Des villes martyres de Srebrenica et Sarajevo au fief nationaliste serbe de Pale, la Bosnie-Herzégovine attendait mercredi le verdict contre Ratko Mladic.
Quelle que soit la décision du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) contre l'ancien chef des forces serbes de Bosnie, l'opinion de chacun est faite dans ce petit pays pauvre et fragile de 3,5 millions d'habitants.
Pour les Bosniaques musulmans qui représentent une grosse moitié de la population, Ratko Mladic est le "boucher" du siège de Sarajevo et du massacre Srebrenica, épisodes les plus sombres d'une guerre intercommunautaire qui a fait plus de 100.000 morts et 2,2 millions de déplacés.
Trois grands écrans ont été installés dans une salle du mémorial de Potocari, près de Srebrenica (est), tout près des milliers de stèles blanches qui rappellent que dans les bois et collines environnants a eu lieu le pire massacre commis sur le sol européen depuis la Deuxième guerre mondiale.
Plus de 8.000 hommes et adolescents bosniaques y avaient été assassinées en quelques jours de juillet 1992 par les forces serbes, tuerie considérée comme un acte de génocide par la justice internationale.
- 'Perpétuité' -
"Je souhaite justice et la justice serait la prison à perpétuité. Même si la justice ne serait pas faite même s'il vivait 1.000 fois et écopait autant de fois de peines à perpétuité", dit Ajsa Umirovic, 65 ans, qui a perdu 42 membres de sa famille. "Regardez là-bas", dit-elle en montrant l'alignement de stèles, "il devrait recevoir la perpéuité ne serait-ce que pour une seule famille".
Il faut qu'il soit "puni pour le génocide de Srebrenica, pour les crimes de Prijedor, de Sarajevo et de toute la Bosnie", énumère une femme d'une soixantaine d'années qui ne veut pas donner son nom, vêtue de noir et qui sort d'un magasin de Bratunac, commune proche à majorité serbe.
A Sarajevo, les façades de nombreux immeubles sont encore trouées d'impacts d'obus, rappel d'un siège de 44 mois, l'un des plus longs de l'histoire. Plus de 10.000 personnes, dont 1.500 enfants, y sont tombés entre 1992 et 1995, tués par les balles des snipers et les obus qui pleuvaient des hauteurs tenues par les forces de Mladic.
Le marché de Markale fonctionne normalement ce mercredi. Il fut le théâtre de deux bains de sang avec 68 morts en février 1994 et 37 en août 1995. Les noms des victimes sont inscrites sur un mur rouge. Une dame âgée aligne les panais qu'elle compte vendre: "Si ça ne tenait qu'à moi, je le pendrais, parce que j'ai souffert comme personne, je ne peux même pas en parler", dit-elle, refusant de donner son nom.
Ce "jugement arrive trop tard", regrette Safet Kolic, un vendeur de vêtements. A ses yeux, Mladic "a détruit un peuple en lui faisant commettre un génocide, et un autre en lui faisant subir un génocide".
- 'Légende du peuple serbe' -
Dans les hauteurs à une quinzaine de kilomètres de là, à Pale, ex-fief du criminel de guerre Radovan Karadzic, le ton est radicalement différent. Pour Robert Stosic, 47 ans, il aurait fallu que Mladic "prenne le pouvoir et fonde un Etat" des Serbes de Bosnie, "avec un pouvoir serbe et de droits pour les autres".
Le chef politique de l'entité des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik, a annoncé la couleur dès mardi soir: "Quel que soit le verdict (...) Ratko Mladic reste une légende du peuple serbe. "Il était condamné avant même d'arriver à La Haye", dit Neven Krunic, 61 ans, un ouvrier du bâtiment.
Dans cette ville de montagne sans âme, parsemée de monuments commémorant la guerre et où se sont installés des Serbes qui ont quitté Sarajevo, peu acceptent de parler aux étrangers. Mais Mladic y reste un héros.
Ratko Mladic, 74 ans, est poursuivi pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre lors de la guerre de Bosnie (1992-1995), qui a fait plus de 100.000 morts et 2,2 millions de déplacés.