La justice congolaise condamne Sheka à la prison à vie

La justice militaire congolaise a reconnu l’ancien chef milicien Ntabo Ntaberi, alias Sheka, coupable de crimes de guerre, le 23 novembre, et l’a condamné à la prison à vie. Un jugement majeur et un succès pour les victimes de l’Est de la République démocratique du Congo. Notamment les femmes.

La justice congolaise condamne Sheka à la prison à vie
En 2011, le chef de guerre Ntabo Ntaberi Sheka faisait librement campagne ; le 23 novembre 2020, il a été condamné à la prison à perpétuité. © STR / AFP
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De son vrai nom Ntabo Ntaberi, il est plus connu sous le pseudonyme de Sheka. Dans les territoires de Walikale et Masisi, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), la simple évocation de son nom et de sa milice Nduma Defence of Congo (NDC), également appelée Maï Maï Sheka, faisait trembler les civils. En particulier les femmes.

Les femmes de cette partie du Nord-Kivu ne sont certes pas au bout de leur calvaire car des hommes du redoutable chef de guerre circulent toujours dans ces zones forestières. Mais ce 23 novembre apparaît comme une éclaircie pour elles : le puissant Sheka a été condamné à la prison à perpétuité, deux ans après l’ouverture de son procès phare.

Siégeant à Goma, la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu, l’a reconnu coupable de crimes de guerre pour meurtres, viols, esclavage sexuel, enrôlement d’enfants de moins de 15 ans, pillages et destruction de biens. Pour chacun de ces crimes, il a été condamné à la prison à vie. La cour a conclu que la milice NDC est une création de Ntabo Ntaberi et qu’il était le commandant de ce groupe armé au moment des faits.

Le principal co-accusé de Sheka, Nzitonda Habimana Séraphin, dit Lionceau, s’est vu lui aussi infliger une peine de perpétuité pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Un autre milicien a été condamné à 15 ans d’emprisonnement tandis que le quatrième a été acquitté.

L’État, épargné par les juges

Vêtu d’un T-shirt bleu jaune, bras croisés sur une poitrine de costaud, visage rond, Sheka est resté de marbre durant la lecture du jugement qui a duré plusieurs heures. « Nous sommes déçus. Tout au long du procès, nous avons demandé à la cour d’organiser une descente dans les zones où les faits sont supposés avoir été commis mais la cour a refusé », a réagi l’avocat de Sheka, Me Alexis Olenga, interrogé par Justice Info. « Plus grave encore, notre client est jugé par la cour militaire opérationnelle, une instance qui n’admet pas de double degré de juridiction », ajoute-t-il, déplorant l’impossibilité de faire appel.

Du côté des parties civiles, c’est la satisfaction. « C’est un grand jour pour les victimes. Beaucoup d’entre elles sont en train de nous appeler pour faire part de leur soulagement. Cette condamnation est un message fort pour les autres chefs de guerre », a déclaré à la presse Aimée Fatuma Kahindo, du Collectif des avocats des victimes. Elle a cependant déploré que les juges n’aient pas condamné l’État congolais à verser des réparations pour avoir failli à sa responsabilité de protéger sa population.

Crimes de grande ampleur, mobilisation des enquêtes

Les faits pour lesquels Sheka et ses hommes étaient jugés se sont déroulés entre 2010 et 2014 dans plusieurs villages de Walikale et Masisi. Mais c’est le village de Luvungi, en territoire de Walikale, qui a payé le plus lourd tribut.

Situé dans une zone minière relativement prospère, le village a été victime de pillages à grande échelle perpétrés par des miliciens de Sheka, du 30 juillet au 2 août 2010. Durant son procès, le chef de guerre expliquera, sans rougir, que c’était le prix à payer pour « la protection » qu’offrait sa milice. Ntabo Ntaberi s’est toujours présenté comme le protecteur de civils menacés par d’autres groupes armés, et non comme leur bourreau. Pourtant, ses miliciens commettront pire que des pillages à Luvungi. En quatre jours, plus de 350 femmes y ont été systématiquement violées, dont certaines par plusieurs hommes. « Par son ampleur, cette attaque a choqué la communauté internationale. C’est suite à ces crimes que les Nations-unies ont enquêté sur les agissements du NDC », rappelle l’organisation suisse TRIAL International, une des ONG qui, depuis des années, accompagnent les victimes lors des procédures judiciaires relatives aux crimes de masse en RDC.

Les crimes de cette milice ont été documentés dès 2010 par les Nations-unies, la justice congolaise, les ONG locales et internationales. Des milliers de témoignages, des preuves audiovisuelles ont été recueillis, dont certains ont permis d’établir la responsabilité en tant que supérieur hiérarchique de Sheka sur les auteurs matériels des crimes.

Des témoins à leurs risques et périls

Mais lorsqu’est venu le moment du procès, la peur s’est emparée à nouveau des témoins-victimes. « Il y a plus de 300 victimes dans ce procès, parce que ce sont plusieurs villages qui ont été attaqués – Luvungi, Pinga et d’autres. Mais les victimes qui ont comparu ne sont pas plus de quinze, compte tenu de l’environnement actuel et de la situation sécuritaire dans la région. Les victimes ont non seulement été empêchées, mais aussi intimidées par certaines personnes qui appartiendraient aux familles de certains prévenus », explique à Justice Info Me Liévin M’vimba, l’un des avocats des parties civiles.

Le même constat est fait par Daniele Perissi qui dirige le programme Grands Lacs à Trial international. « Bien que Sheka se soit rendu en 2017, son influence reste bien réelle dans les territoires de Walikale et Masisi. C’est l’une des raisons pour lesquelles le procès ne s’est pas tenu sur place, mais à Goma, loin des zones contrôlées par le NDC. »

Il a donc fallu repenser et renforcer le système de protection des témoins qui avait été utilisé dans des affaires antérieures. « Le plan de protection des victimes et des témoins était l’un des plus ambitieux jamais déployé au Nord- Kivu », affirme Daniele Perissi. « Il incluait l’anonymat complet des individus, la confidentialité de leurs déplacements à Goma pour témoigner et la mise à disposition d’une garde rapprochée. Après leur audition, chaque individu s’est vu proposer un plan de relocalisation à court ou moyen terme, selon le besoin, pour échapper à d’éventuelles représailles dans leur village ».

Guidon, chef de guerre en fuite

La condamnation de Sheka et de deux de ses co-accusés ne met pas fin au martyre des populations civiles des territoires de Walikale et Masisi. Mais les ONG espèrent qu’elle sera entendue comme un avertissement pour d’autres commandants rebelles, comme Shimiray Mwisha Guidon, ancien bras droit de Ntabo Ntaberi. Sous le coup d’un mandat d’arrêt émis il y a un an par la justice militaire congolaise, Shimiray Mwisha Guidon est recherché pour « participation à un mouvement insurrectionnel », « crimes de guerre par recrutement d’enfants » et « crimes contre l’humanité par viol ». Des faits commis depuis 2009 dans plusieurs localités des territoires de Walikale, Masisi et Lubero, d’abord, entre 2009 et 2014, pendant que Guidon était le second de Sheka, et depuis 2014, date à partir de laquelle Guidon a dirigé d’une main de fer sa milice NDC-Rénové, une faction dissidente du NDC de Sheka.

« Tous deux étaient des hommes si forts que tout le monde les croyait intouchables. Le procès qui vient de s’achever prouve que Sheka n’est pas au-dessus des lois, pas plus que M. Shimiray qui devra un jour, à son tour, répondre de ses actes », espère Me Elsa Taquet, conseillère juridique de Trial International.

Pour Jackson Bwahasa, chercheur en dynamique des conflits dans l’Est de la RDC, il ne suffit cependant pas de neutraliser Sheka et Shimiray. « On arrête un chef, un autre renaît, le groupe demeure et continue à commettre les mêmes atrocités, et les civils continuent d’en souffrir. Pour garantir la fin des crimes, il faut rétablir l’autorité de l’État, combattre les acteurs des violences. La justice elle seule ne peut tout réussir », prévient-il. Une perspective qui, bien qu’elle soit une promesse du président congolais Félix Tshisekedi, semble encore lointaine pour les populations de l’Est du pays, où groupes armés locaux et étrangers continuent de piller, violer et tuer chaque semaine, parfois avec la complicité d’éléments de l’armée régulière.