Peu après l'arrestation de l'ex-chef d'Etat en avril 2006, au Nigeria, le tribunal spécial, basé à Freetown, décidait de siéger à La Haye. La présidente du Libéria en avait fait la demande, estimant que le procès de son prédécesseur en Afrique de l'Ouest risquait de déstabiliser la région. Charles Taylor est accusé de crimes contre l'humanité et crimes de guerre pour avoir voulu s'emparer des richesses diamantifères de la Sierra Léone, au prix de quelques 150 000 morts, et plusieurs millions de déplacés. Pour le procureur, Charles Taylor aurait, une fois acquis par les armes le pouvoir au Libéria, soutenu, formé, financé les rebelles du Front révolutionnaire uni en Sierra Léone, pays voisin.
L'une des difficultés majeures de ce procès vient de ce qu'il ne concerne pas les crimes commis au Libéria, mais ceux perpétrés en Sierra Léone à partir de 1996. L'accord de paix en Sierra Léone, signé en 1996, et rapidement violé, prévoyait l'amnistie pour les crimes commis dans ce pays. Organisé à 5000 kilomètres des sites de crimes, le procès est à bien des égards remarquable aprés les errements constatés dans les tribunaux internationaux. Les débats sont fermement dirigés par les juges, et les manœuvres dilatoires de l'une ou l'autre partie ne sont pas de mises. Les témoins appelés par le procureur évoquent directement les faits sans revenir sur l'histoire de la guerre au Libéria ou en Sierra Léone, un pan du procès laissé aux experts.
Nombre des témoins sont d'anciens comparses de Taylor, capables de décrire de l'intérieur la machine de mort et qui comparaissent à visage découvert. Plusieurs d'entre eux se sont vus refuser l'utilisation d'un pseudonyme ou du huis clos. Fin avril, le procureur avait du renoncer à l'audition d'une victime. Trois « insiders » auraient reçu des menaces. Alimamy Bobson Sesay s'en était plaint à la Cour, Joseph Marzah, chef d'un escadron de la mort durant la guerre aurait été menacé au terme de son témoignage, à son retour à Monrovia. Moses Blah, qui avait présidé le Libéria en 2003, après la mise en accusation de Charles Taylor et son départ du pays, et qui comparaît depuis le 14 mai, affirme avoir reçu une menace de mort par courriel. Cité à comparaître par le procureur, il refusait de se présenter volontairement.
Moses Blah a notamment évoqué l'entraînement de 180 hommes de Taylor, dans les camps de Muhammar Kadhafi en Libye, avant le début de la guerre civile au Libéria ou encore l'exécution de commandants accusés de fomenter des attaques contre Charles Taylor. Il a évoqué le soutien de Blaise Compaore à la guerre de Taylor, ou encore celui du ministre de la Défense de Côte d'Ivoire, qui avait fourni plusieurs camions d'armes. Selon le témoin, le président Kadhafi aurait fait part de son mécontentement au sujet de Charles Taylor, pour le soutien apporté par ce dernier aux hommes de Foday Sankoh, le chef du Front révolutionnaire uni en Sierra Léone, soutien qui, pour le leader libyen, n'était pas en accord « avec les principes de la révolution ».
Dans le box, Charles Taylor semble parfaitement à l'aise. Après quelques semaines, le Seigneur de guerre a remplacé ces verres sans teins, monture en or, contre des lunettes plus sobres. Il suit consciencieusement chaque témoignage, et porte quelques annotations sur des post-it de différentes couleurs qu'il transmet à ses avocats, avec lesquels il se concerte régulièrement. Ses avocats, membres du Barreau de Londres et de Monrovia, reçoivent une enveloppe de 100 000 dollars par mois pour la défense de l'accusé. Le procureur Stephen Rapp a annoncé qu'il poursuivait ses recherches sur les avoirs de Charles Taylor, ce qui pourrait permettre au tribunal d'imputer à l'accusé les frais de sa défense, jusqu'à présent assurée par la communauté internationale.
A ce sujet, le tribunal spécial a émis plusieurs demandes de coopération aux Etats. Selon le procureur, l'ancien président disposerait notamment de deux comptes aux Etats-Unis d'une valeur totale de 375 millions de dollars. Le procès de Charles Taylor est le premier intenté en Afrique contre un chef d'état. Avant lui, seuls Saddam Hussein, et Slobodan Milosevic avaient été poursuivi pour des crimes contre l'humanité. Le premier a été condamné à mort et pendu au terme d'un procès « entaché d'irrégularités » selon Human Rights Watch. Slobodan Milosevic était décédé avant le terme de son procès devant le tribunal pour l'ex-Yougoslavie.
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