Espagne : procès imminent de quatre chefs de l'ETA pour crimes contre l'humanité

A peine dissoute après presque 60 ans d’existence et 858 personnes assassinées - leur adieu a eu lieu dans le cadre d’une très officielle mise en scène à Cambo-les-Bains, en France, le 4 mai-, l’organisation séparatiste basque n’en a malgré tout pas fini avec ses ennuis judiciaires.

Espagne : procès imminent de quatre chefs de l'ETA pour crimes contre l'humanité©Pierre-Philippe Marcou/AFP
Manifestation de parents de victime de l'ETA à Madrid (photo d'archive septembre 2012)
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Non seulement en raison de ses nombreux prisonniers restants en Espagne (245) et en France (50), dont le sort dépend du bon-vouloir du chef de l’exécutif Mariano Rajoy, à qui beaucoup exigent le rapprochement de ces mêmes détenus vers des geôles du Pays basque. Mais aussi du fait d’une vieille demande judiciaire qui est sur le point de prend corps sous la forme d’un imminent procès : une accusation de crimes  contre l'humanité contre quatre chefs d’ETA (Euskadi Ta Alkatasuna, Terre et Liberté), en l’occurrence José Antonio Urrutikoetxea, alias Josu Ternera; Garokoitz Aspiazu Rubina dit Txeroki ; Mikel Carrera Saroben, Ata; et Angel Iriondo Yarza, Gurbitz. Le week-end dernier, l’Audiencia nacional -l’instance judiciaire qui à Madrid s’occupe des affaires de terrorisme-, a indiqué que «tout est en place» pour la tenue de leur procès.
L’affaire remonte déjà à quelques années : en 2013, l’association de victimes du terrorisme basque Dignidad y Justicia (Dignité et Justice) intente un procès contre des dirigeants d’ETA pour crimes contre l'humanité. Le motif de «génocide», que les parents de victimes auraient souhaité,  est aussitôt repoussé sur le plan légal par l’Audiencia Nacional : impossible d’«identifier le groupe des victimes d’ETA comme un groupe national, car victimes et bourreaux sont autant Espagnols les uns que les autres»; en outre, la jurisprudence établit que les séparatistes armés ne se sont pas attaqués à des «groupes raciaux, ethniques ou religieux». La charge de crime contre l'humanité, en revanche, est retenue : il s’agirait bien, de source judiciaire, d’une «attaque généralisée et systématique contre la population civile». L’objectif est plaignants est double : primo, il convient de frapper un coup puissant sur le plan symbolique contre une «organisation criminelle et totalitaire», quoique récemment dissoute ; secundo, la démarche permet de d’assurer que les chefs etarras cités restent le plus longtemps possible derrière les barreaux.

 

6000 pages et 13 tomes

Au terme cinq ans d’instruction, de 6000 pages réparties en 13 tomes, le procès va donc pouvoir avoir lieu d’ici peu. Les quatre accusés sont tous des anciens dirigeants suprêmes de l’organisation séparatiste armée. Si tous ont été aux manettes au cours de ce siècle, c’est parce que le code pénal espagnol n’incorpore le «délit de crime contre l'humanité» que depuis octobre 2004. Impossible, donc, de prendre en compte les attentats perpétrés avant cette date. D’où le fait que seuls peuvent être jugés Josu Ternera, Ata, Txeroki et Gurbitz, et non pas, par exemple, l’historique chef d’ETA Mikel Antza, aux manettes de l’organisation armée dès 1993. Contre les quatre premiers, ont surtout été retenus des attentats ayant tué des civils, à l’instar des deux Equatoriens, Carlos palace et Diego Estacio, tués lors de l’attentat contre le terminal 4 de l’aéroport de Madrid en 2006.
Ce ne serait pas la première condamnation en Espagne pour ce chef d’accusation. En 2007, grâce à une législation de «justice universelle» (désormais très écornée), l’ancien capitaine argentin Adolfo Scilingo fut le premier condamné pour «crime contre l'humanité » à 1084 années de prison pour 30 assassinats et complicité dans 255 enlèvements en 1977, au cours de la dictature argentine. La spécificité de la mise en accusation des chefs etarras réside dans le fait qu’ils sont tous des citoyens espagnols. Les plaignants cherchent aussi par ce biais à ce que la réclusion de ces chefs d’ETA soit la plus longue possible. La réforme du code pénal en 2015 a permis d’inclure la peine de « prison permanente révisable», une sorte de prison à perpétuité si, à chaque révision de cette peine, les juges décidaient le maintien de la réclusion pour le prisonnier en question. Les quatre chefs etarras placés dans la ligne de mire de la justice sont actuellement détenus. Sauf Josu Ternera, en fuite, sur lequel pèse un mandat d’arrêt international.