24.10.2000 - TPIR/MEDIAS - FERDINAND NAHIMANA CHEVILLE OUVRIERE DE LA RTLM, SELON UN TEMOIN

Arusha 24 octobre 2000 (FH) - Un témoin entendu mardi par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a affirmé que la Radio-Télévision Libre des Mille collines (RTLM) a joué un grand rôle pendant le génocide anti-tutsi et que l'accusé Ferdinand Nahimana en était la cheville ouvrière. "Pour le dire crûment, la radio a tué", a déclaré le journaliste et juriste suisse Philippe Dahinden.

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Il comparaissait comme premier témoin de l'accusation dans le procès contre trois anciens responsables des médias accusés D'avoir incité les Hutus à tuer les Tutsis, au Rwanda, en 1994.

Les coaccusés sont outre Ferdinand Nahimana, qui était directeur de la RTLM, l'ancien conseiller politique au ministère des affaires étrangères et membre du comité D'initiative de la RTLM, Jean-Bosco Barayagwiza, et l'ancien directeur et rédacteur en chef de la revue Kangura, Hassan Ngeze.

Philippe Dahinden a D'abord visité le Rwanda en 1991 pour le compte de la Commission internationale des juristes basée à Genève (Suisse), ensuite en janvier 1993 dans le cadre D'une commission internationale D'enquête sur la situation des droits de l'homme, et enfin au mois D'octobre 1993 pour le compte de l'association de défense des libertés de la presse Reporters Sans Frontières (RSF).

En mai 1994, au plus fort du génocide, il a fait des reportages pour la télévision suisse, réussissant à entrer aussi bien dans la zone contrôlée par le gouvernement intérimaire que dans celle conquise par la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR).

Le témoin a rapporté que la zone gouvernementale était truffée de barrages, tenues par des miliciens de l'ancien parti unique, le MRND, ainsi que par ceux du parti de Jean-Bosco Barayagwiza, la CDR. Ces miliciens sélectionnaient les Tutsis et les Hutus modérés et les tuaient. "Tout le pays était constitué D'une toile D'araignée, un filet constitué de ces barrages de miliciens et appuyés par des barrages des militaires, un filet auquel on ne pouvait échapper", selon le témoin. "Ce qui m'a frappé, c'est que sur tous les barrages, les gens avaient la radio", a expliqué Dahinden. "La plupart des barrages écoutaient la RTLM", a-t-il poursuivi.

La RTLM était facilement reconnaissable du fait qu’elle diffusait la plupart du temps de la musique zaïroise, a souligné Philippe Dahinden. C'était un genre de musique complètement différent de celle diffusée sur Radio Rwanda (la station officielle).

Le témoin avait auparavant expliqué comment la RTLM diffusait des informations politiques, comment ses actionnaires étaient essentiellement des membres des partis MRND et CDR et comment il avait appris qu'aussitôt le génocide commencé, la RTLM avait publié des noms de personnes à tuer et le plus souvent désignait les endroits où ces personnes pouvaient être trouvées.

Dahinden a rapporté qu'il a appris cela au cours des longs entretiens téléphoniques qu'il a eus avec des activistes des droits de l'homme et des diplomates présents au Rwanda à partir du 6 avril 1994, date de la destruction en vol de l'avion présidentiel rwandais, suivie du déclenchement du génocide. Il a précisé qu'il a pu vérifier lui-même ces informations quand il s'est rendu au Rwanda durant le génocide.

Nahimana et BARAYAGWIZA Dahinden a indiqué qu'il avait rencontré Nahimana pour la première fois quand il était au Rwanda en 1991 dans une mission D'observation des procès contre des civils accusés de complicité avec le FPR.

Nahimana était à l'époque directeur de l'Office rwandais D'information (ORINFOR), qui gérait la radio nationale et la presse écrite officielle. Le témoin a signalé qu'il s'est plaint à Nahimana de la manière dont la radio couvrait ces procès, parce qu'elle présentait les accusés comme des coupables. Les comptes-rendus de procès avaient également créés un climat de tension, de telle sorte que les avocats de la défense ont reçu des menaces de mort, a-t-il dit.

Philippe Dahinden a par ailleurs affirmé que lors de ses enquêtes au Rwanda en janvier 1993, il s'est avéré que des émissions de Radio Rwanda avaient provoqué des massacres de Tutsis au Bugesera (sud de Kigali), l'année précédente.

Nahimana a été par la suite relevé de ses fonctions de directeur de l'ORINFOR suite à la pression de la communauté internationale.

Dahinden a indiqué également avoir rencontré, au cours de cette même mission, un journaliste rwandais, Afrika Janvier, qui était détenu à Kigali. Ce dernier lui a décrit comment l'entourage de l'ancien président Habyarimana appelé "Akazu" (maisonnette) avait organisé les massacres. Afrika Janvier avait alors cité Nahimana parmi les membres de l’Akazu appelé aussi "réseau zéro", ou escadron de la mort.

Dahinden a indiqué avoir appris que les personnalités "derrière la RTLM" étaient Nahimana, Barayagwiza et un homme D'affaires proche de l'ancien président Habyarimana, Félicien Kabuga.

La déposition du témoin se poursuivra mercredi dans l'après-midi par son contre-interrogatoire par la défense.

Comme à l'ouverture du procès lundi, seul Ferdinand Nahimana était présent à l'audience. La chambre devrait se prononcer mercredi sur les raisons qui ont poussé les accusés Ngeze et Barayagwiza à boycotter le procès.

Hassan Ngeze exige la traduction intégrale, en anglais et en français, de 71 numéros de Kangura, tandis que Jean-Bosco Barayagwiza estime que le Tribunal ne peut lui garantir un procès équitable.

JC/AT/KAT/FH (ME%1024A)