Destruction des Mausolées de Tombouctou ; le djihadiste Al-Mahdi s'explique

Destruction des Mausolées de Tombouctou ; le djihadiste Al-Mahdi s'explique©ICC/CPI
Al-Mahdi devant la CPI
4 min 24Temps de lecture approximatif

Le procès d’Ahmed Al Mahdi s’est ouvert ce lundi matin devant la Cour pénale internationale (CPI). Cet ancien djihadiste d’Ansar Dine doit répondre d’un crime de guerre pour la destruction de neuf des Mausolées de Tombouctou, et de la porte de la mosquée Sidi Yahia lors de l’occupation de la ville par les groupes djihadistes, entre avril 2012 et janvier 2013. Cet ancien directeur d’école, devenu conseiller des émirs d’Aqmi et d’Ansar Dine sur les questions islamiques, plaide coupable. Il risque jusqu’à 30 ans de prison.

C’est en empruntant les mots du « Tout-puissant » qu’Ahmed Al Mahdi a débuté sa grande explication à l’ouverture de son procès devant la Cour pénale internationale, le 22 août. Le djihadiste d’Ansar Dine a plaidé coupable « avec grand regret et avec une grande peine », car toutes les accusations du procureur sont exactes. Oui, Ahmed Al Mahdi a présidé aux destructions de neuf des Mausolées de Tombouctou et de la porte de la mosquée Sidi Yahia, dont la légende disait que l’ouvrir conduirait à la fin du monde. Oui, il a fourni les bêches et les barres de fer pour détruire ces monuments classés au patrimoine de l’humanité. Oui, il a préparé le prêche du vendredi pour justifier ces attaques. Sur l’une des vidéos du procureur, datant de l’époque, il figure enturbanné, kalashnikov à l’épaule, assurant « agir sur ordre du Prophète ».

La destruction des Mausolées : Une erreur

Quatre ans ont passé. La destruction des Mausolées n’était pas conforme à son interprétation de la charia, explique-t-il désormais. Mais devenu très vite le conseiller des émirs d’Al Qaïda et d’Ansar Dine en matière islamique, il est consulté dès le début de l’été 2012 sur la question des Mausolées. Il affirme que leur existence est illégale. Mais il précise à ses patrons que selon le Coran, rien ne préconisait leur destruction et que le faire risquerait, de plus, de provoquer la colère de la population de Tombouctou. Les émirs ne l’écoutent pas, mais lui ordonnent, lui, le chef de la Hesbah, la brigade des mœurs érigée par l’occupant pour mettre en coupe réglée la population, de mettre le projet à exécution. Ahmed Al Mahdi parle aujourd’hui d’une erreur, et demande aux habitants de Tombouctou de pardonner « un fils qui s’est perdu en chemin ». Longtemps, le touareg Al Mahdi a habité la « perle du désert », y a usé ses tuniques à l’école coranique avant d’y acquérir une solide réputation dans la communauté religieuse d’un expert des questions coraniques. Alors il demande à ses voisins d’hier de ne pas oublier ce qu’il a fait, par le passé pour sa communauté.

Le procureur requiert de 9 à 11 ans de prison

La transaction entre le procureur et la défense a été bouclée en cinq mois. Arrêté au Niger dans la nuit du 9 au 10 octobre 2014 alors qu’il se trouvait à bord d’un convoi de six véhicules transportant quelques 1000 tonnes d’armements depuis le sud libyen, puis déféré à la CPI un an plus tard, « il a dès le début voulu plaider coupable » avait expliqué son avocat Mohamed Aouini. En février 2016, défense et procureur finissent par passer un accord, selon lequel le procureur s’engage à requérir d’une peine compris entre 9 et 11 ans de prison. Mais les juges n’y sont pas tenus et la sentence maximale prévue par les textes est de 30 ans. Parmi les circonstances atténuantes, ils sont tenus de prendre en compte l’éventuelle coopération de l’accusé. Mais la partie publique de l’accord ne dit rien de cette coopération. Alors que la procureure poursuit toujours ses enquêtes sur les crimes commis au Mali depuis janvier 2012, cet ex membre d’Ansar Dine pourrait s’avérer un témoin essentiel. Sur ses alliés d’hier, Ahmed Al Mahdi n’a eu qu’une seule phrase, laconique. En 2012, « j’ai été influencé par des personnes déviantes d’Al Qaïda et d’Ansar Dine », a-t-il dit aux trois juges.

Du « menu fretin » ?

Au regard des charges portées par l’accusation, et parce qu’il n’a jamais été un leader, Ahmed Al Madhi ne semble pas un bien « gros poisson ». Du « menu fretin », regrettait même un éditorialiste de Bamako. L’accusé n’est certes pas un chef islamiste, mais il était membre d’Ansar Dine et d’après le dossier du procureur, aurait, à partir de septembre 2012, participé à de nombreuses réunions impliquant des chefs des groupes armés à l’époque où ces maîtres du nord rêvaient encore d’étendre leur conquête jusqu’au sud du Mali. Ahmed Al Mahdi n’est pas poursuivi pour les attaques qui en auraient découlé, pas plus pour les viols et les persécutions commis à Tombouctou. Plusieurs organisations maliennes des droits de l’homme, ainsi que la FIDH, regrettent des accusations trop partielles. En mars 2015, elles ont porté plainte devant la justice malienne, mais l’enquête est quasiment au point mort.

« Tombouctou défigurée »

Dans le prétoire, Fatou Bensouda a donc tenté, à l’ouverture du procès, de souligner toute l’importance de ce procès que l’Unesco avait largement appelé de ses vœux. « La période présente est marquée d’une rage destructrice » de personnes qui veulent « éradiquer toute représentation du monde différente de la leur », a-t-elle ainsi déclarée, rappelant les destructions de Palmyre en Syrie. De Tombouctou, la procureure gambienne a décrit une ville « défigurée au point que les populations meurtries ont été atteintes au plus profond de leur âme ». Une ville qui a eu « un rôle essentiel dans l’expansion de l’Islam en Afrique ». Depuis la fuite des djihadistes en janvier 2013, face aux soldats français de l’opération Serval, les Mausolées ont été reconstruits à l’identique, mais la « restauration » du patrimoine « ne lui redonne jamais sa valeur intrinsèque » a néanmoins déploré Fatou Bensouda. Dans le prétoire, la procureure se bat pour démontrer avec force de l’importance de ce procès. « La culture est ce que nous sommes. Nos ancêtres ont créé des peintures, des sculptures, des mosquées, des temples et d’autres formes de biens culturels », dit-elle. « Ce patrimoine culturel façonne l’esprit et l’identité de notre propre génération et des générations à venir. Il constitue, avec le temps, l’archétype de la mémoire sociale qui permet aux individus de se construire et de grandir ». Le procès devrait se poursuivre jusqu’à la fin de la semaine, puis les juges se retireront pour délibérer.