Gambie : la promesse d'une justice aux normes internationales

Gambie : la promesse d'une justice aux normes internationales©MTPI/Flickr
Hassan Bubacar Jallow lors de sa première visite à Srebrenica le 9 septembre 2014 en qualité de procureur du MTPI
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Pour donner la preuve de sa détermination à tourner la sombre page des nombreuses et diverses violations des droits de l’homme perpétrées sous son prédécesseur Yahya Jammeh, le nouveau président gambien, Adama Barrow, vient de nommer à la tête de la Cour suprême un ancien haut magistrat international. Le nouveau premier magistrat de la Gambie, Hassan Bubacar Jallow, promet une justice conforme aux attentes de ses concitoyens et aux normes internationales.

 «Après vingt-deux ans d'injustice et d'abus de pouvoir, des compétences sont requises pour faire en sorte qu'on sente que la justice est rendue ainsi qu'en vue de la réconciliation pour donner une chance à la paix» », a déclaré le président Barrow à la cérémonie de prestation de serment de Jallow, le 15 février.  «Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire en sorte que la justice soit conforme aux attentes de la communauté, aux normes internationales requises», a pour sa part promis le nouveau président de la Cour suprême.

A 66 ans, Hassan Bubacar Jallow a une très longue carrière de magistrat. Ce Gambien, qui a étudié le Droit à l’Université de Dar es‑Salaam (Tanzanie), à la Nigerian Law School (Nigéria) à l’University College London (Royaume-Uni), fait ses débuts en 1976 en tant que magistrat du parquet général à Banjul, avant d’être nommé Procureur général adjoint en 1982. De 1984 à 1994, il exerce les fonctions de Procureur général et de ministre de la Justice. En 2002, le secrétaire général de l’ONU le nomme juge de la Chambre d’appel du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), poste qu’il quittera en 2003 pour devenir Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à Arusha, en Tanzanie.

crédit UN/ONU

Il succède à la Suissesse Carla Del Ponte, qui reste procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Jallow restera procureur du TPIR jusqu’à la fermeture officielle de ce dernier fin décembre 2015. Depuis mars 2012, il cumulait ces fonctions avec celles de Procureur du Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI), un poste auquel il sera remplacé début 2016 par le Belge Serge Brammertz, également procureur du TPIY.

Courtois et discret

Ceux qui ont travaillé avec lui au bureau du procureur au TPIR gardent le souvenir d’un homme courtois et discret, n’aimant pas s’afficher aux premières loges. Des qualités que ne lui contestent pas les avocats de la défense. Ces derniers l’accusent néanmoins d’avoir enterré les enquêtes qu’avaient annoncées Carla Del Ponte sur les crimes qui auraient été commis en 1994 par des éléments de l’ancienne rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) actuellement au pouvoir à Kigali. Jallow rejette ces critiques en affirmant que son bureau a mené des enquêtes sur ces crimes et qu’un dossier en est sorti, qu’il a confié à la justice rwandaise. L’affaire impliquait des membres de l’ancienne rébellion, accusés du meurtre, en juin 1994, à Kabgayi, dans le centre du Rwanda, de 13 religieux catholiques, dont trois évêques. Au terme du procès, en octobre 2008, la justice militaire rwandaise a acquitté le général Wilson Gumisiriza et le major Wilson Ukwishaka et a condamné à 5 ans de prison les deux autres co-accusés, de rang inférieur. Mais dans une lettre adressée à Jallow le 14 août 2009, le directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW), Kenneth Roth, mettant en doute l’indépendance de la justice rwandaise dans cette affaire, estime que justice n’a pas été rendue.

D’autres encore reprochent à Jallow de ne pas avoir mené d’enquête sur l’assassinat, le 6 avril 1994, du président Juvénal Habyarimana, un événement considéré comme l’élément déclencheur du génocide des Tutsis. Le magistrat gambien a toujours rétorqué que cet assassinat ne rentrait pas dans le mandat du TPIR.

Membre de l’AGJA

Quelles que soient les critiques contre Jallow, une chose reste incontestable : il fait partie des personnalités ayant à ce jour contribué, à un très haut niveau, à l’édification de la justice pénale internationale. Une expérience qu’il avait voulu, au terme de sa longue carrière internationale, mettre à la disposition de son continent, notamment dans le cadre du Groupe africain pour la Justice et la fin de l’Impunité (AGJA –African Group for Justice and Accountability). Créé en novembre 2015 à La Haye, aux Pays-Bas, l’AGJA compte aujourd’hui douze personnalités, dont un autre ancien procureur du TPIR, le Sud –Africain Richard Goldstone, l’ancienne présidente du même tribunal et ex Haut -Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navanethem Pillay (également de nationalité sud-africaine).

Fin octobre 2016, l’AGJA avait appelé le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie à reconsidérer leurs décisions de se retirer de la CPI. « Les retraits de la CPI constituent un grave obstacle aux droits des victimes à la justice et à l’obligation pour les Etats de faire en sorte que des comptes soient rendus pour des atrocités de masse. Ils bloquent un important recours à la justice et compromettent la lutte mondiale contre l’humanité », avait souligné Jallow cité dans une déclaration de l’AGJA, en anglais.

L’ex-assistant de Jallow nommé ministre de la Justice

C’était à un mois de la dernière élection présidentielle qui allait mettre fin aux 22 ans de règne sans partage du président Yahya Jammeh. Battu par son opposant Adama Barrow, le président-marabout a d’abord tenté de s’accrocher au pouvoir. Il n’a cédé que sous la menace d’une intervention militaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). L’un des premiers actes du nouveau pouvoir a été d’annuler la décision de retrait de la CPI. Les nouvelles autorités ont ainsi annoncé avoir informé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, en sa qualité de dépositaire du statut de Rome, de leur décision d’interrompre le processus de retrait de cette Cour. Alors que les supporters de la CPI se réjouissaient encore de cette bonne nouvelle, Jallow était nommé président de la Cour suprême, un poste que Yahya Jammeh confiait à des magistrats étrangers à sa dévotion. Ce sont pourtant pas les compétences qui manquaient parmi ses concitoyens car, d’autres juristes gambiens s’étaient fait remarquer, dont Fatou Bensouda, l’actuelle procureure de la Cour pénale internationale (CPI).

La nomination de Jallow au poste de premier magistrat de la Gambie vient après celle de son ancien assistant au TPIR, Abubaccar Tambadou, qui devient ministre de la Justice. Lors de sa prestation de serment, Abubacarr Tambadou a promis une révision de la Constitution, visant notamment à garantir la liberté de la presse.