RCA : un colonel juriste congolais nommé procureur de la Cour pénale spéciale

RCA : un colonel juriste congolais nommé procureur de la Cour pénale spéciale©Coalition pour la CPI/Flickr
Toussaint Muntazini Mukimapa lors d'une conférence de la Coalition pour la CPI le 3 juin 2010 à Kampala, en Ouganda
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Le président centrafricain Faustin –Archange Touadéra a signé le 14 février le décret nommant le procureur de la Cour pénale spéciale (CPS). La nomination du colonel – juriste Toussaint Muntazini Mukimapa, membre du Parquet militaire de la République démocratique du Congo (RDC), constitue un pas important vers la mise en place effective de la CPS chargée de poursuivre les auteurs présumés des violations des droits humains perpétrées en Centrafrique depuis 2003. La tâche du procureur de la CPS s’annonce cependant difficile dans un pays où plus de la moitié du territoire reste sous le contrôle de groupes armés qui continuent de commettre des crimes sur des populations civiles.

La loi instaurant une Cour pénale spéciale au sein du système judiciaire centrafricain a été promulguée en juin 2015 par la présidente de transition Catherine Samba-Panza. La création de cette cour vise à compléter le travail de la Cour pénale internationale (CPI) à laquelle le même gouvernement de Catherine Samba-Panza a déféré la situation en Centrafrique depuis août 2012. La nouvelle cour, qui sera composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux, a pour mandat de mener des enquêtes et des poursuites concernant les graves violations des droits humains perpétrées en Centrafrique depuis 2003.

Soit une compétence temporelle plus étendue que celle des Chambres africaines extraordinaires (CAE) qui ne couvrent que les huit ans de règne de l’ex-président tchadien Hissène Habré (1982-1990) en attente du verdict de la chambre d’appel après avoir été condamné à la perpétuité en première instance. La tâche confiée au magistrat congolais n’est pas seulement immense. Elle est aussi difficile. Notamment parce que certaines personnes mises en cause par de nombreuses organisations internationales des droits de l’Homme, comme les anciens présidents Michel Djotodia et François Bozizé, aujourd’hui en exil, gardent des liens dans les plus hautes sphères du pays. Si ces deux derniers sont a priori justiciables de la CPI qui a ouvert une enquête en 2014, il y a d’autres suspects qui « occupent (actuellement) même des positions de pouvoir ou d’influence », comme le déplorait, dans une récente interview avec JusticeInfo, Balkissa Ide Siddo, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty International. Or, du choix des poursuites que le procureur décidera d’engager, dépendra en partie la réconciliation du peuple centrafricain. Et l’œuvre de justice qu’il aura ainsi enclenchée sera un héritage de valeur pour le travail des juridictions nationales centrafricaines.

« Aucune conséquence pour les auteurs des crimes »

Dans un plaidoyer conjoint à la veille de la Table ronde des bailleurs de fonds de la Centrafrique qui s’est tenue le 17 novembre 2016, à Bruxelles, dix-sept organisations centrafricaines et internationales de défense des droits de l’Homme rappelaient que le pays « a été le théâtre de cycles répétés d’exactions terribles pendant plus d’une décennie, sans aucune conséquence pour les auteurs de ces crimes ». « Au bout de près d’une décennie de conflit intermittent, la République centrafricaine est entrée fin 2012 dans une spirale de violence, avec des groupes armés connus sous le nom de Seleka et d'anti-Balaka, qui ont commis de graves exactions contre des civils, dont des meurtres, des violences sexuelles et des destructions de biens, ce qui a entraîné des déplacements massifs », poursuivaient les 17 organisations, en exhortant les bailleurs de fonds à mettre la main sur la poche pour rendre opérationnelle la Cour pénale spéciale.  Selon les estimations, la CPI coûtera, pendant les cinq prochaines années, 40 millions de dollars américains. Sur cette somme, seuls 5 millions de dollars étaient déjà disponibles au moment de l’appel conjoint de ces organisations.

Si l’enquête ouverte par Cour pénale internationale basée à La Haye, « offre aux victimes une autre voie indispensable vers la justice, elle ne peut tout simplement pas résoudre plus d’une décennie de crimes relevant du droit international, car il est probable qu’elle ne ciblera qu’un petit nombre de suspects », expliquaient ces ONG dans une autre déclaration rendue publique le même jour. D’où elles misaient plus sur la Cour pénale spéciale.

L’autre souci exprimé alors par ces ONG, dont Human Rights Watch, Amnesty International et la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), concernait la sécurité des futurs acteurs de la Cour spéciale. « La sécurité pour le personnel judiciaire principal est aussi fondamentale : les juges, les procureurs et les avocats ne peuvent pas faire leur travail efficacement s’ils craignent pour leur sécurité », affirmaient ces organisations, soulignant que « la protection des victimes et des témoins est tout aussi critique ».

« Les groupes armés se substituent à l’appareil judiciaire »

Le travail de la Cour spéciale, en particulier celui du procureur et de son équipe d’enquêteurs, s’annonce d’autant plus difficile que la situation sécuritaire continue de se dégrader en Centrafrique, en dépit de la mise en place, il y a une année, d’institutions démocratiquement élues. « Force est de constater que peu de progrès ont été enregistrés en matière de restauration effective de l'autorité de l'Etat en dehors de Bangui, notamment en ce qui concerne les forces de sécurité et le personnel judiciaire et administratif en général », notait, le 8 février, l'experte indépendante des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Centrafrique, Marie-Thérèse Keita - Bocoum. « Les groupes armés règnent en maître sur plus de 60% du territoire, bénéficiant d'une totale impunité. Ils se substituent à l'appareil judiciaire, terrifient la population », ajoutait l’experte.

Parmi ces groupes armés, figure notamment l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) qui, dans son fief situé dans la préfecture de la Ouaka (centre), « commet des meurtres sans crainte de punition malgré la présence de forces de maintien de la paix des Nations unies », selon un communiqué publié jeudi 16 février par Human Rights Watch.   L'organisation américaine accuse l'UPC de commettre des « crimes de guerre ». Comment mener des enquêtes dans cette région sans risquer d’être victime des mêmes exactions ?