Grève de la faim d'un chef de guerre congolais en procès devant la CPI

Grève de la faim d'un chef de guerre congolais en procès devant la CPI©CPI/ICC
Bosco Ntaganda devant la CPI en 2015
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En procès devant la Cour pénale internationale (CPI) depuis septembre 2015, Bosco Ntaganda a décidé de faire la grève de la faim pour protester contre une décision des juges restreignant ses contacts avec sa famille et ses proches. Accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre commis en Ituri en 2002 et 2003, l’ancien chef en second des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC) est détenu depuis 36 mois dans la prison de Scheveningen.

 La voix lasse, le casque posé sur les oreilles pour entendre la traduction de l’audience en kinyarwanda, Bosco Ntaganda s’adresse aux juges par vidéo-conférence, ce 13 septembre 2016. L’ex milicien congolais ne souhaite plus quitter la prison, et se dit affaibli, après six jours de grève de la faim. « Il ne mange plus depuis le 7 septembre », explique à la Cour son avocat, Stéphane Bourgon. Ce jour-là, les juges reconduisaient des mesures de restriction prises un an plus tôt. Le procureur avait dénoncé les interférences de l’ex milicien congolais avec les témoins, via des intermédiaires, joints depuis la prison par téléphone. Il aurait notamment évoqué deux témoins protégés et proposé de « faire taire » l’un d’entre eux. Depuis, ses contacts ont été restreints, ses conversations écoutées, et il ne dispose que d’une heure par semaine pour parler avec sa mère et sa femme. « Je suis un révolutionnaire » dit Bosco Ntaganda dans un message lu à l’audience par son avocat, et « je n’ai pas peur de mourir ». Les juges ont pris pour argent comptant les allégations de l’accusation, sans procès reproche-t-il. C’est « la preuve que tout ce qui se passe ici n’est qu’un spectacle. » Pour vous, « Bosco est un intimidateur ».

Pour l’accusation, Ntaganda prend la Cour en otage

Détenu depuis le 23 mars 2013 à La Haye, après avoir quitté Goma où il combattait à la tête du M23 avant de se rendre à l’ambassade des Etats-Unis puis d’être livré à la Cour, l’accusé se plaint de ne pas avoir revu ses sept enfants. Trois d’entre eux devraient néanmoins venir pour Noël, mais il y a des difficultés pour obtenir passeports et visas, explique à l’audience Marc Dubuisson, le directeur des services judiciaires de la Cour. Il y a des « difficultés financières », explique-t-il, assurant néanmoins que la Cour a « mis de côté une certaine somme pour cette visite ». Les Etats refusant d’inclure au budget les visites familiales aux accusés, un fonds spécial a été créé, alimenté par des contributions volontaires. A ces difficultés, s’ajoute que Ntaganda ne pourra voir ses enfants que quatre heures par jour, car les restrictions ordonnées par les juges nécessitent de mobiliser des interprètes pour surveiller ses échanges avec eux. Il ne pourra pas plus recevoir sa femme en privé. « On m’interdit de chercher le soutien et le réconfort dans les bras de ma femme en privée », se plaint-il. L’accusation dénonce une « manipulation », une prise en « otage » de la Cour. « Le boycott de l’audience ne peut pas être considéré comme un moyen légitime et légal » de contester la décision, proteste la procureure Dianne Luping, qui demande des « sanctions », des « amendes », pour que « l’accusé ne prenne pas le contrôle de l’audience ». Tentant d’être pédagogue, le président Robert Fremr, explique à l’ex milicien que tout ceci « vise à prévenir des préjudices potentiels », mais que cela pourrait changer, notamment lorsque l’accusation aura fini de présenter ses témoins, assurant au passage au détenu qu’il bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Depuis l’ouverture du procès, le 2 septembre 2015, l’accusation a appelé une trentaine de témoins sur une liste de 89. La partie réservée à l’accusation devrait s’étendre sur toute l’année 2017, lit-on par ailleurs dans un document de la Cour. « Je vous respecte, hormis le fait que vous êtes juges, vous êtes plus âgés que moi, c’est pourquoi je vous dois beaucoup de respect » dit l’accusé, mais il ne reviendra pas à l’audience, il n’est pas « en mesure de continuer à suivre le déroulement du procès sans avoir le droit de voir ma femme et mes enfants ».

 

Une trentaine de témoins en un an

Accusé de crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour meurtres, tentatives de meurtres, viols, esclavage sexuel, utilisation d’enfants de moins de 15 ans, transfert forcé de populations, attaques contre des biens protégés, pillages, destructions de propriétés, commis en Ituri, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) en 2002 et 2003, M. Ntaganda avait, jusqu’ici, suivi l’intégralité des audiences. Ancien chef d’Etat-major en second des Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC), le bras armé de l’Union des patriotes congolais (UPC), une milice soutenue par l’Ouganda puis le Rwanda, Bosco Ntaganda aurait aussi tué un prêtre Boniface Bwanalonga de plusieurs balles dans la tête, et avec ses gardes du corps, séquestré trois religieuses, violées ensuite par ses miliciens dans ses appartements de la mine d’or de Kilo Moto. « Terminator », surnom donné pour illustrer ses méthodes, voulait s’emparer de l’Ituri, assure l’accusation, dont les sous-sols riches d’or, de diamants, de coltan ont nourri près de vingt années de guerre. Depuis l’ouverture du procès le 2 septembre 2015, le procureur a appelé une trentaine de témoins à la barre. Parmi eux, plusieurs experts médico-légaux, chargés d’identifier les charniers, dont le docteur Derek Congram. A la demande du procureur, l’expert s’était rendu sur les sites de crimes en 2014 et notamment à l’Eglise de Sayo. Mais plusieurs années après les faits, l’expert n’a pas pu retrouver certains des charniers, pourtant évoqués par des témoins, a-t-il expliqué à la Cour début septembre. Avant lui, plusieurs experts ont aussi déposé, dont Robert Garreton, ancien rapporteur spécial du Secrétaire général de l’Onu sur les violations des droits de l’homme en RDC et Kristine Peduto, chargée de la démobilisation au sein de la Monuc entre 2002 et 2005. Chargée de l’Afrique à Human Rights Watch (HRW), Anneke Van Wounderberg a, au cours de dix-sept ans d’enquête au Congo, produit plusieurs rapports, et rencontré une quarantaine de chefs de guerre dont « Terminator ». La première fois, se rappelle-t-elle, c’était en novembre 2010 à Goma. En juin, elle décrivait aux juges un chef de guerre « évasif », qui refusait de soutenir son regard. « J’étais surprise quand je lui ai posé des questions sur l’Abbé Boniface Bwanalonga. Il m’a donné une réponse très rapide, ‘je ne le connais pas’. Quand je lui ai dit l’Abbé de Mongbwalu, qui était très connu dans la région, qui a été arrêté par ses troupes, il a de nouveau répété : ‘je ne le connais pas’. Et je me souviens qu’à l’époque, j’avais noté dans la marge de mon carnet, ‘il ment’. »

Photo Interpol Bosco Ntaganda en 2009

Un procès en grande partie à huis clos

Beaucoup de victimes ont aussi déposées à La Haye, ainsi que des combattants des FPLC, mais l’essentiel des dépositions se déroule à huis clos. En juin, un combattant a évoqué l’attaque de Songolo durant l’été 2002. « Nous devions aller combattre l’ennemi et les gens qui étaient là », raconte le témoin. « Nous savions que nos ennemis étaient les Lendus et les Ngitis. Nous sommes arrivés et nous les avons chassés. Et on nous a dit d’aller maison par maison, et chercher les gens. Et si on trouvait un ennemi dans une maison, nous devions les tuer. Nous avons tué beaucoup de personnes à Songolo ».  Ces ordres, Bosco Ntaganda les donne par téléphone Motorola, affirmera un autre témoin. Tango Roméo, code radio de Ntaganda, « pouvait communiquer avec tous les commandants de l’UPC » raconte-t-il. P888 a lui raconté les pillages. Il fallait voler les objets de valeurs, affirme-t-il, « nous les donnions aux commandants » et « on nous avait même dit d’aller dans les magasins et de prendre toutes les marchandises, par exemple les biscuits, les sardines, les vêtements ». 

Lors d’une autre audience, une victime, un commerçant d’or, liste ses pertes. « J’ai perdu de l’argent, la somme de 4920 dollars. J’ai aussi perdu de l’or d’une valeur de 53,5 grammes, 12 pantalons, 14 chemises, 7 paires de chaussures, 5 paires de sandales. J’ai perdu un vélo de marque Phénix, et ma maison a été détruite, une maison d’une grandeur pouvant accueillir… une maison construite avec 22 tôles. » Le prochain témoin dans cette affaire sera aussi une victime.

Les juges ont décidé de poursuivre le procès, même en l’absence de l’accusé. Mais ont demandé au greffier de lui permettre de voir un psychologue et d’accélérer la procédure pour permettre à sa famille de le visiter à La Haye.