OPINION

Le Burundi, pays de peur et de violence, selon le défenseur des droits de l'homme Pierre Claver

Le Burundi, pays de peur et de violence, selon le défenseur des droits de l'homme Pierre Claver©2016 Patricia Williams
Pierre Claver Mbonimpa.
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Ces dix-huit derniers mois, le gouvernement burundais a brutalement écrasé toute forme d’opposition. Depuis le début de la crise, déclenchée par la décision contestée du Président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, des centaines de personnes ont été tuées, et des milliers d’autres arrêtées arbitrairement. Pierre Claver Mbonimpa est l’un des plus prestigieux défenseurs burundais des droits humains et le fondateur de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH). En 2015, il a échappé de justesse à une tentative d'assassinat, dont on soupçonne qu’elle a été commise par les services de renseignement burundais. Pierre Claver, qui vit maintenant en Belgique, a reçu en 2016 le prix Alison Des Forges rendant hommage à ceux qui mettent en danger leur vie pour protéger la dignité et les droits des autres. Bénédicte Jeannerod, de Human Rights Watch, a échangé avec lui sur la peur qui s’est emparée de son pays, sur sa vie en exil et sur son inlassable combat pour les droits de tous les Burundais.

Comment voyez-vous la situation des droits humains dans votre pays, le Burundi ?

La situation des droits humains au Burundi continue de se détériorer de manière alarmante. Chaque jour, chaque mois des personnes sont tuées. La société civile et les médias n’existent pratiquement plus dans le pays. Les militants et les journalistes indépendants vivent en exil. Ceux qui restent doivent travailler dans la clandestinité et sous la menace de la répression.

Le Burundi ayant récemment rompu tout lien avec le bureau du Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme et déclaré ses experts persona non-grata, il n’y a plus d’observateur. Les violences peuvent se poursuivre sans œil extérieur. La population vit dans la peur, la justice n’existe pas, les crimes que nous avons documentés ne sont pas punis. Le retrait récent du Burundi de la Cour pénale internationale est un pas de plus dans cette spirale de violations et d’impunité.

Par ailleurs, la loi et les institutions n’existent plus : le service national de renseignement, responsable des principaux forfaits contre la population et qui émane directement de la Présidence, contrôle aujourd’hui la magistrature et les services de police – censés être au service de la sécurité de la population..

Mon pays est aujourd’hui un pays de peur et de violence, sans voix, sans loi. 

Quelle est la nature des violences qui ont lieu au Burundi ?

Il s’agit de violences politiques, qui s’exercent principalement contre les membres des partis politiques d’opposition, contre ceux qui ne croient pas au troisième mandat de Nkurunziza et qui ont participé à des manifestations.

Le modus operandi a progressivement changé. Alors qu’au début de la crise, on retrouvait des cadavres presque tous les jours dans les rues, les assassinats sont aujourd’hui beaucoup plus clandestins : on vous enlève dans une province, on vous tue dans une autre et on vous enterre, sans traces. Les familles ne savent pas ce que sont devenus leurs proches. Cela rend très difficile la documentation de ces violences.

L’autre type de violence est celle qui s’abat contre les familles des exilés, comme cela m’est arrivé. Le gouvernement a dit : même ceux qui s’exilent ne nous échappent pas, puisqu’il nous reste leur famille. En ce qui me concerne, la menace a été mise à exécution : après la tentative d’assassinat dont j’ai été victime en août 2015 de la part du service de national de renseignement, qui m’a forcé à m’exiler en Belgique, mon gendre, puis mon fils de 24 ans ont été assassinés.

Enfin, les prisons burundaises n’ont jamais été aussi pleines : on estime à 10000 le nombre de prisonniers. Même en 1998, alors que nous étions en guerre civile, nous n’atteignions pas ce niveau. D’après ce que nous avons pu documenter, plus de la moitié de ces prisonniers sont détenus pour des raisons politiques. On leur colle une infraction imaginaire d’atteinte à la sécurité de l’Etat ou de participation à la rébellion.  

Dans ce contexte, comment pouvez-vous continuer de travailler ?

Je vis en exil en Belgique. Le gouvernement burundais a fermé mon organisation, l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH). Nous travaillons maintenant à travers un fragile maillage de points focaux et de bénévoles qui documentent autant qu’ils le peuvent, de manière clandestine, les violations. Le travail est devenu extrêmement dangereux. Non seulement pour les personnes qui travaillent avec nous, mais aussi pour celles qui nous donnent des informations. Le climat de peur est tel qu’obtenir des informations est devenu très difficile. Cela ne nous empêche pas d’avoir des points focaux, y compris dans les institutions comme la police ou dans les prisons, de la part de personnes qui ne sont pas d’accord avec ce que fait le régime. Nous continuons à publier des rapports, que nous transmettons à la communauté internationale, ainsi qu’au gouvernement burundais. Il est essentiel de maintenir l’attention et la pression sur le Burundi pour qu’il ne devienne pas un complet huis-clos.

Après ce que vous et vos proches avez vécu, comment trouvez-vous la force de continuer à vous battre ?

Ce qui m’est arrivé et ce qui est arrivé à ma famille est ce que vivent de très nombreux Burundais. Ce sont dans ces moments particulièrement difficiles que nous devons continuer à nous battre et à observer. Le régime de Nkurunziza tue et terrorise la population et risque de précipiter notre pays dans la guerre civile. Ce n’est pas le moment de baisser les bras. Si nous abandonnons la cause pour la défense des droits humains, alors nous aurons abandonné la population tout entière à la violence et au non-droit. Je me battrai pour la paix et la justice jusqu’à mon dernier souffle.

Que représente pour vous le prix Alison Des Forges, remis par Human Rights Watch ?

J’ai reçu d’autres prix pour mon travail, mais c’est celui qui me touche le plus. Alison Des Forges était une amie, elle passait me voir à chaque fois qu’elle venait au Burundi et nous avions de longues discussions sur la situation des droits humains et la manière de mener des enquêtes efficaces. Tout juste un mois avant qu’elle ne décède dans un accident d’avion aux Etats-Unis en 2009, j’étais avec elle à Bujumbura. Quand j’ai des moments de découragement, je repense à elle et à sa force d’engagement.

Cet article a été précédemment publié par Human Rights Watch.