Seychelles : la Commission vérité se penche sur le coup d'Etat de 1977

Le 5 novembre, l'ancien président des Seychelles, James Michel, a témoigné sur le coup d'État auquel il a participé, le 5 juin 1977. Sa déposition a eu lieu devant la Commission vérité, réconciliation et de l’unité nationale. Cette commission dispose de trois ans pour faire la lumière sur les années du parti unique.

Seychelles : la Commission vérité se penche sur le coup d'Etat de 1977©SBC
"Je n'ai pas peur de la vérité" a déclaré l'ancien président des Seychelles James Michel, par liaison vidéo depuis Abu Dhabi où il réside, devant la commission vérité sur les violations commises à la suite du coup d'État de 1977, auquel il a participé et qu'il continue de justifier.
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"Je n'ai pas peur de la vérité et je n'ai rien à cacher malgré les mensonges et les rumeurs contraires sur les réseaux sociaux", déclare James Michel, le 5 novembre, devant la Commission vérité, réconciliation et de l’unité nationale (CVRUN). Le témoignage de l'ancien président des îles Seychelles était très attendu car il avait été un acteur clé dans le coup d'État du 5 juin 1977.

Créée en mai 2019, la Commission vérité, composée de sept membres, entend les plaintes sur les violations des droits de l'homme commises sur l’archipel à la suite de ce coup d'État, mené par le premier ministre de l'époque, France-Albert René, contre le président James Mancham. René, décédé en février dernier, a instauré le parti unique et a été président des Seychelles entre 1977 et 2004. Michel l'a remplacé de 2004 à 2016. La démocratie multipartite a été rétablie en 1993. Le mandat de la commission est de faire la lumière sur les événements qui ont mené au coup d'État et à ses conséquences jusqu'au retour au multipartisme. Les sessions se déroulent sur une période de dix jours, tous les mois, depuis septembre, et sont diffusées en direct à la télévision nationale et en streaming en ligne.

"Il était nécessaire d'apporter un changement radical"

Pour sa première comparution devant la CVRUN, le témoignage de James Michel s'est concentré sur son rôle le jour du coup d'État. Il a témoigné par liaison vidéo depuis Abu Dhabi, où il réside actuellement. Dans une déclaration lue avant de répondre aux questions des commissaires, Michel explique avoir décidé de se présenter de son plein gré, qu'il n'a pas été contraint de comparaître devant la commission et qu'il n'a aucun agenda secret. Il dit vouloir laver son nom. Et explique également avoir opté pour la téléconférence pour ne pas retarder les travaux de la commission.

D'emblée, il invite tous ceux souhaitant connaître son compte rendu complet du coup d'État à lire son livre "Horizons lointains", publié en 2010. Puis, prenant la défense du coup d’État, il déclare qu'après l'indépendance du pays par rapport à la Grande-Bretagne en 1976, peu de choses avaient changé aux Seychelles. "Je pense qu'il était nécessaire de mener une action qui apporterait un changement radical et de nombreux avantages, y compris la justice sociale pour tous. C'est grâce à ce coup d'État que des centaines de Seychellois sont aujourd'hui propriétaires et possèdent leur propre maison. La majorité des propriétés appartenaient à une cinquantaine de grandes familles. Nous avons l'égalité des chances pour tous, l'accès à l'éducation et à la santé pour tous. C'est grâce au coup d'Etat qu'un système de classes a été aboli," déclare l'ancien président. "À l'époque, quand on regarde les choses dans leur contexte, il était nécessaire d'avoir ce changement radical. Le président René a insisté pour que cela se fasse sans effusion de sang. L'objectif global était d'avoir une société juste pour tous et, aujourd'hui encore, je crois en la justice sociale."

Le complot

Michel occupera diverses hautes fonctions au sein du gouvernement et du parti au pouvoir. Il confirme que son rôle principal, le 5 juin, était de relayer les informations de René - qui dirigeait le coup d'Etat - aux deux groupes impliqués dans les opérations. "J'étais responsable des communications et je n'avais qu'un talkie-walkie pour le faire. Je n'avais pas d'armes. Les armes à feu que j'ai vues en ma possession sur certaines photos prises ce jour-là provenaient de l’armurerie de la police et ont été saisies le jour même", précise Michel.

Il raconte que René avait fait en sorte que seule une poignée de personnes soient au courant du coup d'État et de sa date d'exécution. Certains hommes qui y ont participé l'ont découvert le jour même, quelques heures avant de prendre d'assaut l'arsenal de la police. "René était un stratège expert, un leader fort et puissant qui s'assurait que chaque membre de l'équipe ne savait que ce qu'il devait savoir et au bon moment. Quand l’heure du coup d'Etat est arrivé, nous fumes tous réunis pour l'exécution du plan."

La commission s’enquiert de la formation militaire dispensée avant le coup d'État. "Je crois qu'il y avait quelques personnes, peut-être quatre, qui ont reçu une formation militaire en Tanzanie. Dans mon cas, on m'a montré comment monter et démonter une arme à feu lors d'un voyage en Tanzanie. J'étais là pour une conférence et un de nos combattants de la liberté m'a montré comment manier une arme à feu. Mais aucune balle n'a été utilisée ce jour-là. J'ai aussi expliqué dans mon livre que les exercices étaient pratiqués localement où les cibles étaient des lapins", dit Michel.

Détails sur les décès survenus le 5 juin 1977

Mais c'est surtout sur la mort de plusieurs personnes tuées lors du coup d'Etat et sous le régime du parti unique - dont Hassan Ali (un homme d'affaires éminent, disparu en août 1977), Simon Desnousse (torturé et assassiné en octobre 1982), Gilbert Morgan (disparu en février 1977), Sonny Elizabeth et Michael Hoffman (assassiné en juillet 1983) - que l'ancien président était attendu.

Rien de nouveau n'a été divulgué. Michel a nié toute implication dans ces morts. "Je ne pouvais pas être au courant de ces morts parce qu'à l'époque, je n'étais pas ministre de l'Intérieur ou de la police. D'après ce que j'ai entendu dire, les morts et les disparitions ont fait l'objet d'une enquête policière. Mais je ne sais pas ce qui est arrivé à ces hommes", répond Michel.

Il se montre plus disert à propos de deux autres morts, le jour du coup d'État - celle de Bérard Jeannie, qui était en service à l’arsenal et a refusé de remettre les clés, et celle de Francis Rachel, un membre du coup d'État. "J'ai connu Jeannie personnellement car sa famille vivait à côté de la mienne, à Anse à la Mouche. Comme à l'époque j'étais aussi dans l'armée, c'est moi qui ai recruté Francis Rachel parce que je le connaissais personnellement. Mon rôle dans l'armée était officier d'éducation politique. Leurs morts prématurées me causent encore de la peine aujourd'hui. C'est tragique et regrettable." Il poursuit : "Le jour même, on m'a dit d'attendre à côté du cimetière du Mont Fleuri la communication de René, qui était notre chef, avant que nous puissions lancer l'attaque et prendre le contrôle de l’arsenal. C'était tôt le matin. Il était posté à Val Riche Sans Soucis. Puis nous avons entendu des coups de feu et j'ai appris plus tard que Jeannie, un policier du poste de police de Mont Fleuri qui gardait l’arsenal, avait été abattu. Mais je ne sais pas qui lui a tiré dessus et je n'ai pas vu qui lui a tiré dessus. Pour Francis Rachel, j'ai entendu dire que c'était une balle ricochet qui l'avait tué."

Le cas de Davidson Chang Him

Michel maintient finalement que le coup d'État était justifiable et que la majorité des gens en ont bénéficié. "Seule une minorité s'est sentie lésée", dit-il. "René nous a dit que le coup devait être sans effusion de sang, mais trois personnes sont mortes ce jour-là." La troisième personne était Davidson 'Son' Chang Him.

En août dernier, James Michel avait été invité devant la CVRUN pour faire la lumière sur l'assassinat du militant du Parti démocrate. L'ancien président avait décliné, déclarant qu'il n'avait pas été témoin de la fusillade au siège de la police, dans l'après-midi du 5 juin. "Dans l'après-midi, on m'a donné un fusil et on m'a ordonné de patrouiller et de sécuriser le port et l'aéroport, ainsi que de patrouiller la région sud de l'île principale Mahé. Je n'étais pas au commissariat quand on lui a tiré dessus. C'est plus tard que j'ai appris la fusillade mortelle, mais je n'en faisais pas partie", explique Michel.

C'est à travers d'autres témoignages qu'après 42 ans de spéculations et de rumeurs, la famille et les amis de Davidson Chang Him ont pu aujourd’hui avoir une idée de ce qui s’était passé le 5 juin 1977, qui avait conduit au meurtre de l’homme de 44 ans.

Le dossier de Davidson Chang Him, déposé par ses enfants, a en effet été le premier à être traité par la CVRUN, lors de sa première audience le 9 septembre. Chang Him, joaillier de profession, était un ardent partisan du Parti démocrate. Il a été abattu au commissariat central de la police de Victoria, la capitale du pays, quelques heures après que des hommes armés eurent pris le contrôle du pays.

Tué dans le dos au poste de police

Le premier témoin a été l'ancien ministre de la Planification économique et des Affaires étrangères sous l'administration de René, Dr Maxime Ferrari. Ferrari a dit à la CVRUN qu'il était au poste central de police avec René le 5 juin 1977, mais qu'il n'a pas été témoin de la fusillade qui a eu lieu vers 16 heures. "J'ai entendu un coup de feu et quelqu'un à l'extérieur de la pièce où j'étais crier que D'Offay [Philippe D'Offay, le présumé tueur de Chang Him] a tué Son Chang Him. Mais je n'ai pas pu identifier la voix jusqu'à ce jour", raconte Ferrari. "Je suis allé dehors dans la cour, où le corps de Chang Him était allongé sur le sol et il donnait son dernier souffle. Il saignait, de la mousse sortait de sa bouche et il était presque mort."

Ferrari a exprimé des remords pour son rôle dans le coup d'Etat. Il a dit qu'il lui a fallu 22 ans avant de "dire ma vérité, la vérité que je connaissais, sur les événements qui se sont produits en 1977", à travers une autobiographie, publiée en 1999 et intitulée "Le soleil et les ombres, une histoire personnelle". Un extrait du livre a été lu avant la CVRUN : "Chang Him a été tué d'une balle dans la poitrine par Philippe D'Offay, l'un des hommes armés. Beaucoup de gens ont dit qu'on lui avait tiré dessus de sang-froid. M. René m'a dit que c'était de la légitime défense. Il n'était cependant pas armé alors que D'Offay avait une arme."

Le récit de Ferrari a été corroboré par Guy Roucou, un sergent de la division des forces spéciales de la police des Seychelles au moment du coup d'État. Aujourd’hui officier à la retraite après 47 ans dans la police, Roucou a été le premier témoin oculaire à se présenter. Il a donné des preuves accablantes, confirmant que Philippe D'Offay - l'un des auteurs du coup d'Etat réunis au Commissariat central - a tiré sur Chang Him à bout portant.

Pas de légitime défense

Plus tôt dans la journée, Roucou avait compté parmi quatre hommes, dont D'Offay, qui étaient partis à la recherche de Chang Him. "En route, j'ai entendu D'Offay dire à la personne assise à côté de lui : ‘Si je vois ‘Son’ aujourd'hui, qu’est-ce qu’il va prendre’", témoigne Roucou. Chang Him était alors encore introuvable. Dans l'après-midi, vers 16 h 30, Chang-Him s'est présenté au poste de police et a demandé pourquoi ils le recherchaient. "Phillip D'Offay est passé devant moi dans le couloir jusqu'à la véranda où se trouvent les cellules et a demandé à 'Son' de lever les mains, ce qu'il a fait. ‘Son' n'était pas armé, et j'ai cru qu'il allait le placer dans une cellule de détention, quand soudain j'ai vu D'Offay sortir son arme - un AK47 - la pointer sur Son' et appuyer sur la détente. La balle a atteint 'Son' dans le dos. Il a essayé de courir mais est tombé dans la cour, à côté d'une combinaison utilisée pour la réparation de véhicule. La balle est ressortie pour toucher la voiture de Ferrari, qui était également garée dans l'enceinte", se souvient Roucou. "Quand 'Son' est tombé, le commissaire de police, Pillay, M. René et le Dr Ferrari sont tous venus voir ce qui s'était passé. Et je me souviens que M. René a dit à D'Offay : "La ki (l***)oun fer ankor !" - quel foutoir as-tu encore causé ? Je suis allé me tenir à côté de 'Son'. Il respirait encore, mais une mousse blanche sortait de sa bouche et ses yeux roulaient vers l’intérieur. Je me souviens que le Dr Ferrari a vérifié son pouls et a dit de l'emmener rapidement à l'hôpital, mais qu'il doutait qu'il y arrive à temps. Il a été mis dans un land rover de la police, mais j'ai appris plus tard qu'il était mort en cours de route."

Roucou a nié que la fusillade était en légitime défense. Il a dit à la commission que le tir était intentionnel car Chang Him s'était déjà rendu et avait les mains en l'air au moment où il a été tué. Roucou a également informé la CVRUN que l'incident avait été consigné dans le registre de la police par un autre officier qui avait écrit : "Phillip D'Offay a tiré de sang froid dans le dos de Son Chang-Him".

La version officielle donnée à la famille

Toutefois, la Commission a déclaré que cette information n'a pu être vérifiée, car le registre n'a pas encore été retrouvé.

Les membres de la famille, y compris les enfants de Chang Him, ont également offert leurs récits des événements qui ont conduit à la mort de leur père et de leur frère. La plupart d'entre eux ont choisi de témoigner à huis clos en raison de l'impact émotionnel des événements sur eux. Mais le frère de Chang Him, l'évêque French Chang Him, qui a identifié le corps de son frère à la morgue le jour fatidique, a témoigné publiquement. Il a dit avoir parlé ce jour-là au président René qui l'a informé que "Davidson avait résisté à l'arrestation et été abattu par accident".

La CVRUN devrait entendre d'autres témoignages sur le meurtre de Chang Him. Elle prévoit également de rappeler James Michel à une date ultérieure pour répondre à des questions sur la sécurité et le renseignement dans le pays, à la suite de nombreuses plaintes concernant des abus commis par les militaires.

Plus d'une centaine de cas de meurtres, de tortures, de disparitions et d'acquisition illégale de biens, avant et après le coup d'État, ont été portés devant la CVRUN. Selon la présidente de la commission, l'avocate australienne Gabrielle McIntyre, son "objectif primordial est d'unir le peuple des Seychelles et de faire en sorte que de telles violations ne se reproduisent pas".