Début 1904, les Hereros en ont ras le bol. Chassés des terres ancestrales par des colons allemands, ces pasteurs se révoltent. Emmenés par leur chef Samuel Maharero, ils tuent plus d’une centaine de civils allemands. L’année suivante, une tribu numériquement plus petite, les Namas, se joint au soulèvement. La riposte allemande sera démesurément plus meurtrière. Selon les historiens, quelque 60 000 Hereros et environ 10 000 Namas sont massacrés entre 1904 et 1908. Des camps de concentration sont créés tandis que des expériences scientifiques sont menées sur des "spécimens" d'une race jugée inférieure. Près de 300 crânes seront ainsi envoyés en métropole. L’objectif est de prouver le postulat raciste de la supériorité des Blancs sur les Noirs.
Plus d'un siècle après, le 29 août 2018, l'Allemagne a remis à la Namibie des ossements de Hereros et de Namas exterminés à l’époque. La cérémonie s’est déroulée dans une église protestante berlinoise. « Nous, en tant qu’Allemands, reconnaissons aujourd’hui notre responsabilité historico-politique, mais aussi morale et éthique, ainsi que la faute historique commise alors par nos ancêtres », a déclaré Michelle Müntefering, ministre adjointe chargée de la politique culturelle internationale au ministère fédéral des Affaires étrangères. « Les atrocités perpétrées à l’époque au nom de l’Allemagne sont des actes que l’on qualifierait aujourd’hui de génocide, même si ce n’est que plus tard que ce concept a été défini en termes de droit », a-t-elle ajouté.
Une Allemagne qui se dérobe, une Eglise complice
Pourtant, pour Veraa Katuuo, co-fondateur de The Association of The Ovaherero Genocide In The U.S.A, c’est comme si la représentante du gouvernement allemand avait plutôt remué le couteau dans la plaie. « J’ai été déçu que l’Allemagne se dérobe à ses responsabilités en les confiant à une Eglise qui a été complice », a réagi Katuuo, dont l’association a déposé une plainte contre l’Etat allemand, toujours pendante devant la justice américaine. « L’Allemagne doit adopter une résolution reconnaissant la quasi-extermination des peuples Ovaherero et Nama comme un génocide et s’excuser pour cela. Les excuses doivent être présentées directement aux communautés Ovaherero et Nama. Non pas au gouvernement namibien ou au peuple namibien », exige l’activiste.
Jefta Nguherimo, cinéaste et membre fondateur de The OvaHerero/Mbanderu and Nama Genocides Institute, dénonce lui aussi une Eglise protestante allemande « complice » qui « reste silencieuse et continue de faire vagues déclarations ». Pour lui, le choix du lieu et des acteurs durant la cérémonie n’a pas permis aux Allemands « d’expier leurs péchés ». « La justice postcoloniale ne viendra que lorsque les pays occidentaux, y compris l’Allemagne, reconnaîtront, présenteront des excuses et corrigeront leurs torts durant la période coloniale », souligne-t-il, en exigeant « des excuses formelles présentées par le chancelier et approuvées par le Parlement » fédéral.
« Une approche hautaine, de style colonial »
La société civile et le monde académique allemands ne sont pas en reste. Ainsi, pour l’historien Christian Kopp, de l’alliance d’ONGs "No Amnesty on Genocide", les Hereros et les Namas sont effectivement en droit de demander « pourquoi la chancelière Angela Merkel qui, quelques jours plus tôt, avait déposé des fleurs en mémoire des victimes du génocide contre les Arméniens en 1914, n’était pas présente à la cérémonie en mémoire des victimes africaines du premier génocide commis par l’Allemagne ». Il est grand temps, selon lui, que le président fédéral ou la chancelière ait le courage de « se prosterner dans le désert d’Omaheke, en mémoire de près de cent mille enfants, femmes et hommes Ovahereros et Namas tués en 1904-1908 ». Christian Kopp déplore « une approche hautaine, de style colonial, un mélange d’ignorance d’une part et, d’autre part, d’arrogance coloniale profondément ancrée vis-à-vis des peuples africains et noirs ». Il plaide par ailleurs pour la participation directe des tribus hereros et namas au dialogue en cours. « Il n’y aura pas de paix, ni de réconciliation aussi longtemps que les groupes victimes sont exclus par les deux gouvernements et qu’ils ne sont pas autorisés à plaider leur cause eux-mêmes, conformément à la déclaration des Nations-unies sur les droits des peuples autochtones », affirme l’universitaire.
Christian Kopp appelle enfin toutes les anciennes puissances coloniales à restituer les restes humains en provenance de leurs anciennes possessions et à oser ouvrir un débat sur ces pages sombres de l’histoire de l’humanité. A elle seule, la ville de Berlin recèle encore, selon lui, des ossements venus notamment du Rwanda, du Burundi et de la Tanzanie, trois pays ayant fait partie de l’ancienne Afrique orientale allemande. « Tout crâne, squelette, ossement doit être immédiatement restitué et nous devons, en premier lieu, parler des circonstances de leur venue ici. Nous avons le droit de savoir et le devoir de dire ce qui se trouve dans nos sous-sols. Nous devons oser regarder dans cet abîme ».
La place des victimes dans les négociations
De son côté, Felix Lung, attaché de presse au ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, laisse cependant entendre que ce n’est pas encore le moment des excuses formelles. « Depuis décembre 2015, des représentants spéciaux nommés par les gouvernements allemand et namibien mènent des négociations visant à guérir les plaies du passé. Le gouvernement allemand entend demander pardon sur la base d’un texte négocié » entre les deux parties, nous explique-t-il.
S’agissant de la revendication concernant le droit des communautés Herero et Nama à être reconnues comme interlocutrices à part entière dans le dialogue en cours, il réitère que « les négociations ont lieu entre le gouvernement allemand et le gouvernement namibien ». Ce dernier, poursuit-il, « a mis en place des commissions en vue d’inclure les groupes ethniques herero et nama, particulièrement affectés ». Selon Felix Lung, « le gouvernement namibien a souligné à plusieurs reprises que tout le monde était le bienvenu ; certains groupes ethniques prennent part aux négociations, mais d’autres refusent de s’y joindre. »
Quant au rapatriement des restes humains en provenance de l’ex-Afrique orientale, il répond qu’à ce jour « il n’y a pas de demande présentée à cet effet au gouvernement allemand par les gouvernements du Burundi, du Rwanda ou de la Tanzanie ». C’est-à-dire que, si aucune voix ne s’élève, l’Allemagne se satisfera du statu quo. Un siècle plus tard, les plaies de la mémoire ne sont pas sur le point d’être refermées.