Au Brésil, les dictateurs approuvaient personnellement les exécutions

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L'exécution d'opposants à la dictature militaire au Brésil (1964-1985) émanait d'ordres venant directement du palais présidentiel et les Etats-Unis étaient au courant, révèle un rapport de la CIA qui a suscité de vives réactions dans un pays où les tortionnaires n'ont jamais été jugés.

Dans la case "sujet" de ce rapport largement diffusé vendredi dans la presse brésilienne, un titre évocateur : "Décision du président brésilien Ernesto Geisel de donner suite aux exécutions sommaires d'éléments dangereux et subversifs sous certaines conditions".

Président du Brésil de 1974 à 1979, Ernesto Geisel, décédé en 1996, fut l'avant-dernier chef des années de plomb au Brésil, et avait jusqu'ici la réputation d'être plus ouvert que ses prédécesseurs, s'opposant aux membres de la "ligne dure" du régime.

Mais d'après le rapport de la CIA, il a affirmé au général Joao Baptista Figueiredo, chef du service National de Renseignement (SNI) - qui lui succédera cinq ans plus tard à la tête de l'Etat - que les exécutions sommaires, déjà pratiquées sous ses prédécesseurs, devaient continuer.

Le document, daté du 11 avril 1974, a été rendu public en 2015, mais son contenu était jusqu'ici resté inaperçu, avant d'être repéré par le chercheur brésilien Matias Spektor, de la Fondation Getulio Vargas.

Il a été rédigé par le directeur de la CIA de l'époque, William Colby, à l'intention du secrétaire d'Etat Henry Kissinger.

"Il s'agit du document le plus perturbant que j'aie jamais lu en vingt ans de recherches", a affirmé ce professeur en relations internationales sur Facebook.

"Le 1er avril (1974), le président Geisel a affirmé au général Figueiredo que cette politique devait se poursuivre, mais qu'il fallait prendre de grandes précautions pour s'assurer que seuls les éléments subversifs dangereux soient éliminés", affirme le rapport, ajoutant que "104 personnes appartenant à cette catégorie" avaient été exécutées l'année précédente.

- "Politique d'extermination" -

La Commission Nationale de la Vérité (CNV), créée en 2011 pour mettre en lumière les exactions de la dictature militaire, a révélé à l'issue de trois ans d'enquête que 434 personnes sont mortes ou ont été portées disparues durant cette période.

Mais le Brésil, contrairement à d'autres pays latino-américains ayant également subi des régimes militaires dans les années 1970 et 1980, n'a jamais jugé les responsables de ces exactions, en raison d'une loi de 1979 qui octroie l'amnistie à des policiers ou militaires accusés de bafouer les droits de l'Homme.

Ces exactions ont longtemps été attribuées à des groupes isolés échappant au contrôle de l'Etat, une vision battue en brèche par le rapport.

"Ce document est extrêmement important car il montre ce que nous disions depuis longtemps: la répression n'était pas souterraine, il y avait une politique d'Etat d'extermination", a expliqué à l'AFP Rogério Sottili, directeur de l'Institut Vladimir Herzog, une des victimes les plus emblématiques de la dictature.

Le fils de cet ancien journaliste, Ivo Herzog, a envoyé vendredi une lettre au ministère des Affaires étrangères du Brésil réclamant que soit sollicité aux Etats-Unis la levée du secret de l'ensemble des documents concernant la dictature militaire de son pays.

Au Brésil, pays qui vit aujourd'hui une profonde crise institutionnelle aggravée par une insécurité, des nostalgiques des années de plomb ont de plus en plus voix au chapitre.

C'est le cas du sulfureux député d'extrême-droite Jair Bolsonaro, en deuxième position des intentions de vote pour l'élection présidentielle d'octobre, qui a jeté de l'huile sur le feu dans une interview à la radio Super Noticia de Belo Horizonte.

Pour lui, la CIA a mal interprété les déclarations de Geisel. Il a ajouté, sur un ton provocateur: "qui n'a jamais donné une fessée à son fils et s'en est voulu par la suite?".