Pérou: menacé de destitution, le président Kuczynski se défend au Parlement

Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski joue jeudi sa survie politique face à un Parlement contrôlé par l'opposition: après y avoir répondu d'accusations de corruption liées à un scandale éclaboussant la région, il risque d'être destitué dans la foulée par un vote.

"PPK", comme on le surnomme, deviendrait alors le premier chef de l'Etat débarqué pour ses liens avec Odebrecht, le géant du BTP brésilien qui a reconnu avoir payé près de cinq millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l'Etat, alors ministre, entre 2004 et 2013.

Pour que le président soit destitué, 87 voix sur 130 parlementaires sont nécessaires. Dans ce cas, son premier vice-président, Martin Vizcarra, prendrait sa place jusqu'à la fin du mandat en cours, le 28 juillet 2021.

Mais ce qui semblait à l'origine n'être qu'une formalité, 93 législateurs ayant approuvé l'ouverture du processus, ne serait plus aussi certain, jugeaient jeudi après-midi les analystes et des sources proches du gouvernement péruvien.

"Il semblerait que dans les dernières heures, ils (l'entourage du président, ndlr) aient réussi à convaincre certains parlementaires de gauche (...). Il y a trois jours, j'aurais dit que le sort du président était scellé. A présent, je n'en suis pas si sûr", a déclaré à l'AFP un haut fonctionnaire proche du chef de l'Etat sous couvert d'anonymat.

Un sentiment partagé par le cabinet d'analyse Eurasia Group, pour qui les "chances de survie" de M. Kuczynski étaient remontées après la menace de démission des deux vice-présidents en cas de destitution. "Ce qui conduirait à de nouvelles élections et ferait réfléchir à deux fois les législateurs (...) qui ont peur de ne pas être réélus dans un climat de colère" de la population.

- 'La démocratie en jeu' -

"Je viens prouver mon innocence", a déclaré M. Kuczynski en ouverture de son discours, peu après 14h30 GMT. Durant près de deux heures trente, il a détaillé sa défense avec son avocat devant le Parlement unicaméral réuni en séance plénière, expliquant qu'aucun des paiements du groupe de bâtiment n'était illégal.

Son intervention était suivie d'un débat qui durait déjà depuis plus de cinq heures, une centaine de parlementaires souhaitant intervenir. Le vote n'était pas attendu avant plusieurs heures.

"Ce qui est en jeu, c'est la démocratie que le Pérou a eu tant de mal à récupérer", a-t-il ajouté, avant de demander "pardon" pour son manque de rigueur dans la déclaration de ses activités de l'époque.

"Le mal, vous ne me le feriez pas à moi mais au Pérou", a conclu PPK, 79 ans, assurant être "un homme honnête" qui n'a "jamais reçu un pot-de-vin".

Le président péruvien est en poste depuis juillet 2016, après avoir battu de peu Keiko Fujimori, la fille de l'ex-chef de l'Etat Alberto Fujimori (1990-2000), emprisonné pour crime contre l'humanité et corruption. Elle dirige depuis l'opposition.

- 'Tous corrompus' -

Dans un message diffusé mercredi soir à la radio et à la télévision, M. Kuczynski a qualifié la procédure engagée contre lui de "coup d'Etat".

Ancien banquier de Wall Street âgé de 79 ans, M. Kuczynski avait nié dans un premier temps tout lien avec Odebrecht, avant d'être démenti par l'entreprise elle-même. Phrasé posé, cheveux gris et fines lunettes, ce cousin du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard a occupé de nombreux postes à responsabilité durant sa carrière, passant du public au privé.

Le gigantesque scandale de corruption Odebrecht a touché, outre le Brésil et le Pérou, des pays comme l'Equateur, le Mexique, le Panama et le Venezuela.

La semaine dernière, le vice-président équatorien Jorge Glas s'est vu infliger six ans de prison pour avoir perçu pour plusieurs millions de dollars de pots-de-vin du groupe brésilien.

La chef de l'opposition Keiko Fujimori est également sous le coup d'une enquête dans le cadre du dossier Odebrecht. Appelée à témoigner devant le parquet mercredi, elle a demandé le report de son audition.

Signe de la méfiance des Péruviens envers leurs dirigeants, des milliers de personnes ont défilé mercredi à Lima pour exiger le départ de "tous les corrompus".

Au Pérou, l'ex-président Ollanta Humala (2011-2016) est en détention provisoire, accusé d'avoir reçu trois millions de dollars d'Odebrecht lors de sa campagne électorale.

Un autre ancien président, Alejandro Toledo (2001-2006), est lui visé par un mandat d'arrêt et une demande d'extradition. Soupçonné d'avoir perçu 20 millions de dollars, il se trouve actuellement aux Etats-Unis.

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