Entre honte et pardon, le fils de militants du mouvement maoïste du Sentier Lumineux, au coeur d'un des conflits les plus sanglants d'Amérique latine, raconte son histoire pour rompre un tabou sur les années de plomb au Pérou, dans un livre poignant et singulier.
"J'ai voulu écrire sur un thème tabou et compliqué au Pérou, j'ai écrit sur le pardon", explique dans un entretien à l'AFP José Carlos Aguero, 40 ans, historien, chercheur, militant des droits de l'homme et auteur du mince opus "Los Rendidos, Sobre el don de perdonar".
Dès les premières pages de ce récit autobiographique, mêlant réflexions et expériences personnelles, Aguero révèle ce qu'il nomme sa "condition": "être le fils de parents qui ont milité au sein du Parti communiste (plus connu sous le nom de Sentier Lumineux) et qui sont morts, victimes d'exécutions extrajudiciaires".
Le livre est dédié à leur mémoire, un père syndicaliste de la métallurgie, exécuté par les forces armées en 1986 lors d'une mutinerie dans la prison de l'île d'El Fronton, une mère enlevée par les forces de sécurité et retrouvée morte criblée de balles sur une plage de Lima en 1992.
"On apprend à vivre avec la honte", confie l'historien à l'allure d'étudiant, silhouette frêle et cheveux bouclés, qui a porté en secret le poids d'une histoire à laquelle il est à jamais lié et qui l'a condamné à se taire.
"une famille terroriste"
"Avoir une famille qui pour une partie de la société est entachée de crimes, qui est une famille terroriste, c'est une réalité concrète, comme une chaise, une table ou un poème", écrit-il.
"Il y a trop de silence autour de ce que nous avons vécu, une étape d'horreur, une guerre accompagnée d'impunité, de déni, qui nous empêche de nous regarder et de nous voir réellement comme Péruviens et comme société".
Le livre a rencontré un succès médiatique inattendu au Pérou où le processus de réconciliation est loin d'avoir abouti après le conflit qui a ravagé le pays, encore traumatisé, entre 1980 et 2000.
Selon le rapport de la Commission de la Vérité et la Réconciliation, cette époque de violence, la plus longue de l'histoire moderne du Pérou, a causé la mort de 70.000 personnes et la disparition de 15.000 autres.
Les communautés andines à large majorité rurales et vivant dans une situation d'extrême pauvreté et d'exclusion sociale ont payé le plus lourd tribut à la violence.
"La guerre a été tellement atroce qu'elle n'a pas mis au clair qui étaient les innocents, les victimes", relève Aguero, dans une allusion aux militaires qui ont détruit des villages entiers et tué des centaines de paysans soupçonnés de coopérer avec la guérilla.
"bons parents"
Il définit ses parents comme "des militants de gauche formés idéologiquement dans les années 60", mais, ajoute-t-il, "il n'y a pas de motifs suffisants pour que leur intention de changer la société comporte le droit à la violence, c'est là le grand échec de mes parents".
"Je connais l'horreur qu'ont signifié pour beaucoup de gens pauvres les actions du Sentier Lumineux, mes parents ont fait partie de cela et je ne peux pas en être fier".
Mais, en même temps il revendique "un orgueil primaire" : "je les aime, ils étaient de bons parents, ils m'ont donné une éducation, m'ont protégé de la guerre et du Sentier Lumineux, m'ont nourri dans une situation d'extrême pauvreté" dans les bidonvilles de Lima.
Son livre évoque "la guerre comme toile de fond de la vie de famille", la clandestinité, les déménagements fréquents, une éducation "précaire en termes scolaires mais lettrée, démocratique, une pédagogie de la solidarité".
Pour lui la guerre populaire à feu et à sang du Sentier Lumineux, fondée sur un maoïsme radical souvent comparé à celui des Khmers Rouges de Pol Pot au Cambodge, n'a généré que "la barbarie".
Le fondateur et dirigeant suprême du mouvement, Abimael Guzman, arrêté en 1992 et aujourd'hui sous les verrous, "n'était pas un guérillero" mais "une sorte d'oracle" qui a "anéanti la gauche péruvienne".
Pour Aguero, le livre donne pour la première fois une image et une voix aux familles des "Senderistas, "à ceux qui ont souffert les séquelles physiques et mentales de ce qu'ils ont vécu durant le conflit et qui portent le poids de devoir se construire une identité".