Pourquoi la Cour Pénale internationale chôme faute de nouveaux procès

Pourquoi la Cour Pénale internationale chôme faute de nouveaux procès©ICC/CPI
Des chambres flambant neuves mais souvent désertées faute d'accusés
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Les salles d’audience de la Cour pénale internationale (CPI) sont, depuis plusieurs semaines, passablement désertées. Seules une dizaine d’audience devraient s’y dérouler en mai. Et aucun procès n’est pour l’heure inscrit au calendrier des trois mois suivants.La Cour pénale internationale (CPI) pourrait ainsi connaître une période de « chômage technique » dans les prochaines années et ses salles d’audience flambant neuves seront désertées en 2019 et 2020.

 Les trois procès en cours devant les chambres de première instance ont tous franchi une nouvelle étape début 2018. Le procureur devrait, au cours de l’été, prononcer son réquisitoire contre le milicien congolais Bosco Ntaganda, poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en 2002 et 2003 en Ituri, région minière de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans le procès intenté contre Dominic Ongwen, ex commandant de l’Armée de résistance du Seigneur jugé pour les crimes commis dans le Nord de l’Ouganda entre 2002 et 2004, le procureur a appelé son dernier témoin mi-avril. Les représentants des victimes s’apprêtent à appeler quatre témoins à la barre à partir du 1er mai, avant de laisser la parole à la défense. Dans l’affaire Laurent Gbagbo / Charles Blé Goudé, le dernier témoin de l’accusation a comparu le 19 janvier. L’ex président ivoirien et son ancien ministre demandent tous deux le « non-lieu ». Pour l’heure, le calendrier précis de la suite du procès n’a pas encore été fixé. La Cour devrait aussi prononcer son arrêt dans l’affaire Jean-Pierre Bemba. L’ex-vice-président de la RDC a été condamné en juin 2016 à 18 ans de prison pour des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en Centrafrique en 2002 et 2003 et avait fait appel. Deux ans plus tard, les juges n’ont toujours pas tranché. Enfin, la Cour devrait se prononcer dans l’année sur la demande d’enquête de la procureure, déposée depuis déjà cinq mois, concernant les crimes commis en Afghanistan. Si la Cour devrait être à cours de procès, de nombreuses enquêtes sont toujours en cours, en Libye, en Géorgie, en Centrafrique, au Burundi… Et la procureure a récemment ouvert des examens préliminaires visant les Philippines et le Venezuela, qui s’ajoutent à ceux en cours, dont les crimes présumés en 2014 à Gaza.

Au moins quinze suspects attendus

Même avec la livraison opportune à La Haye, le 31 mars 2018, du touareg malien Al Hassan Ag Abdoul Aziz, poursuivi pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis lors de l’occupation de Tombouctou en 2012, le calendrier de la Cour s’annonce clairsemé. Les audiences de confirmation des charges doivent débuter le 24 septembre au plus tôt. Et les juges auront ensuite trois mois pour décider d’une mise en accusation. En moyenne, une fois un suspect transféré à La Haye, il faut compter deux ans avant l’ouverture d’un procès (la procédure avait pris 4 ans et 2 mois pour Laurent Gbagbo, 11 mois pour Ahmed Al Mahdi, et autour de deux ans pour les autres). Seize ans après avoir ouvert ses portes à La Haye, la Cour, qui prévoyait une pleine activité, tourne donc au ralenti. Comment en est-on arrivé là ? Directeur adjoint de la Fondation Wayamo et auteur de « Justice in Conflict », Mark Kersten identifie plusieurs facteurs. Outre l’échec de plusieurs affaires, dont les plus emblématiques sont celles visant des responsables kenyans, le chercheur estime que « le premier [facteur], un Procureur prudent et méthodique, qui pratique souvent ce que j’appelle ‘l’opportunisme de la poursuite’, ne ciblant les individus que lorsque l’affaire contre eux est prête pour le procès et lorsqu’ils sont susceptibles d’être remis rapidement [à la Cour]. » Depuis le début de son mandat il y a six ans, la procureure Fatou Bensouda a ouvert deux enquêtes – au Mali et en Géorgie – et demandé l’émission d’au moins quatre mandats d’arrêt (d’autres mandats sont émis sous scellés pour faciliter les arrestations). « Deuxièmement, poursuit Mark Kersten, le fait que le zèle de la communauté internationale pour la justice pénale internationale, en particulier dans l’exécution des mandats d’arrêt, a considérablement diminué ces dernières années ».

Stratégie d’arrestation

Au moins quinze mandats d’arrêt émis par la Cour depuis 2002 n’ont toujours pas été exécutés, dont ceux émis contre le président du Soudan, Omar Al Bachir, qui continue de snober La Haye lors de ses déplacements à l’étranger, sur le territoire d’Etat parties à la Cour, censés coopérer avec elle. Après plusieurs années passées à Zintan, dans l’ouest de la Libye, Saïf Al Islam Kadhafi, le fils de feu le Guide libyen, se présente désormais en nouveau recours pour le pays, s’exprimant régulièrement depuis un lieu gardé secret. Qualifié de « premier ministre de facto » par la Cour au moment de la guerre en Libye, en 2011, et désormais surnommé « le candidat fantôme » de la Libye, il fait l’objet d’un mandat de la Cour depuis 2011. La Côte d’Ivoire a toujours refusé de livrer Simone Gbagbo à La Haye. L’ex première dame a été condamnée dans plusieurs procès organisés à Abidjan, mais acquittée des charges de crimes contre l’humanité. Voilà pour le trio de VIP attendu à La Haye, mais d’autres mandats visant ministres et miliciens de moindre renom restent sans effet. Le plus ancien mandat, émis il y a 13 ans, vise Joseph Kony, sinistre chef de la LRA, l’Armée de résistance du Seigneur, traqué pendant des années par les armées ougandaise, centrafricaine et congolaise, avec l’appui de forces américaines. Seul l’un de ses commandants, Dominic Ongwen, est tombé - presque par hasard – dans ce vaste, long et couteux filet. En 2014, un « plan d’action » était proposé à l’Assemblée des Etats parties, qui depuis des années n’en fini pas de plancher sur les meilleures méthodes d’arrestation. Le rapport, rédigé par un délégué italien, analysait notamment les stratégies d’arrestation mise en œuvre dans différents forums de justice internationale. Il relevait que les tribunaux ad hoc « adoptent une approche pratique pour les arrestations (…) en prenant une part active à la localisation des fugitifs et en demandant aux autorités locales de procéder à des arrestations sur la base d’informations solides », mais soulignait que « la Cour semble plutôt insister sur le devoir des États requis de satisfaire à leurs obligations juridiques. Cette approche souligne l’absence - et la nécessité - au sein du Bureau du Procureur de la Cour d’une équipe de localisation » des fugitifs.

 Fatou Bensouda

Un colosse fragile

Il notait encore la « prééminence de la dimension juridique sur la dimension opérationnelle » et estimait que « le Procureur passe ainsi à côté d’un outil important de collecte d’informations susceptibles de révéler les raisons de l’échec de certaines opérations et de lui permettre d’aborder avec plus d’assurance les questions de non-coopération lors de ses rencontres de haut niveau. » Un groupe de travail réunissant des membres du Greffe et du bureau du Procureur a bien été mis sur pied, mais sans grand succès jusqu’ici. On serait loin de l’outil préconisé en 2014, sur lequel les Etats membres de la Cour avait promis de plancher plus avant. Pour Mark Kersten, la CPI est néanmoins globalement impuissante. « Une constellation de facteurs à la fois juridiques et politiques doit être réunie » pour que des arrestations aient lieu. « Le mieux que la CPI puisse faire est de présenter les affaires les plus convaincantes possibles, juridiquement et politiquement, pour la remise des suspects qu’elle cible et communiquer clairement sur le fait que le reste est hors de son contrôle. » Lors de la dernière Assemblée des Etats parties en décembre 2017, la procureure Fatou Bensouda, prévenait que « l’ensemble de l’appareil judiciaire de la Cour peut être frustré et suspendu à moins que les personnes recherchées par la CPI comparaissent devant elle. » Alors président de l’Assemblée des Etats parties, Sidiki Kaba rappelait que la Cour « n’a ni police, ni gendarmerie, ni armée » et que sans la coopération des Etats, elle « ne serait qu’un colosse fragile amputé de ses moyens d’action ». En attendant, la longue liste des scènes de crimes s’allonge en Syrie, en Afghanistan, au Nigeria, en Birmanie et ailleurs.