Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) se prononce pour la toute dernière fois mercredi en rendant son jugement en appel contre six ex-dirigeants et chefs militaires des Croates de Bosnie, accusés d'atrocités contre les populations musulmanes pendant la guerre de Bosnie.
Il s'agit du dernier arrêt du tribunal basé à La Haye avant la fermeture de ses portes, une semaine après avoir condamné à la perpétuité le "Boucher des Balkans", Ratko Mladic, ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
Parmi les derniers jugés, figure l'ex-dirigeant des Croates de Bosnie Jadranko Prlic, en procès devant le TPIY depuis 2006. Âgé aujourd'hui de 58 ans, il avait été condamné en 2013 à 25 ans de prison pour avoir mené le transfèrement de populations musulmanes en Bosnie et avoir eu recours à des meurtres, des viols et des destructions de biens civils dans le but de créer une "grande Croatie".
Avec les cinq autres anciens hauts responsables militaires et politiques des Croates de Bosnie, il avait été jugé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis lors de cette guerre (1992-1995) qui a fait plus de 100.000 morts et 2,2 millions de déplacés.
Après la condamnation historique de Ratko Mladic, le jugement de Jadranko Prlic est "aussi un jugement important", souligne le procureur du TPIY, Serge Brammertz, qui a requis en mars quarante ans de prison en appel contre l'ex-dirigeant des Croates de Bosnie.
"Il y a beaucoup d'attention venant de la communauté croate par rapport à cette affaire, également de Zagreb", a-t-il commenté.
- Un des plus longs procès -
Le procès Prlic et consorts était l'un des plus longs et complexes du TPIY, mentionnant 326 témoins, 465 jours d'audience et 2.600 pages du premier jugement.
En 2013, les cinq co-accusés de M. Prlic avaient été condamnés à des peines allant de dix à vingt ans de prison. Une peine de quarante ans de prison a été requise en appel contre trois d'entre eux, Bruno Stojic, ancien ministre de la Défense, Slobodan Praljak, ancien officier supérieur dans l'armée croate, et Milivoj Petkovic, ancien responsable des forces armées d'Herceg-Bosna.
Tous les six "ont joué un rôle-clé dans l'entreprise criminelle commune pour créer une domination croate": "ils en étaient les architectes", avait souligné Barbara Goy, représentante du procureur, lors des réquisitions en appel.
L'avocat du principal accusé, Michael Karnavas, avait qualifié ces débats de "ridicules", étant donné que "nous n'acceptons pas la notion selon laquelle M. Prlic était impliqué dans une entreprise criminelle commune".
"Des dizaines de milliers de musulmans ont été expulsés de leur maison... des milliers ont été arrêtés et détenus dans d'horribles conditions", a poursuivi Mme Goy.
"Des musulmans ont été tués lors d'attaques ou lorsqu'ils étaient forcés de travailler au front. Ils ont été violés", leurs "maisons et mosquées détruites", a-t-elle déclaré.
- Le pont de Mostar -
La guerre de Bosnie a essentiellement opposé les musulmans aux Serbes, mais Croates et musulmans se sont également combattus.
Le général Praljak, 72 ans, est accusé d'avoir ordonné en novembre 1993 la destruction du Vieux pont de la ville mixte croato-musulmane de Mostar (sud de la Bosnie), joyau de l'architecture ottomane du XVIe siècle.
D'abord président de la Communauté croate de Herceg-Bosna, M. Prlic était le Premier ministre de la République croate de Herceg-Bosna, entité croate unilatéralement proclamée dans le sud-ouest de la Bosnie-Herzégovine.
Les nationalistes croates convoitaient cette région, et notamment la ville de Mostar, un des symboles du caractère multiethnique de la Bosnie avant la guerre. Les soldats croates y ont systématiquement chassé les musulmans, et bloqué le passage de l'aide humanitaire.
L'éphémère république autoproclamée d'Herceg-Bosna a été dissoute peu avant les accords de paix de 1995 et son territoire a été intégré à la Fédération croato-musulmane, entité qui forme, avec la Republika Srpska (entité serbe), la Bosnie d'après-guerre.
C'est également le théâtre de la dernière séance du TPIY. Né au coeur du conflit des Balkans, le tribunal ferme le mois prochain après près d'un quart de siècle consacré à entendre et juger ceux qui ont commis les pires atrocités en Europe depuis la Seconde guerre mondiale.