Dossier spécial « Les entreprises face à la marée montante de la justice »

Booking.com profite-t-il des crimes de guerre commis en Palestine ?

Un collectif d'ONG européennes et palestiniennes rend aujourd’hui public une plainte pénale contre Booking.com aux Pays-Bas. Elles accusent la société de blanchiment d'argent en relation avec des crimes de guerre, car l'entreprise tire profit de la location de logements dans les colonies israéliennes en territoire palestinien occupé. Booking figure sur une liste de l’Onu de 97 sociétés internationales impliquées dans des activités commerciales dans des colonies illégales. Il s'avère difficile de leur demander des comptes.

Une plainte pénale a été déposée contre la société Booking.com pour blanchiment d'argent en relation avec des crimes de guerre. Photo : un logement proposé par Booking.com à Kfar Adumim sur lequel est inscrit
"Un endroit idéal" dans une "colonie israélienne" sur un "territoire palestinien", avec vue panoramique sur le désert de Yehuda : telle est l'une des annonces sur Booking.com qu'une coalition d'ONG dénonce comme une manière de faciliter un crime de guerre - l'accaparement illégal de territoires palestiniens par des colons israéliens - et d'en tirer profit.
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"Nof Canaan" loue des studios et des appartements à Kfar Adumim. Les photos montrent une cuisine, une chambre avec des lits et un petit balcon, des vues panoramiques sur le désert de Yehuda, plusieurs randonneurs et un coucher de soleil. Une piscine gratuite se trouve à proximité. Le logement est proposé par la société de voyage Booking sur sa plateforme comme étant "un endroit idéal" dans une "colonie israélienne" sur un "territoire palestinien".

Ce logement est l'un des exemples présentés par une coalition de quatre organisations européennes et palestiniennes – SOMO, The European Legal Support Center (ELSC), Al-Haq et The Rights Forum – qui a enquêté sur l'implication de Booking dans les colonies illégales en territoire palestinien occupé (TPO). La grande colonie israélienne de Kfar Adumim, au nord-est de Jérusalem, a été fondée en 1979 sur des terres "appropriées au village palestinien d'Anata", indique la coalition. "La réservation facilite la location de maisons sur des terres dont les communautés palestiniennes autochtones ont été déplacées de force."

Le Jericho Inn à Vered Yeriho est également proposé sur la plateforme Booking. L'hôte de l'établissement affirme que "l'hôtel est situé sur le territoire de l'État d'Israël" et précise qu'"il n'est pas possible d'entrer avec une carte d'identité palestinienne", conformément aux "directives de sécurité". Cependant, Vered Yeriho est une colonie israélienne illégale située sur des terres palestiniennes confisquées en Cisjordanie.

Les colonies ont commencé à être établies dans les territoires occupés, sur des terres palestiniennes, après la guerre israélo-arabe de 1967. La Cour internationale de justice (CIJ) a conclu en 2004 que "les colonies israéliennes dans le territoire palestinien occupé (y compris Jérusalem-Est) ont été établies en violation du droit international". Le transfert par la "puissance occupante d'une partie de sa propre population civile dans le territoire qu'elle occupe", qui constitue une violation de la quatrième convention de Genève, est également considéré comme un crime de guerre dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI).

"Profiter des crimes de guerre"

"Les colonies sont le résultat de multiples crimes de guerre. Profiter de crimes de guerre est illégal en vertu du droit pénal néerlandais", déclare la coalition d'ONG. À la fin de l'année dernière, les quatre organisations ont déposé une plainte pénale contre Booking, dont le siège se trouve aux Pays-Bas, auprès du ministère public néerlandais pour blanchiment d'argent. L'affaire est rendue publique ce 23 mai 2024. "Nous affirmons que Booking.com introduit des produits du crime dans le système financier néerlandais, ce qui le rend coupable de blanchiment d'argent", déclarent les plaignants. Il s'agit de "la première affaire de ce type accusant une entreprise de blanchiment d'argent en rapport avec des crimes de guerre. Avec cette action en justice, nous voulons mettre fin à l'implication de Booking.com dans les crimes internationaux commis dans les TPO et mettre fin à l'impunité dont jouissent les entreprises qui commettent de telles violations", soulignent-ils. "Nous offrons ce dossier au procureur néerlandais sur un plateau d'argent", déclare Lydia de Leeuw, chercheuse à SOMO, dans le dossier de presse transmis à Justice Info.

Dans une réaction écrite à Justice Info le 23 mai, Booking répond : "Nous ne sommes pas d'accord avec ces allégations d'activités illégales et nous pensons que nous respectons pleinement les lois des autorités néerlandaises et américaines [Booking Holdings est basé aux États-Unis], auxquelles nous sommes liés. Aucune loi applicable n'interdit de référencer des hébergements dans les colonies israéliennes de Cisjordanie."

Le ministère public néerlandais a indiqué qu'il allait d'abord étudier le dossier et qu'il déciderait ensuite d'ouvrir ou non une enquête.

La plainte contre Booking a été déposée après le 7 octobre 2023, date à laquelle des militants du Hamas et d'autres groupes armés palestiniens ont lancé une attaque effroyable contre Israël, tuant des centaines de civils, de militaires et de policiers, agressant sexuellement des victimes, détruisant des propriétés et prenant au moins 245 otages, dont certains ont été soumis à des viols ou violences sexuelles, selon le procureur de la CPI, Karim Khan. Israël a réagi par une guerre totale et un siège de Gaza, tuant, affamant, persécutant et exterminant des civils, a affirmé Khan dans une demande de mandats d'arrêt présentée le 20 mai à l'encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, du ministre de la Défense Yoav Gallant et de trois hauts dirigeants du Hamas.

Les Palestiniens de Cisjordanie sont également attaqués, détenus, torturés et tués. Les colons israéliens ont profité de l'occasion pour étendre leur contrôle sur les territoires occupés. "Les colonies se sont aggravées depuis le 7 octobre, tant du fait de l'armée israélienne que des colons", explique Habib Nassar, d'Impunity Watch, à Justice Info.

Une base de données de l’Onu sur l'implication des entreprises

La question des entreprises qui facilitent et opèrent dans les colonies israéliennes illégales est à l'ordre du jour de la communauté internationale depuis des années. En 2012, la mission internationale indépendante d'établissement des faits de l'Onu, qui a enquêté sur les conséquences de ces zones colonisées sur les droits des Palestiniens, s'est penchée sur la question de la responsabilité des entreprises privées. Dans son rapport, les enquêteurs affirment que "les entreprises commerciales ont, directement et indirectement, permis, facilité et profité de la construction et de la croissance des colonies". Ils ont identifié 10 activités commerciales qui "soulèvent des préoccupations particulières en matière de violations des droits de l'homme", allant de la construction et de l'expansion des colonies, du mur et des infrastructures associées, à la fourniture d'équipements de surveillance et d'identification, d'équipements pour la démolition de logements, de propriétés, de fermes agricoles, de serres, d'oliveraies et de cultures, en passant par la fourniture de services et d'équipements collectifs contribuant à l'entretien et à l'existence des colonies.

Il y a huit ans, le 24 mars 2016, le Conseil des droits de l'homme des Nations unies (CDH) a adopté la résolution 31/36 qui souligne que les organes de l’Onu (Commission des droits de l'homme, Conseil des droits de l'homme, Conseil de sécurité et Assemblée générale) ont affirmé "l'illégalité des colonies de peuplement israéliennes dans les territoires occupés". Le Conseil des droits de l'homme s'est référé au jugement de la CIJ et à la quatrième convention de Genève. Pour surveiller l'implication des entreprises, il a également décidé de créer une base de données de toutes les entreprises actives dans une - ou plusieurs - de ces dix activités dans les colonies israéliennes. Il était prévu de publier un rapport chaque année.

Il a pourtant fallu quatre ans au Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l’Onu (HCDH) pour publier, en février 2020, un rapport contenant une base de données répertoriant 112 entreprises. En juillet 2022, le HCDH a envoyé une lettre à toutes ces entreprises pour les informer qu'il révisait la base de données et les inviter à lui faire savoir si elles étaient toujours actives dans les colonies illégales. Au total, 15 entreprises ont été retirées de la liste parce qu'elles cessaient ou n'étaient plus impliquées dans les activités énumérées. Il s'agissait principalement de sociétés israéliennes, ainsi que de General Mills (États-Unis) et d'Indorama Ventures PCL (Thaïlande). Human Rights Watch (HRW), une ONG internationale basée aux États-Unis, note toutefois "que certaines entreprises peuvent avoir ajusté leurs structures commerciales pour éviter de tomber sous le coup de la définition de l'activité à déclarer".

L'ONU sous pression

Finalement, le HCDH a publié le 30 juin 2023 la base de données mise à jour, expliquant que l'absence de rapport annuel était due au manque de budget. HRW a salué le rapport, tout en déplorant que "si le mandat avait été correctement mis en œuvre, cette année aurait vu le septième rapport sur la base de données, et non le deuxième".

L'organe de l’Onu a été "confronté à des contraintes politiques qui perdurent. Certains pays font obstruction à l'élaboration de la liste", explique Tara Van Ho, maître de conférences à la faculté de droit et au centre des droits de l'homme de l'université d'Essex. "L'une des affirmations était que la base de données était antisémite. Il y a une part de vérité là-dedans. La base de données se concentre sur Israël, alors qu'il n'existe pas de liste de ce type pour la Russie, par exemple. Mais je ne vois pas le type de colonisation et d'annexion que nous observons en Cisjordanie être aussi présent dans d'autres pays", explique Van Ho, qui a vécu quelques mois à Ramallah, en Cisjordanie, lorsqu'elle travaillait pour une organisation palestinienne en 2015.

HRW a constaté un "climat d’extrême pression, dans lequel certains États se sont montrés hostiles envers la mise en œuvre du mandat". Cela "a servi à protéger Israël" et les entreprises "de leurs responsabilités juridiques internationales", affirme l'ONG. La "sous-exécution chronique" du mandat est "préjudiciable à l'intégrité et à la crédibilité du Haut-Commissariat et du Conseil des droits de l'homme. C’est inacceptable, et cela crée un dangereux précédent, qu'un mandat du Conseil soit largement ignoré, en particulier sur une période aussi longue", déclare HRW.

Les réponses de Booking sur la liste de l'ONU

La nouvelle base de données de l’Onu recense 97 entreprises. La grande majorité d'entre elles, 81, sont israéliennes. Les 16 autres sont des entreprises occidentales des États-Unis (5), des Pays-Bas (3), de la France (3), du Royaume-Uni (3), du Luxembourg (1) et de l'Espagne (1). Le HCDH écrit que la présente liste "ne prétend pas constituer un processus judiciaire ou quasi-judiciaire de quelque nature que ce soit, ni fournir une qualification juridique des activités énumérées ou de l'implication des entreprises dans ces activités". Ce paragraphe est ajouté pour souligner qu'en tant que telle, la liste n'a aucun pouvoir juridique. "Il ne s'agit pas d'une plainte pénale ou d'une autre procédure judiciaire", précise Van Ho.

Sur la liste de l'Onu figurent quatre grandes entreprises de voyage : Booking (Pays-Bas/États-Unis), Airbnb (États-Unis), Expedia (États-Unis) et Tripadvisor (États-Unis). Justice Info a contacté ces quatre entreprises pour qu'elles réagissent à leur présence sur la liste. Seul Booking a répondu à nos questions.

Un porte-parole de Booking explique par courriel que l'entreprise facilite l'hébergement dans le monde entier sur sa plateforme, y compris dans les régions en conflit. Sa politique est d'autoriser tous les fournisseurs à annoncer leurs logements sur la plateforme "tant qu'ils respectent la législation locale en vigueur", précise l'entreprise. "Notre mission, chez Booking, est de permettre à chacun de découvrir le monde plus facilement et nous pensons donc que c'est aux voyageurs eux-mêmes de décider où ils veulent et doivent aller." Booking affirme que lorsqu'ils reçoivent un avertissement indiquant qu'un hébergement est peut-être lié à des violations des droits de l'homme, "nous examinons immédiatement la situation et prenons, si nécessaire, les mesures qui s'imposent", conformément à la "Déclaration sur les droits de l'homme" de l'entreprise. La société n'a pas répondu à la question de savoir si elle violait la loi.

Booking déclare que "la guerre à Gaza et la violence croissante en Cisjordanie sont déchirantes". La compagnie se dit "triste à cause de la douleur extrême, de la souffrance et des pertes que subissent tant de gens dans la région". Elle ajoute que "[ses] pensées" vont à toutes les personnes affectées. "Nous espérons sincèrement que la violence prenne fin."

Colonie israélienne de Kfar Adumim
Vue partielle, en 2007, de la colonie israélienne de Kfar Adumim, entre Jerusalem et Jericho, en Cisjordanie. Photo : © Gali Tibbon / AFP

"C'est tellement déconnecté de la réalité"

Sur leurs plateformes, les quatre agences de voyage montrent la beauté des hébergements dans ces localités et leurs environs. "Ces entreprises jouent un rôle important. Elles aident à normaliser les colonies pour les étrangers. C'est presque de la propagande", affirme Van Ho. Lorsque les touristes visitent les colonies, ils séjournent dans des endroits agréables, équipés d'électricité, d'eau et d'autres services. "Ils ne voient pas comment les Palestiniens, dans leurs villages et leurs villes voisines, sont privés de ces services de base. Ils ne connaissent pas la militarisation israélienne des enclaves palestiniennes. Ils ne sont pas témoins des humiliations, de la dégradation, de la surveillance accrue, des meurtres et des tortures auxquels les Palestiniens sont confrontés. Les touristes passent à côté de cette réalité. Les colonies constituent en elles-mêmes un crime de guerre et sont liées à d'autres crimes commis à l'encontre des Palestiniens. Les touristes ne voient pas comment ils contribuent eux-mêmes à un crime de guerre", poursuit-elle. Lorsqu'elle vivait en Cisjordanie, des amis de Van Ho avaient fait un voyage le long des colonies. "C'est tellement déconnecté de la réalité. C'est tellement différent de ce que j'ai vécu lorsque je prenais un taxi palestinien. Ils n'étaient pas arrêtés, comme je l'ai été, aux points de contrôle militaires et de passeport."

Cette réalité est absente des plateformes des agences de voyage. Sur Tripadvisor, l'hôtel Metzoke Dragot Hostel est décrit comme étant en Israël, "situé sur une falaise à 20 mètres au-dessus du niveau de la mer, offrant une vue splendide sur les montagnes désertiques et la mer Morte". Tripadvisor ne révèle pas la véritable nature de l'endroit. Deux clients, Sarah et Robert d'Oxford, ont été choqués de découvrir qu'ils avaient réservé une chambre dans une colonie israélienne "donc illégale au regard du droit international", ont-ils écrit dans un commentaire, en 2019. "Elle est entourée d'immenses clôtures et ressemble beaucoup à une colonie. Nous n'étions pas du tout heureux de découvrir cela et ils devraient vraiment le préciser sur leur site web."

Booking ne mentionne que brièvement que "Top of the cliff apartments" est situé dans la colonie israélienne de Metzoke Dragot, en territoire palestinien, avertissant qu'il n'est pas possible de réserver l'endroit sur sa plateforme et renvoyant les touristes à Tranquilo - Dead Sea Glamping dans l'ex-kibboutz voisin de Mitzpe Shalem, qui se trouve sur des terres appartenant au village bédouin palestinien d'Ayn Trayba, et à d'autres colonies telles qu'Ovnat plus au nord. Airbnb propose également des logements à Ovnat, affirmant qu'ils sont situés en Israël, sans mentionner qu'il s'agit d'une colonie illégale. Expedia annonce Nof Canaan comme une "maison d'hôtes confortable à Nofei Prat avec parking gratuit" et mentionne seulement dans l'adresse qu'il s'agit d'une colonie israélienne.

Un dossier contre Airbnb

La Cisjordanie est un facteur important pour les touristes qui choisissent Israël comme destination. Le gouvernement israélien a développé des programmes "visant à enrichir l'industrie du tourisme dans les colonies israéliennes" en fournissant une assistance pour la création et l'entretien d'hôtels et de logements, a écrit Mila Kelly, étudiante en droit, dans un article paru en 2021 dans la William and Mary Business Law Review. Simultanément, Israël impose "des limites strictes à l'accès aux colonies". Non pas pour les touristes et les citoyens israéliens, mais pour les résidents palestiniens de Cisjordanie qui "sont exclus de l'accès aux colonies pour la location de biens immobiliers", précise Mila Kelly. C'est exactement ce qu'écrit l'hôtel Jericho Inn dans son profil sur la plateforme de Booking, où il précise qu'il est impossible d'entrer avec une carte d'identité palestinienne. Les activités touristiques en Cisjordanie "ont conduit directement à l'expansion des colonies", écrit Kelly. Elle affirme que les entreprises considèrent les colonies comme "une source d'affaires viable" et sont "prêtes à risquer les répercussions potentielles de la responsabilité internationale des entreprises dans le but de réaliser des gains financiers".

"En vertu du droit international, toutes les entreprises doivent respecter les droits de l'homme. Quels que soient leur secteur d'activité, leur taille, leur structure de propriété ou leur contexte opérationnel, elles sont tenues d'évaluer si leurs activités ont un impact négatif sur les droits de l'homme", dit Van Ho, se référant aux principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme. Pour elle, il ne fait aucun doute que les quatre agences de voyage, comme les autres entreprises figurant sur la liste de l’Onu, contribuent toutes à des violations des droits de l'homme. "L'application de la loi est laissée aux régulateurs nationaux. Mais nous constatons que les autorités européennes et américaines n'agissent pas en cas de violations des droits de l'homme à l'encontre des Palestiniens. La Palestine est l'exception dans de nombreux pays occidentaux", affirme Van Ho, qui conclut : "Ces quatre compagnies de voyage, comme les autres entreprises, devraient faire l'objet d'une enquête et leurs dirigeants devraient être inculpés de complicité de crimes de guerre lorsque les preuves le confirment."

Dans sa réaction écrite à Justice Info le 23 mai, Booking déclare qu'il ne peut pas agir aux États-Unis car "de nombreuses lois d’États américains limitent notre capacité à nous retirer de la région. Par exemple, 38 États américains ont adopté des mesures décourageant les boycotts ou les désinvestissements d'Israël, et certains États interdisent explicitement les boycotts ou les désinvestissements du pays ou de ses territoires occupés. Des actions en justice ont été engagées contre d'autres entreprises qui ont tenté de se retirer de leurs activités et nous pensons que ce sera également le cas pour nous."

Dans son article de 2021, Kelly décrit un dossier contre Airbnb, expliquant que l'entreprise de voyage avait été confrontée à des critiques "de la part de la communauté internationale" qui l'accusait de "profiter d'activités illégales qui stimulent l'économie des colonies, permettant ainsi la poursuite de leur développement et de leur entretien" et de "favoriser la discrimination à l'encontre des Palestiniens qui ne peuvent pas louer ou être répertoriés dans ces zones". En novembre 2018, Airbnb annonce qu'elle allait interdire l'inscription de propriétés dans les colonies illégales. Mais Airbnb n'a pas tardé à changer d'avis. En Israël, des avocats ont lancé un recours collectif accusant Airbnb de "discrimination scandaleuse", car le déréférencement était "dirigé uniquement contre les citoyens israéliens vivant dans la colonie", et ont exigé une indemnisation. Onze colons israéliens (citoyens américains) qui ont inscrit ou envisagé d'annoncer leurs propriétés dans les colonies sur Airbnb, ainsi que neuf citoyens américains qui ont recherché de telles locations, ont déposé plainte contre Airbnb devant le tribunal fédéral du Delaware. Les plaignants se sont référés à la loi sur le logement équitable (Fair Housing Act, FHA) et ont fait valoir que le déréférencement des propriétés des colonies illégales était discriminatoire à l'égard des juifs et des Israéliens sur la base de la race, de la religion et de l'origine nationale. Cette action en justice a été réglée à l’amiable, écrit Kelly. En avril 2019, Airbnb décide de suspendre le projet de radiation des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée. L'entreprise déclare qu'elle ferait don de l'argent qu'elle tirait des réservations dans ces territoires à des organisations internationales d'aide humanitaire. "Je pense qu'Airbnb aurait dû défendre son dossier en se basant sur la loi, en disant qu'ils ne veulent pas être complices de crimes internationaux", dit Van Ho. Entre-temps, les entreprises ont poursuivi leurs activités. "Elles veulent gagner de l'argent, choisissent de faciliter les colonies, s'engagent activement dans la criminalité mais ne font pas face aux conséquences de leur complicité criminelle", allègue Van Ho.

Quid des investisseurs institutionnels ?

Van Ho pense que le problème ne se limite pas à ces entreprises. "Il existe une vaste structure derrière laquelle se cachent des sociétés mères et des investisseurs institutionnels", affirme-t-elle. L'année dernière, une coalition de 25 organisations palestiniennes et européennes a mis en évidence ces liens. Dans un rapport intitulé "Don't Buy into Occupation" (N'achetez pas l'occupation), les organisations ont déclaré que 776 institutions financières européennes - banques, compagnies d'assurance et fonds de pension - entretenaient des relations financières avec 51 entreprises, dont les quatre compagnies de voyage, qui sont activement impliquées dans les colonies israéliennes. "Ces institutions financières devraient prendre la décision de se conformer à leurs obligations", dit Van Ho. En 2019, elle a enquêté avec deux collègues sur le fonds de pension norvégien Statens Pensjonsfund Utland (SPU). Son équipe a conclu que ce fonds de pension gouvernemental était "directement lié à une grande variété d'impacts négatifs sur les droits de l'homme" dans les territoires palestiniens occupés.

Van Ho souligne les graves conséquences de cet état des choses. "Israël et la Palestine n'en seraient pas là aujourd'hui si les États avaient pris leurs responsabilités à l'égard de ces entreprises, qui facilitent le conflit en cours. Si les gouvernements s'étaient réellement engagés, Israël aurait réagi et modifié sa politique. Aujourd'hui, la guerre fait rage, Israël et le Hamas commettent tous deux des crimes internationaux. Le conflit a échappé à tout contrôle en partie parce que les États et les entreprises n'ont pas pris leurs responsabilités et n'ont pas cessé d'alimenter les colonies", affirme-t-elle.

Tous les regards sont désormais tournés vers l'affaire portée et rendue publique par la coalition contre Booking, afin de voir comment les procureurs néerlandais traiteront ce dossier pour blanchiment d'argent contre l'entreprise, en relation avec des crimes de guerre. "Pendant des décennies, des sociétés étrangères ont contribué aux atrocités perpétrées dans les territoires palestiniens occupés et en ont bénéficié, en toute impunité", affirme la coalition. "Les États tiers ont l'obligation de mettre fin à leurs relations avec l'économie illicite des colonies israéliennes."