LE TPIR LANCE UN PROGRAMME D'AIDE AUX VICTIMES DU GENOCIDE

Kigali, 26 septembre 2000 (FH) - Le ministre rwandais de la justice, Jean de Dieu Mucyo, a demandé mardi une sorte de "Plan Marshall" pour la reconstruction du Rwanda, à l'occasion du lancement d'un programme d'aide aux témoins et aux témoins potentiels mené par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). Ce programme constitue le premier volet d'un programme plus large d'aide aux victimes comprenant également des conseils juridiques, des conseils psychologiques, de la rééducation physique et une aide financière pendant la réinstallation.

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"Le Rwanda a été dévasté en 1994. Plusieurs pays ont une part de responsabilité dans cette catastrophe. Même les Nations unies. Je voudrais demander au représentant du secrétaire général des Nations unies, et aux représentants des pays et des organisations internationales, de faire pour nous comme ce qui a été fait pour l'Europe après la seconde guerre mondiale, ne serait-ce qu'un mini-Plan Marshall, pour essayer de reconstruire le Rwanda, de réhabiliter la justice, et de favoriser la réconciliation nationale", a déclaré Jean de Dieu Mucyo, lors de la cérémonie de lancement du programme.

Cette cérémonie a eu lieu en présence du greffier du TPIR, le Nigérian Agwu Ukiwe Okali, dont la fonction correspond au rang de sous-secrétaire général des Nations-Unies, et les membres du corps diplomatiques accrédités à Kigali. Agrémentée de danses et chants traditionnels, elle s'est déroulée à Kamonyi, commune Taba (préfecture de Gitarama), à une trentaine de kilomètres au sud de Kigali, où a été posée la première pierre pour la construction d'un village de 153 maisons en faveur de familles de survivants du génocide.

Ce village, baptisé "Village de la Paix", est l'initiative d'une ONG locale, l'Association Sociale pour les Femmes Rwandaises (ASOFERWA). Le TPIR a contribué pour 15% du financement, soit 52 000 dollars américains, en vue de la construction initiale de 23 maisons. L'ASOFERWA devra trouver le reste de l'argent auprès d'autres bailleurs de fonds pour poursuivre et achever les travaux.

Selon le greffier du TPIR, le programme d'aide aux victimes est la concrétisation d'une idée de justice réparatrice, qui cherche essentiellement à guérir ou à rétablir la victime dans sa situation antérieure. "Nous croyons que la justice de réparation facilitera le processus de réconciliation nationale et de paix au Rwanda, car la la victime qui a reçu l'aide appropriée aux fins de réparation sera mieux disposée à envisager la possibilité d'une réconciliation", a-t-il indiqué.

Il y a trois ans que le greffe du TPIR a proposé pour la première fois la mise en place dans le cadre du Tribunal d'un programme d'aide aux victimes, a affirmé Agwu Okali,. "L'idée a rencontré une forte opposition de la part d'un certain nombre de personnes, sous prétexte que ce n'était pas l'affaire du Tribunal. Néanmoins, elle a été bien accueillie par les ONG et les pays qui ont appuyé cette idée dans le cadre de la création d'une Cour pénale internationale permanente".

"Le parcours a été long. Nous avons continué à faire campagne au sein du Tribunal, des Nations unies et d'autres forums. Le siège des Nations unies a approuvé le projet à la condition qu'il soit limité aux procédures et objectifs immédiats du Tribunal et nous avons réussi à faire modifier le règlement de procédure et de preuve afin qu'il prenne en compte l'aide aux victimes des violences sexuelles", a expliqué le greffier du TPIR.

Le programme d'aide du TPIR aux victimes sera réalisé à travers cinq ONG féminines locales, à savoir AVEGA-Agahozo (Association des Veuves du Génocide d'Avril), ASOFERWA (Association Sociale pour les Femmes Rwandaises), Rwanda Women Network, Haguruka (Association pour la Défense des droits de la femme et de l'enfant), et Pro-femmes Twese Hamwe (collectif d'une trentaine d'ONG féminines du Rwanda).

Pour le greffier du TPIR, "travailler avec des ONG déjà opérationnelles au Rwanda est bénéfique dans la mesure où elles connaissent le contexte historique et socio-culturel et peuvent faciliter la mise en œuvre de services appropriés dans ce contexte. Ce n'est là qu'une première étape et nous espérons renforcer notre coopération avec toutes les ONG rwandaises pertinentes, ainsi que les autres agences des Nations-Unies oeuvrant au Rwanda", a-t-il ajouté.

Le greffier du TPIR a en outre expliqué que le choix de la date du 26 septembre pour le lancement du programme d'aide ne s'était pas fait au hasard. En effet, a-t-il dit, c'est cette semaine, en 1946, que le procès de Nuremberg a pris fin. Plus important encore, a-t-il poursuivi, c'est la même semaine, en 1996, que le procès Akayesu a commencé au TPIR.

"Le choix de la commune Taba n'est pas non plus une coïncidence : Jean-Paul Akayesu, ancien bourgmestre (équivalent au maire) de cette commune de Taba, est la première personne condamnée par le TPIR. Akayesu a également été condamné pour viol, crime que le TPIR a considéré comme un acte de génocide. Ce programme d'aide pourra aider, entre autres, les femmes et témoins potentiels, victimes de violences sexuelles", a ajouté M.Okali.

"C'est une œuvre louable", a répondu le ministre rwandais de la justice. "Mais pensez aussi aux autres besoins les plus élémentaires de la vie de chaque jour des victimes laissées sans rien par le génocide: la nourriture, les soins de santé, l'école... Vous avez les moyens" a déclaré M.Mucyo. "Vous savez que les bourreaux ont contaminé avec le virus du sida certaines victimes des violences sexuelles. Il est inconcevable qu'ils soient soignés dans leur détention, mais que leurs victimes restent livrées à elles-mêmes", a-t-il lancé.

Le ministre de la justice a par ailleurs estimé que le TPIR devrait penser également à accepter la constitution de parties civiles et à accorder les dommages-intérêts y afférents. Il a attiré l'attention sur la sécurité des témoins: ceux-ci doivent être suivis avant, pendant et après leur témoignage, car il y a eu des cas d'assassinats, a-t-il indiqué. Jean de Dieu Mucyo a également estimé que certains témoins, au cours de leur séjour à Arusha, font l'objet de discrimination de la part du personnel du TPIR.

Le ministre rwandais de la justice a enfin demandé au TPIR d'organiser rapidement certains de ses procès à Kigali, "ce qui allégerait d'ailleurs pour les témoins la charge du voyage d'Arusha". Une salle de la Cour suprême doit être réaménagée à cet effet, avec le concours du TPIR, mais les travaux n'ont pas encore commencé. "J'insiste aussi sur les personnes qui ont été condamnées par le TPIR: nous demandons qu'elles viennent purger leurs peines au Rwanda. Si nos prisons ne répondent pas aux normes onusiennes, comme on nous le reproche souvent, aidez-nous à en aménager une au moins en conséquence. Cependant, si l'on regarde de près ce que ces gens ont commis comme crimes, on peut dire qu'il n'y a aucune différence entre eux et ceux qui sont condamnés par la justice rwandaise", a-t-il indiqué.

WK/PHD/FH (RW&0926A)