Dossier spécial « L’heure de la vérité en Gambie »

Gambie : la potion magique anti-sida de Jammeh n’existait pas

Yahya Jammeh affirmait qu'il dirigerait la Gambie pendant un milliard d'années. Il prétendait aussi traiter toute une série de maladies, dont l'asthme, la stérilité et le VIH/sida. Ce dernier « traitement », qui a débuté en 2007, est aujourd'hui remis sur le devant de la scène par une série de témoignages devant la Commission vérité.

Gambie : la potion magique anti-sida de Jammeh n’existait pas
Manifestation de victimes en 2018 après le départ de l'ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh, pour exiger que justice soit faite sur les violations commises durant les vingt-deux années de son régime. ©Claire BARGELES / AFP
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« Le traitement n’avait qu’un objectif : démontrer les pouvoirs du président, montrer qu'il était herboriste... mais en fait il n'y a jamais eu de remède », a déclaré le 23 juillet Landing Momodou Faal, un technicien de laboratoire qui travaillait avec l'ancien président de la Gambie sur son « traitement alternatif » au sida, devant la Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC). Près d'une douzaine de victimes du traitement de Jammeh ont témoigné ce mois-ci, dont une partie sous couvert de l’anonymat ou à huis-clos. 

Au cours des huit dernières années de son règne de vingt-deux ans, la télévision gambienne diffusait en boucle des chansons conçues à sa louange montrant Yahya Jammeh en train de soigner des patients. Il prétendait les traiter en frottant leur corps avec des pâtes d'herbes et en leur donnant des potions à base de plantes. Auto-proclamé « chef du peuple des croyants », Jammeh brandissait un Coran, des chapelets de prières et, à l'occasion, une eau miraculeuse qu'il lançait à ses partisans.

« J'ai le mandat pour traiter les gens »

L'une des premières vidéos annonçant le faux traitement de Jammeh était son adresse aux médecins qui devaient l'aider à accomplir sa prétendue « mission ». Jammeh vantait ses talents de guérisseur depuis qu'il a pris le pouvoir lors d'un coup d'État en 1994. Il dispensait son traitement dans différents endroits du pays, accompagné de ses forces de sécurité, ont raconté les témoins amenés devant la TRRC.

« Dorénavant, j'ai officiellement le mandat de traiter les gens selon un protocole très encadré », proclamait ainsi Jammeh aux médecins, dans une vidéo diffusée devant la Commission. « Il me faut cinq minutes pour guérir l'asthme et cela a été prouvé à plusieurs reprises... Je peux vous dire en toute confiance, par la grâce d'Allah le Tout-Puissant, que le traitement ne dure que quelques jours et que dans les trois jours, vous serez à nouveau testé et je peux vous assurer que la personne sera négative ».

Jammeh était fier de ses traitements contre le VIH. Mais ses anciens patients en gardent un souvenir terrible. "Nous avons été détenus dans des conditions ignobles au centre de traitement. Nous étions si nombreux que certaines personnes attrapaient des maladies en plus du VIH. Certains ont contracté la tuberculose… Nos conditions de vie étaient mauvaises", a déclaré Fatou Jatta, une victime du traitement frauduleux qui a témoigné devant la Commission le 15 juillet.

Le traitement contre le VIH n’existait pas

À la mi-2007, le soi-disant traitement contre le VIH de Jammeh a attiré l'attention de la communauté internationale, et les Nations unies se sont inquiétées. Le représentant des Nations unies dans le pays, Fadzai Gwaradzimba, un ressortissant zimbabwéen, a eu 48 heures pour quitter la Gambie, après avoir fait une déclaration à ce sujet. Gwaradzimba avait simplement conseillé aux malades du sida de continuer à prendre leurs médicaments conventionnels jusqu'à ce que sa phytothérapie soit testée et ait fait ses preuves.

Car une partie du protocole de traitement de Jammeh impliquait que les patients soient filmés et qu'on leur retire leurs médicaments conventionnels, a déclaré Jatta. Elle en est ressortie dans un état bien pire qu'avant le traitement, a-t-elle déclaré à la Commission vérité. « Mon taux de CD4 [un lymphocyte utilisé par le VIH a un récepteur, ndlr] était bon avant que je ne rejoigne le traitement et je me sentais également en bonne santé. Mais après le début du traitement, ma santé s'est détériorée », a déclaré Jatta.

Après avoir bu la décoction, certaines personnes ont commencé à vomir et à avoir des vertiges, a-t-elle témoigné. Au moins neuf personnes sont mortes lors de la première série de tests en 2007, ont déclaré quatre témoins au cours de la semaine dernière, sous couvert d’anonymat. Les patients atteints du VIH étant toujours stigmatisés dans la société gambienne, un certain nombre de témoins devant la Commission ont été autorisés à témoigner anonymement. Plusieurs témoins ont également été entendus à huis clos.

Le Docteur Mariatou Jallow
Le Docteur Mariatou Jallow © Mustapha K. Darboe

Le Dr Mariatou Jallow était directrice de l’hôpital universitaire Edward Francis de Gambie. Elle a dans un premier temps participé au traitement alternatif de Jammeh, avant d'être licenciée de son poste à l'hôpital et de se tourner vers le privé. Elle s’est ensuite s'occupée des patients que Jammeh prétendait avoir guéris du VIH. « Les affirmations selon lesquelles il existe un remède sont totalement fausses », a-t-elle déclaré à la Commission le 23 juillet.

En mai 2018, trois victimes du faux traitement de Jammeh l’ont poursuivi pour lui demander des dommages et intérêts, devant la Haute Cour de Banjul, la capitale de la Gambie. La plainte a été déposée par Ousman Sowe, Lamin Ceesay et Fatou Jatta, les trois premiers Gambiens à avoir rejoint son programme de traitement du VIH/sida en 2007. Tous trois ont déclaré avoir été contraints d'abandonner les médicaments antirétroviraux et de boire des potions qui les faisaient vomir. L'affaire a été soutenue par l'organisation caritative américaine AIDS-Free World, qui les a aidés à rassembler des preuves et à monter leur dossier.

De faux résultats étaient lus aux patients

Le technicien de laboratoire Faal est un spécialiste des tests de dépistage des patients atteints du VIH en Gambie. La procédure normale, dit-il, consiste à coder le nom du patient séropositif avant et pendant le test, à des fins de protection de sa vie privée. Mais le traitement présidentiel ne suivait pas la procédure. Faal a testé le sang de trois lots de patients dans le cadre du programme de Jammeh, soit un total d'environ 100 patients. 

De plus, Faal a constaté que le Dr Mbowe, l'un des principaux assistants de Jammeh dans l’élaboration du « traitement », lisait des résultats erronés aux patients. Un jour, dit-il, "le Dr Mbowe avait un papier contenant un test de numération des CD4 portant ma signature... mais il ne lisait pas mes résultats". "Le Dr Mbowe a dit que parce que la charge virale des patients est indétectable, alors ils sont guéris. C'est faux. Être indétectable et être guéri sont deux questions parallèles", a déclaré M. Faal à la Commission vérité.

 Cette semaine, la Commission prend un congé hebdomadaire pour la fête musulmane d’Aïd al-Adha. Elle devrait reprendre ses auditions sur le faux traitement du VIH, avec certains individus mentionnés négativement comme le Dr Mbowe, dont le témoignage est attendu.