Le cardinal Etchegaray avait visité les deux camps en conflit en 1994, le camp gouvernemental et le camp du Front Patriotique Rwandais (FPR, en rébellion à l'époque). En revanche, Me Rwangampuhwe a estimé que les deux évêques rwandais ne pouvaient pas être entendus parce qu'ayant suivi le procès depuis le début. De plus, Mgr Ntihinyurwa est partie dans ce procès, a précisé l'avocat des parties civiles, l'archidiocèse de Kigali étant coaccusé avec Mgr Misago dans la citation directe des parties civiles que Me Rwangampuhwe a déposée devant les juges le 26 octobre dernier
Dans ses reproches à témoin, Me Rwangampuhwe a par ailleurs indiqué que la plupart des témoins à décharge, essentiellement des religieux, ne peuvent pas être entendus non plus, car ayant des relations de subordination avec Mgr Misago. Par ailleurs, certains d'entre eux ont aidé l'évêque de Gikongoro à commettre ses crimes. Les autres enfin étaient des Tutsis menacés de mort et ont été sauvés par lui ; ils ont donc une dette de reconnaissance envers lui, a déclaré l'avocat.
L'un des avocats de la défense, Me Protais Mutembe, a qualifié de choquant les propos de son collègue selon lesquels Mgr Misago a commis des crimes. Où est alors la présomption d'innocence ? a-t-il dit. Me Mutembe a expliqué que la défense a cité les évêques Ntihinyurwa et Rubwejanga pour qu'ils éclairent la cour uniquement sur la personnalité de Mgr Misago et que donc cela ne pouvait pas empêcher la cour de les entendre. Quant aux religieux tutsis sauvés par Mgr Misago, il faut justement qu'ils soient entendus car leur présence prouve que l'évêque n'est pas un "génocidaire", a-t-il ajouté. Selon Me Mutembe, aucun témoin de la défense n'a aucun lien avec l'accusé. La démarche de l'avocat des parties civiles viserait plutôt à empêcher Mgr Misago de faire citer aucun témoin, a-t-il indiqué.
Mgr Misago s'est montré de ce même avis mais a expliqué qu'en ce qui concerne les nonnes, par exemple, l'évêque n'a pas droit d'affectation ou de sanction sur elles. Elles sont affectées par leurs supérieures, a-t-il dit, voulant montrer par là que les religieuses qu'il cite comme témoins ne sont liées à lui par aucune relation de subordination.
Le substitut du procureur, Edouard Kayihura, a pour sa part indiqué qu'il n'y avait aucune raison de ne pas entendre les témoins cités par la défense puisque la cour a toute latitude d'apprécier leurs témoignages.
Les juges ont dû suspendre ces débats afin de pouvoir se concerter. Ils ont alors pris la décision que les témoins que la défense voudra faire appeler seront tous entendus et qu'ils apprécieront eux-mêmes de la valeur de leurs témoignages.
Le premier témoin à décharge a donc pu être entendu. Sœur Pierre Célestin était professeur à l'école des lettres de Kibeho jusqu'en mai 1994. Elle a déclaré que beaucoup de gens ont été tués à Kibeho, mais qu'elle était incapable de savoir qui les a tués car elle ne pouvait pas sortir du couvent pendant le génocide.
A la question des juges de savoir si Mgr Misago était arrivé à Kibeho pendant cette période de génocide, Sœur Pierre Célestin, actuellement professeur à Byimana (préfecture de Gitarama au centre du Rwanda), a répondu qu'il y était allé effectivement à deux reprises. La première fois le 17 avril 1994, soit trois jours après le massacre des réfugiés tutsis de l'église de Kibeho, et à "une autre date qu'elle a oubliée". Il venait nous rendre visite, nous n'avons pas fait de réunion mais nous avons "bavardé" normalement, a-t-elle déclaré. Selon Sœur Pierre Célestin, l'idée de l'évêque était de faire évacuer les religieuses qui étaient menacées, essentiellement tutsi, ainsi que les élève tutsi de l'école Marie Merci, voisine de l'école des lettres, à Kibeho. Seule l'évacuation des religieuses, trois Tutsi et une Hutu, a été possible, sous escorte militaire, jusqu'à Butare, au sud, a-t-elle dit.
Beaucoup de questions sont par ailleurs revenues au sujet d'un certain nombre de personnes que Mgr Misago est accusé d'avoir évacuées lui-même du couvent des sœurs de Kibeho et qu'il aurait fait tuer par la suite, selon l'accusation. Sœur Pierre Célestin n'a pas été en mesure d'en préciser le nombre. Elles étaient nombreuses, a-t-elle dit simplement. Mais elle a précisé que trois ont été mises dans la voiture de l'évêque en provenance du couvent même des soeurs et que les autres venaient des bananeraies et autres brousses avoisinantes. Elle a indiqué que l'idée était d'aller les faire soigner parce qu'elles étaient blessées.
Selon l'accusation, ces personnes, une trentaine, ont été transportées par l'évêque jusqu'aux portes de l'hôpital de Kigeme mais n'auraient jamais été débarquées dans l'hôpital même, mais plutôt à un barrage de miliciens Interahamwe et militaires ex-FAR (les Forces Armées Rwandaises de l'ancien régime) érigé devant l'entrée de l'hôpital où elles auraient été "achevées" sur ordre de Mgr Misago.
Me Mutembe a voulu que les juges demandent à quelqu'un qui faisait partie de ce convoi si c'était exact. La défense a fait alors appeler un jeune homme, Jérôme Rugema, actuellement élève dans une école secondaire de Kabgayi, près de Gitarama (à une cinquantaine de kilomètres au sud de Kigali). Celui-ci ne pouvait cependant pas être entendu comme témoin en raison de son jeune âge. Son "témoignage" était nécessaire uniquement à titre de renseignements. Il a indiqué que "cette évacuation" s'était faite sous escorte militaire.
Le président du siège, le juge Jaliel Rutaremara, a estimé qu'il n'était pas nécessaire que le jeune homme réponde à la question de Me Mutembe. Celui-ci a alors considéré que "la réponse à l'accusation selon laquelle Mgr Misago avait fait tuer ces personnes était trouvée".
Le procès, ouvert sur le fond le 20 août dernier, se poursuivra le 18 janvier prochain. Au moins une dizaine de témoins à charge, principalement des religieux dont la plupart ont témoigné à huis clos, ont été entendus jusqu'au 25 novembre dernier.
Mgr Misago est accusé de génocide et de crimes contre l'humanité, de non-assistance à personnes en danger de mort, le parquet estimant qu'il en avait les pouvoirs et les moyens, et de violation des Conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels. Selon le ministère public, tous ces crimes ont été commis dans la région de Gikongoro, en particulier à Kibeho, Kaduha et Cyanika, de son propre chef, en association avec l'ancien préfet de Gikongoro, Laurent Bukibaruta, et le commandant de la gendarmerie pour la région de Gikongoro, le major Bizimana, ou en tant que leur complice.
De son côté, l'avocat des parties civiles, dans sa citation directe, entend poursuivre Mgr Misago en tant que planificateur et superviseur du génocide au plan national. Me François Rwangampuhwe accuse l'évêque, outre les crimes allégués par le parquet, des massacres qui ont eu lieu au Centre Christus de Remera, près de Kigali, et au Centre Saint-Paul, au centre de la capitale rwandaise, en avril 1994, dans lesquels au moins une dizaine de prêtres catholiques tutsis, entre autres, ont été tués. Cette citation directe fera l'objet d'un jugement à part à l'issue du procès de l'affaire entre le parquet et Mgr Misago.
WK/FH (RW§1201A)