djamena puis à Ouadi-Doum. Sa mère, accusée d'être un « agent libyen », sera prise plus tard et elle aussi incarcérée. Alors que la guerre contre la Libye de Mouamar Kadhafi faisait rage, être accusé d' « agent libyen » était l'offense suprême, un fourre-tout où l'on mettait ennemis supposés ou réels et opposants politiques mal-pensants.
Khatoulma Deffalah, ancienne hôtesse de l'air d'Air Afrique, arrêtée, pense-t-elle, pour ses origines Hadjaraï, une minorité ethnique pas vue d'un bon œil par le pouvoir de Habré, déclare elle aussi avoir été « objet sexuel » des militaires.
Viols, avortements forcés, maltraitances multiformes ont été le lot de ces femmes dont les témoignages ont été parfois arrachés par le procureur Mbacké Fall lorsque le président de la Chambre d'assises des CAE, embarrassé, y allait à mots couverts.

Une femme accuse Habré de l'avoir violée à quatre reprises

 

Mais le témoignage qui fera le plus de bruit, le coup de théâtre, est celui de Khadija Hassan Zidane, le 19 octobre. Elle a accusé Hissène Habré en personne de l'avoir violée à quatre reprises, dans les locaux de la Présidence. Une accusation que l'ancien président, jusque-là impassible, accueillera en agitant nerveusement un des pieds.
Certains des accusateurs ont cependant passé des moments difficiles face aux avocats commis pour la défense de l'accusé. Les défenseurs ont surtout tenté de démontrer que le client qu'ils défendent contre sa volonté, n'était pas informé des exactions commises par les hommes de la DDS.
« Avez-vous une fois au moins entendu Hissène Habré cautionner ou avaliser les tueries et tortures ? » demande un des avocats à un témoin, haut fonctionnaire au moment des faits supposés.
« Non, je n'ai jamais clairement entendu Hissène Habré donner des instructions allant dans le sens d'encourager des massacres ». Le témoin se dit toutefois convaincu que ces exactions ne pouvaient se produire sans que l'ancien président ne soit au courant.
Un autre temps fort de ce procès est la séquence des dépositions des experts légistes qui, dans leur rapport, ont conclu à des morts criminelles, par balles de fusil d'assaut AK 47, en tout cas dans la majorité des cas étudiés.
Diapos à l'appui, l'équipe pluridisciplinaire de légistes a présenté une kyrielle de pièces ayant servi à étayer leur enquête. On a vu dans ces documents des habits, des pièces de monnaie.
Ainsi pour le médecin -légiste Pierre Perich, il est établi que « les os retrouvés et les lésions des habits sont en parfaite concordance avec les pénétrations des balles reçues. Cela démontre à souhait que les victimes ont reçu une certaine masse de projectiles dans le corps », fait-il remarquer.
Des conclusions corroborées par ses collègues José Emmanuel, expert balistique, et José Luis Prieto, médecin- légiste- odontologue.