Centrafrique : « l’impunité reste la norme »

Centrafrique : « l’impunité reste la norme »©Flickr/ MISCA
Armes traditionnelles et autres effets saisis sur un groupe d'Anti-balaka par la force africaine début juillet 2014 à Bangui
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Près d’un an après la mise en place d’institutions élues, les groupes armés continuent de semer la mort sur le territoire centrafricain, en dépit d’une relative stabilisation de la capitale, Bangui. Sans doute encouragés par la totale impunité de leurs crimes passés, les milices séléka et anti-balaka ne semblent pas prêtes à remettre leur épée dans le fourreau. Dans deux rapports séparés, les organisations Amnesty International et Human Rights Watch appellent de tous leurs vœux la mise en place rapide de la Cour pénale spéciale, créée par une loi de 2015.

Dans son rapport mondial 2017, Human Rights Watch (HRW) note que « les violences sectaires et les attaques contre les civils ont continué à affecter les régions du centre et de l’ouest du pays, en particulier les provinces de Ouaka, Nana-Grébizi, et Ouham-Pendé, où les groupes rebelles principalement musulmans de la Séléka, les milices anti-balaka majoritairement chrétiennes et animistes, ainsi que d’autres groupes armés sont restés actifs ». En 2016, poursuit le rapport, « les civils ont continué à pâtir des combats et les groupes armés ont violé et agressé sexuellement des femmes et des filles ».

Sur une population de 4,6 millions de Centrafricains, estime encore Human Rights Watch, 467 800 personnes, en majorité des Musulmans, sont toujours réfugiées dans les pays voisins, tandis que 384 300 autres restent déplacées à l'intérieur du pays. L’organisation relève, par ailleurs, que les 10. 000 soldats de la paix et 2.000 policiers déployés par les Nations unies à travers le pays au cours de l’année n’ont pas réussi à rétablir la paix et à assurer une protection suffisante aux civils. Au contraire, regrette HRW, les efforts de la Mission de l’ONU en Centrafrique ont été entachés par des allégations, pas toutes infondées, d’exploitation et d’abus sexuels commis par des soldats de maintien de la paix sur des civils, parmi lesquels des enfants.

« L’impunité pour les exactions et crimes de guerre passés est restée la norme », constate l’organisation de défense des droits de l’homme, déplorant la lenteur du processus de mise en place d’une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire national centrafricain. Certes, le bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a poursuivi ses enquêtes, ouvertes en septembre 2014, sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis dans le pays depuis août 2012, mais aucun mandat d’arrêt n’a encore été émis, note encore le rapport.

La loi instaurant une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire centrafricain a été promulguée en juin 2015 par la présidente de transition Catherine Samba-Panza. La création de cette cour vise à compléter le travail de la CPI à laquelle le même gouvernement de Mme Samba-Panza a déféré la situation en Centrafrique depuis août 2012. Cette Cour pénale spéciale, qui sera composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux, a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les graves violations des droits humains perpétrées en Centrafrique depuis 2003.

« Une ampleur stupéfiante »

Les préoccupations de Human Rights Watch sont partagées par Amnesty International. « Des milliers de victimes d’atteintes aux droits humains, dans toute la République centrafricaine, attendent toujours que justice leur soit rendue, tandis que des individus qui ont commis des crimes atroces tels que des meurtres et des viols restent en liberté », s’insurge Ilaria Allegrozzi, responsable des recherches sur l’Afrique centrale à Amnesty International. « Cette impunité, d’une ampleur stupéfiante, porte atteinte aux efforts déployés pour reconstruire la République centrafricaine et pour créer une paix durable », poursuit Ilaria Allegrozzi, dans un rapport publié par son organisation le 11 janvier.

Pour la chercheuse d’Amnesty International, « la seule solution à long terme pour mettre fin à cette impunité profondément enracinée est de procéder à une refonte totale du système judiciaire de la République centrafricaine, notamment en remettant sur pied ses tribunaux, ses prisons et ses forces de police ». « Dans l’intervalle, poursuit-elle, un financement durable pour la Cour pénale spéciale, y compris pour des programmes fiables de protection des témoins, est un pas essentiel sur la voie de la justice ».

Lors de la dernière conférence des bailleurs de fonds, en novembre, à Bruxelles, le gouvernement du président Faustin - Archange Touadéra a présenté un plan national de reconstruction et de renforcement de la paix, comprenant une enveloppe de 105 millions de dollars pour renforcer l’appareil judiciaire et rendre opérationnelle la Cour pénale spéciale.

Cinq des 7 millions de dollars nécessaires pour les 14 premiers mois d’activités de la Cour ont été réunis, mais, estime Amnesty International, il reste beaucoup à faire pour obtenir un soutien durable, à même de garantir le bon fonctionnement de cette juridiction au cours de ses cinq premières années d’existence.

« La Cour pénale spéciale a un rôle fondamental à jouer pour donner aux victimes de certains des crimes les plus graves du conflit une chance d’obtenir justice en République centrafricaine. Elle doit bénéficier de tout le soutien possible », insiste Ilaria Allegrozzi.

L’opinion de moins en moins convaincue

Mais la mise en place de cette Cour dépendra aussi de la volonté politique du gouvernement centrafricain. Or l’opinion nationale et internationale est de moins en moins convaincue que les nouvelles autorités centrafricaines en fassent une de leurs priorités. Dans un entretien avec JusticeInfo, en août dernier, le juriste français Didier Niewiadowski, ancien conseiller à l'ambassade de France à Bangui (2008-2012) affirmait que le nouvel exécutif centrafricain avait mis aux oubliettes la justice transitionnelle. L’ex- diplomate en donnait pour preuves la liberté sous contrôle judiciaire accordée à l’ex-ministre de la Défense, Jean -Francis Bozizé (fils de l’ex-président Bozizé) pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt international, et la libre circulation de criminels de guerre de l’ex-Séléka, également visés par des mandats d’arrêt.

La Séléka est une coalition de rebelles qui a chassé du pouvoir le président François Bozizé en mars 2013. Impliqués dans de nombreuses exactions contre la population, les rebelles de la Séléka ont dû faire face aux milices d’auto-défense anti-balaka, qui, à leur tour, se sont livrées à des violences contre la population civile.