Mali : Amnistie ou pas amnistie ?

Au Mali, les défenseurs des droits de l’homme exigent le retrait d’un « projet de loi d’entente nationale » prévoyant l’amnistie pour des auteurs de crimes commis dans le cadre de la rébellion déclenchée en 2012. Pas question de reculer, jure le gouvernement, qui réitère que ceux qui ont commis des crimes graves sont exclus de cette exemption de poursuites.

Mali : Amnistie ou pas amnistie ?©Michele CATTANI / AFP
Le projet d’entente nationale du président Ibrahim Boubacar Keita est vivement contesté par la société civile.
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Près d’une cinquantaine d’organisations maliennes sont vent debout. Lors d’une conférence de presse, le 9 novembre, à Bamako, elles affirment haut et fort que le « projet de loi d’entente nationale » constitue une menace pour la paix, la réconciliation et les droits des victimes. Adopté par le gouvernement en mai dernier, ce texte doit faire l’objet d’un examen par l’Assemblée nationale à partir de la mi-décembre.

Dans un communiqué distribué lors de cette rencontre avec les médias, la société civile fait d’abord remarquer que les victimes n’ont pas été associées à l’élaboration de ce texte. Cela « va à l’encontre de la pratique établie aujourd’hui en justice transitionnelle », affirment ces activistes des droits de l’homme. Ils rappellent que « la pleine implication des victimes dans la création de normes et mécanismes censés apporter des réponses à leurs souffrances est incontournable pour en assoir la légitimité ».

Ce projet de loi avait été annoncé par le président Ibrahim Boubacar Keïta dans son message pour le Nouvel an 2018. Le chef de l’Etat avait évoqué « des mesures spéciales de cessation de poursuites ou d’amnistie en faveur de certains acteurs de la rébellion armée de 2012 ». Le texte, contesté aujourd’hui par la société civile, prévoit effectivement « l’exonération des poursuites pénales engagées ou envisagées contre les personnes ayant commis ou ayant été complices (…) de crimes ou délits (…) survenus dans le cadre des événements liés à la crise née en 2012 ».

En 38 articles, il précise que « les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les viols et tout autre crime réputé imprescriptible » sont exclus du champ d’application du texte. Une disposition tout à fait en accord avec le message de Nouvel an du président Keita, qui avait assuré que son initiative ne constituait « ni une prime à l'impunité, ni un aveu de faiblesse ou un déni du droit des victimes ». Le texte souligne que « toute démarche entreprise pour bénéficier des mesures envisagées (…) est volontaire et individuelle ».  

Enquêtes judiciaires inadéquates

En plus de ces mesures spéciales ouvertes aux individus, le texte prévoit l’institutionnalisation d’une Journée du Pardon national, d’une Semaine de la Réconciliation nationale et la rédaction d’une Histoire générale inclusive du Mali.

Mais pour 47 organisations de la société civile malienne, les mécanismes prévus par ce projet de loi pour garantir le jugement effectif des auteurs des crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres crimes graves sont tout simplement « inadéquats ». « Nous ne sommes pas contre une loi d’entente nationale, mais il faut que cela vienne après les enquêtes judiciaires. Or ces enquêtes piétinent », déclare, lors de la conférence de presse, Drissa Traoré, coordinateur du programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH). « Il faut attendre que les enquêtes se terminent et déterminent qui a du sang sur les mains et qui n’en a pas », ajoute-t-il.

Pour la société civile, le gouvernement veut donc mettre la charrue avant les bœufs. Ces organisations font en effet remarquer que le travail de la Commission vérité et réconciliation, chargée de faire la lumière sur cette crise, avance péniblement, faute de moyens et à cause du climat d’insécurité. La Commission d’enquête internationale sur le Mali, quant à elle, vient à peine de commencer ses travaux. Prévue par l’accord d’Alger et officiellement entrée en fonction le 22 octobre, cette commission est chargée par les Nations unies « de faire la lumière sur tous les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide, les crimes sexuels et les autres violations graves du droit international, des droits de l’homme et du droit international humanitaire sur tout le territoire malien ». Dans ces conditions, affirment les 47 organisations, « il est à craindre que, loin d’assurer que les faits en relation avec les crimes commis ne soient éclaircis, la loi ne vienne dans les faits que pour fermer définitivement la porte à toute revendication de justice, aux dépens des droits des victimes à la vérité et à la justice. »

« Nous n’allons pas fléchir »

Que demande alors la société civile ? D’abord, que le gouvernement retire son projet de loi. Pour Guissé Ramata, directrice exécutive d’Amnesty International au Mali, le texte « méprise les droits des victimes de la crise et anéantit les efforts de justice et de vérité en cours au Mali ». Les signataires du communiqué demandent ensuite que les associations de victimes et les organisations de défense des droits humains soient consultées et que leurs préoccupations soient prises en compte lors de l’élaboration d’un nouveau projet de loi d’entente nationale. Ils exigent également du gouvernement « des engagements concrets en faveur de la lutte contre l’impunité en particulier, en garantissant l’effectivité des poursuites et enquêtes relatives aux crimes les plus graves ».

Mais ces militants ont-ils les moyens de faire reculer le gouvernement ? « Nous n’allons pas fléchir», répond Moctar Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’homme, qui prévoit d’autres initiatives, dont une marche pacifique de protestation et des sit-in devant l’Assemblée nationale.

La société civile peut aussi compter sur des soutiens au sein de l’opposition politique, dont des ténors avaient dénoncé ce projet de loi dès son annonce au début de l’année par le président « IBK ». Mais le gouvernement se dit tout aussi décidé à aller jusqu’au bout. « Il est totalement hors de question de penser qu’ils peuvent faire reculer le gouvernement par des pétitions », a réagi le Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, lors d’un rassemblement public à Bamako, au lendemain de la conférence de presse. « On ne peut pas renoncer à cette loi », insiste-t-il, en soulignant que le gouvernement « a respecté toutes les procédures ». Expliquant que le Mali suivait l’exemple d’autres pays « ayant connu la même situation », Soumeylou Boubèye Maïga juge impossible « d’organiser des procès pour des centaines de milliers de gens ». « Nous allons exonérer de poursuites judiciaires tous ceux qui n’ont pas commis des crimes de guerre et des violences faites aux femmes pendant la crise », conclut-il.