Dossier spécial « L’heure de la vérité en Gambie »

Quel modèle pour la Commission vérité gambienne ?

Ce 15 octobre, la Gambie inaugure officiellement sa Commission vérité, réconciliation et réparations (CVRR). Il s’agit d’un des engagements phares du président Adama Barrow, après sa victoire électorale contre Yahya Jammeh, en décembre 2016. L’institution devra faire la lumière sur les exactions commises lors des vingt-deux années de règne de l’ancien leader à la tête de ce petit pays de deux millions d’habitants. Mais la forme et la façon d’opérer de cette future Commission sont toujours indéterminées.

Quel modèle pour la Commission vérité gambienne ?©GRTS / AFP
La Commission vérité doit se pencher sur les violations des droits de l’homme commises sous les vingt-deux années de règne du président Yahya Jammeh.
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Depuis le 4 octobre, la Commission vérité, réconciliation et réparations (CVRR) en Gambie a enfin un président. Lamin Sise, ancien cadre des Nations-unies, aura la lourde tâche de présider cette commission qui semble désormais lancée dans une course contre la montre pour répondre aux attentes grandissantes de la population. Au point que soit envisagé un début des audiences publiques particulièrement précoce : « Les premières audiences auront sans doute lieu avant la fin du mois d’octobre, car notre équipe enquêtrice a déjà identifié des témoins et pris leurs déclarations depuis environ trois ou quatre semaines », annonce le secrétaire exécutif de l’institution, Baba Galleh Jallow. Un délai a priori inédit, alors que les commissaires font tout juste connaissance. Pour Joanna Rice, représentante en Gambie du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), la CVRR se trouve dans une situation délicate : « Il y a cette difficulté à trouver l’équilibre entre le besoin de temps pour réfléchir à quelles seront les priorités, comment utiliser les deux années du mandat, comment bien protéger les témoins ; mais aussi la pression pour que les choses aillent vite, et que l’on puisse voir des actions concrètes. »

Des auditions de témoins encore imprécises

Le format même de ces premières audiences demeure très flou. Peu d’indications sur la manière dont elles doivent être menées sont inscrites dans le mandat de la commission, voté en décembre 2017 par l’Assemblée nationale. Les commissaires ont donc une grande marge d’interprétation et devront faire des choix. Un poste d’avocat principal a été créé sur décision du ministère de la Justice. Il sera occupé par Essa Faal, qui a travaillé à la Cour pénale internationale au bureau du procureur, puis comme avocat de la défense. Le ministre de la Justice, Abubacarr Tambadou, se veut rassurant sur cette nomination : « La Commission n’est pas un tribunal et l’avocat général est là pour l’aider et guider les audiences. Ce ne sera pas un interrogatoire, les victimes auront un espace pour s’exprimer, et lui pourra recadrer les témoignages. » Pas question, selon Baba Galleh Jallow, de copier le modèle d’une autre commission d’enquête autour des affaires financières de Yahya Jammeh et dont les audiences, proches de celles d’un tribunal, ne conviendraient pas aux victimes. « Nous voulons que les personnes qui témoignent se sentent à l’aise et aient envie de dire la vérité. Nous sommes plus sur le partage d’expériences, pour aider le pays à guérir de ses blessures, et pour que chacun ait conscience de ce qui s’est passé, afin d’éviter qu’une dictature puisse à nouveau advenir », précise-t-il. Car si la CVRR vise à établir la vérité sur les violations des droits de l’homme, elle espère aussi aller au-delà, en lançant parallèlement une campagne de dialogue national visant à une transformation de la société.

Des réparations, mais selon quel mode d’attribution ?

Trouver le point d’équilibre entre vérité, justice et réconciliation a été un défi pour d’autres commissions de ce genre. Au nom de la société civile, John Charles Njie, vice-président du Comité technique de justice transitionnelle mis sur pied par le ministère de la Justice, plaide pour un modèle adapté au pays : « Traditionnellement, ici, les gens ne parlent pas de leurs histoires personnelles sur la place publique, ils le font plutôt au sein d’un environnement fermé. Nous sommes une petite société, où tout le monde se connaît, donc quelqu’un qui parle pourra ensuite facilement être stigmatisé. Cette culture doit être prise en compte par la Commission. »

Il est un point où la Commission gambienne entend notamment innover : il est prévu que des réparations soient directement attribuées par l’institution. Mais cette disposition soulève de nouvelles interrogations. Comme le souligne Sheriff Kijera, président du Centre des victimes, une ONG créée après le départ de Jammeh, « l’attribution des réparations n’est pas bien définie dans le mandat de la Commission. Nous espérons qu’elles seront octroyées sur la base des besoins des victimes, qu’il s’agisse de soins médicaux, ou de frais de scolarité par exemple. »

La CVRR entame bien officiellement ce jour ses travaux. Mais de nombreuses questions de fond sur sa forme et sa stratégie demeurent en suspens.