Refus d'arrêter el-Béchir: Pretoria a manqué à ses obligations (CPI)

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La Cour pénale internationale (CPI) a jugé jeudi que l'Afrique du Sud avait manqué à ses obligations en n'arrêtant pas sur son sol en 2015 le président soudanais Omar el-Béchir, poursuivi pour génocide au Darfour.

"La chambre conclut que (...) l'Afrique du Sud n'a pas respecté la requête de la Cour d'arrêter et de remettre Omar el-Béchir", a déclaré le juge Cuno Tarfusser, "empêchant ainsi la Cour d'exercer ses fonctions (...) en lien avec les procédures criminelles instituées contre" lui.

Les juges ont cependant refusé de renvoyer l'affaire devant le Conseil de sécurité de l'ONU, qui avait saisi en 2005 la CPI au sujet de la situation au Darfour, ni devant l'Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome (AEP), traité fondateur de la Cour.

M. Tarfusser a considéré cela "regrettable", critiquant vivement les Nations Unies, qui n'ont pas pris de mesures concernant six autres cas de renvoi dans l'affaire Béchir.

Les deux parties, la procureure Fatou Bensouda et l'Afrique du Sud, peuvent maintenant décider de faire ou non appel de cette décision, ce qu'examineront les experts juridiques sud-africains, a précisé à l'AFP Bruce Koloane, ambassadeur sud-africain aux Pays-Bas.

Jamais inquiété jusqu'à présent, Omar el-Béchir est visé par deux mandats d'arrêt internationaux émis par la CPI en 2009 et 2010 pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour, province de l'ouest du Soudan en proie depuis 2003 à une guerre civile qui a fait 330.000 morts, selon l'ONU.

Une âpre bataille judiciaire sévit entre Pretoria et la CPI depuis qu'à la mi-juin 2015, les autorités sud-africaines ont laissé Omar el-Béchir rentrer chez lui après sa participation à un sommet de l'Union africaine à Johannesbourg.

En permettant à son avion de décoller d'une base militaire, le gouvernement, qui avait l'occasion de l'arrêter, "a choisi de ne pas le faire", avait affirmé l'accusation en avril.

- Pas d'immunité -

Le gouvernement sud-africain assure s'être retrouvé partagé entre le respect des règles de la CPI et celui de sa propre législation qui garantit l'immunité présidentielle.

Mais pour les juges, les obligations internationales des Etats Parties ne peuvent "simplement pas être mises de côté" lorsqu'un pays n'est pas d'accord avec elles.

En cette affaire, le président soudanais ne bénéficiait d'aucune immunité, a jugé la Cour basée à La Haye.

Victime et défenseur des droits de l'Homme, Yousif Fasher, 30 ans, s'est dit "heureux" du prononcé auquel il a assisté à La Haye: "Nous n'avons pas vu de résultat tangible depuis longtemps de la part de la CPI pour l'arrêter".

"Les autorités d'Afrique du Sud ont retiré aux victimes une importante opportunité d'obtenir justice", a commenté Netsanet Belay, directeur de la recherche et des actions de plaidoyer pour l'Afrique d'Amnesty International. "Le plus important est que cet échec honteux ne soit jamais répété."

Car le président soudanais continue de voyager dans certains pays sans être inquiété. Khartoum a d'ailleurs annoncé lundi qu'il se rendrait à Moscou en août en réponse à l'invitation de Vladimir Poutine.

- 'Nation-pourriture' -

Fondée en 2002, la Cour ne dispose pas de force de police propre pour arrêter les suspects qu'elle recherche et repose ainsi sur les Etats pour l'exécution des mandats d'arrêt internationaux qu'elle publie.

Tandis que 124 pays ont signé le Statut de Rome, elle se bat pour renforcer sa légitimité. Confrontée l'année dernière à l'annonce d'une série de retraits sans précédents d'Etats Parties, la CPI est accusée de "persécution envers les Africains" par plusieurs pays du continent, où ses magistrats ont ouvert neuf de leurs dix enquêtes.

Le président sud-africain Jacob Zuma a réitéré la semaine dernière l'intention de Pretoria de se retirer de la CPI, bien qu'en février, la justice nationale avait ordonné au gouvernement de revenir sur cette décision.

Et le jugement de jeudi "ne changerait pas nécessairement notre position", a réagi Edna Molewa, responsable des relations internationales du parti au pouvoir ANC.

Saluant cette "mise en cause du gouvernement", le président du principal parti d'opposition, l'Alliance Démocratique, James Selfe, s'est montré inquiet face à la détermination persistante de Pretoria à quitter la Cour.

"L'ANC semble déterminée à reléguer l'Afrique du Sud au rang de nation-pourriture qui protège les hors-la-loi et les corrupteurs de ce monde", a-t-il regretté.