Les leviers de la Cour Pénale Internationale sur les juridictions nationales, selon HRW

Les leviers de la Cour Pénale Internationale sur les juridictions nationales, selon HRW©CPI/ICC
La procureure de la CPI au "Global Summit to End Sexual Violence in Conflict"
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Dans un rapport publié le 3 mai, Human Rights Watch (HRW) étudie l’impact des examens préliminaires de la Cour pénale internationale (CPI) sur les justices nationales. L’organisation de défense des droits de l’Homme passe au crible quatre cas – la Guinée, la Colombie, la Géorgie et le Royaume uni – et propose des pistes au Procureur pour affiner sa stratégie.

 Lors de l’émission de mandats d’arrêt contre lui en 2009 et 2010, le président soudanais avait fustigé une Cour de l’étranger, et revendiqué la souveraineté du pays en assurant qu’il conduirait des procès sur son territoire et devant ses tribunaux. Espérant échapper au regard de la Cour, Omar Al Bachir donnait ainsi une légitimité à l’objectif ultime de la Cour  pénale internationale : la lutte contre l’impunité. Le Statut de Rome prévoit que la Cour n’a pas primauté. Qu’il appartient en premier lieu aux Etats de juger les auteurs de crimes de masse. Et que la CPI n’intervient que s’ils n’en ont ni la capacité, ni la volonté politique. Au fil de ses premières années d’exercice, la Cour a développé une politique de complémentarité pour inciter les Etats à juger devant leurs propres tribunaux. Pour ce faire, elle dispose d’un levier clé : les examens préliminaires. Etape préalable à l’ouverture d’une enquête, les examens préliminaires agissent comme « une épée de Damoclès ». S’ils veulent échapper aux enquêtes de la Cour, les Etats doivent faire juger les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre devant leurs tribunaux. C’est la puissance de ce levier contre l’impunité qu’Human Rights Watch passe au crible dans Pressure point: The ICC’s impact on national justice. L’organisation s’est concentrée sur quatre cas - la Guinée, la Colombie, la Géorgie et le Royaume uni – pour dresser un état des lieux et fournir pas moins de douze pages de recommandations.

Le risque de l’instrumentalisation

Pour Human Rights Watch, le défi majeur du Procureur est d’éviter l’instrumentalisation de la procédure. Le risque de voir les Etats se lancer dans des enquêtes de façade pour « empêcher l’intervention de la CPI » est bien réel, estime l’organisation de défense des Droits de l’Homme, qui explique que « la période d’examen préliminaire peut être manipulée par les autorités nationales ». Dès lors, ajoutent les auteurs du rapport, le Bureau du Procureur (BdP) « doit trouver un équilibre entre donner de l'espace aux autorités nationales, tout en continuant à s’engager et à agir si les autorités nationales ne le font pas ». Une fragile mécanique, car le temps laissé aux justices nationales a aussi un coût. Si faute d’action concrète d’un Etat, le procureur décide finalement d’ouvrir des enquêtes, elles seront, le temps passant, plus difficiles à conduire. De plus, ajoute HRW, si les autorités nationales parviennent à « entraver l’action de la CPI, cela affaiblit l'influence du BdP auprès des autorités nationales et le BdP risque de légitimer l'impunité aux yeux des partenaires clés sur la complémentarité. » Car pour Human Rigths Watch, le bureau du procureur, même s’il est seul à disposer du levier des examens préliminaires, a besoin du concours d’acteurs essentiels, dont la société civile et la communauté internationale, « en particulier lorsqu'il y a des intérêts politiques puissants contre la justice ». L’organisation recommande dès lors à la procureure de faire preuve de transparence, pour maintenir la pression sur les Etats ciblés et parce qu’« en l'absence de cette transparence, de longues périodes d'examen préliminaire peuvent apparaître à la société civile locale et à d'autres parties prenantes comme une tactique dilatoire du Bureau du Procureur, sapant la volonté de ces acteurs d'agir en tant que partenaires stratégiques. »

Retrouver une crédibilité

A ce jour, la procureure Fatou Bensouda conduit dix examens préliminaires. Certains courent depuis plusieurs années. C’est le cas de la Guinée. Le 28 septembre 2009, un massacre était perpétré au stade de Conakry, faisant au moins 156 morts. Le Bureau du procureur décidait alors d’ouvrir un examen préliminaire, incitant le pays à conduire des enquêtes. La procédure a été suivie pas à pas par la procureure, jusqu’à la mise en accusation par la justice guinéenne de douze personnes, en décembre dernier, dont l’ex-président Moussa Dadis Camara. L’avenir dira si elles seront effectivement jugées. Mais le cas guinéen pourrait faire école, tandis que d’autres examens conduits par le bureau du procureur se sont révélés inopérants, et relevaient plus d’une politique de communication que d’une véritable stratégie. En 2013, Fatou Bensouda revoyait néanmoins sa politique pénale générale sur les examens préliminaires. Le levier de la complémentarité ne peut être pleinement efficace que si la Cour est crédible, si la menace est réelle. Selon HRW, si la menace d’une enquête a inquiété les autorités guinéennes, « en Colombie, en Géorgie et au Royaume-Uni, les personnes interrogées ont indiqué que les autorités nationales ne s'inquiétaient guère de la perspective d'une enquête de la CPI ». Selon les recherches de l’organisation, ni le Royaume uni, menacé d’une enquête sur les crimes présumés commis par ses forces armées en Irak, ni la Colombie, n’ont cru que la Cour ouvrirait une enquête. « Et en Géorgie, les gouvernements successifs ont simplement cessé de se préoccuper de la participation de la CPI une fois qu'il est devenu clair qu'elle ne pouvait pas être manipulée (soit pour poursuivre les exactions russes ou, une fois l'opposition au pouvoir, les anciens responsables géorgiens) ». Dans ses nombreuses recommandations, HRW suggère ainsi à la procureure d’avoir une approche plus proactive au Royaume uni et ailleurs, soulignant que « l’engagement de la CPI n’a pas en soit, incité ou influencé les procédures nationales de manière significative ». Les rapporteurs estiment néanmoins que l’examen préliminaire de la Cour « a peut-être découragé les autorités britanniques d'interrompre les enquêtes sur les abus potentiels des forces armées britanniques en Irak ». Au fond, Human Rights Watch invite tout simplement la Cour à user des pouvoirs dont elle dispose, sans toutefois « surestimer les perspectives de succès ».