Afrique du Sud: "mission inachevée" pour la Commission réconciliation, l'Etat pointé du doigt

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En révélant les horreurs de l'apartheid en Afrique du Sud, la Commission vérité et réconciliation devait aussi permettre de panser les plaies du passé. Mais 20 ans après, une infime proportion des affaires ont abouti à des procès, un échec cinglant attribué, selon les spécialistes, au "manque de volonté" du pouvoir actuel.

La mère de Nokuthula Simelane, militante anti-apartheid disparue en 1983, ne sait toujours pas où a été jeté le corps de sa fille. La soeur de Neil Aggett, torturé en 1982 par la police à Johannesburg, attend toujours que le bourreau présumé de son frère soit jugé.

"Mission inachevée", résume amèrement l'ancien archevêque Desmond Tutu, en faisant le bilan de la Commission vérité et réconciliation (TRC) qu'il a inspirée et présidée, de 1996 à 1998, pour faire la lumière sur les crimes politiques commis pendant le régime ségrégationniste.

Il y a vingt ans tout juste, le 15 avril 1996, la première audience publique de la TRC se tient dans la mairie d'East London (sud).

L'instant est solennel, l'espoir mis dans la TRC est énorme: Desmond Tutu, dans sa robe violine d'archevêque, allume une bougie. La litanie des témoignages sur les atrocités commises pendant l'apartheid commence: étudiant jeté d'un avion en vol, corps détruits sur une pile d'explosifs, militants torturés la tête sous l'eau...

En échange d'aveux complets - les audiences sont télévisées en direct -, policiers, militaires ou encore ministres peuvent obtenir l'amnistie de leurs crimes politiques. Un concept révolutionnaire, destiné à éviter une guerre civile dans une Afrique du Sud au bord du chaos, et repris depuis dans plusieurs pays.

La TRC reçoit quelque 7.000 demandes d'amnistie. Elle l'accorde à un millier de personnes et recommande à la justice d'engager des poursuites dans plus de 300 affaires.

Mais aujourd'hui, le constat est accablant: "Moins d'une poignée d'affaires ont effectivement fait l'objet de poursuites judiciaires", s'indigne Desmond Tutu. Parmi elles, l'ancien ministre de la Loi, Adriaan Vlok, condamné à dix ans de prison avec sursis en 2007 pour avoir voulu empoisonner le révérend Frank Chikane.

"Que des familles se recueillent depuis des décennies sur la tombe de leurs enfants sans savoir ce qu'il leur est arrivé est impardonnable", estime l'avocat Howard Varney. "Que le soi-disant gouvernement qui représentait les forces de libération ait tourné le dos à son propre peuple est tout aussi impardonnable", ajoute-t-il pour l'AFP, en référence au Congrès national africain (ANC), fer de lance de la lutte anti-apartheid et au pouvoir depuis 1994.

- 'Peur de représailles' -

"On a été trahis par le gouvernement", affirme Thembi Nkadimeng, la soeur de Nokuthula Simelane, torturée et portée disparue depuis 1983.

"La famille a été menée en bateau pendant des années, affirme son avocat Howard Varney. La police a dit qu'elle n'avait pas d'enquêteurs, puis le procureur s'est plaint que les enquêteurs étaient inexpérimentés, puis le dossier d'instruction a été perdu pendant près d'un an".

Finalement, quatre anciens policiers ont été inculpés cette année. Une décision "historique" selon Desmond Tutu. Le procès débutera le 25 juillet et suscite beaucoup d'espoir parmi les familles de victimes de l'apartheid, comme celle de Neil Aggett, syndicaliste blanc mort après plus de 60 heures de tortures.

Stephan Whitehead, un des bourreaux présumés du jeune homme, ne s'est pas présenté devant la TRC et n'a jamais été jugé.

"Mais ce qui m'a mis hors de moi est que 20 ans plus tard, il dirigeait encore une entreprise de sécurité très prospère à Johannesburg et que la plupart de ses clients étaient des ministères", confie sa soeur Jill Burger.

Interrogé sur la lenteur des enquêtes post-TRC, le parquet sud-africain concède qu'un audit sur le sujet est en cours, tout en expliquant que "les poursuites sont très compliquées car les enquêtes doivent être reprises de zéro".

Mais les défenseurs des victimes avancent une raison moins avouable.

"Il y a très peu de volonté politique" car l'ANC a peur de représailles, explique une ancienne commissaire de la TRC, Yasmin Sooka. "Combien de personnes ont collaboré avec l'ancien régime et combien seront pointées du doigt quand l'autre camp commencera à être jugé ?", lance-t-elle à l'AFP.

Nouveau et ancien régimes "se protègent mutuellement pour limiter les dégâts", résume Marjorie Jobson de l'association Khulumani.

"La TRC a permis de mettre un terme au déni des Sud-Africains blancs vis-à-vis des atrocités commises. Mais, conclut-elle, elle n'a pas rendu justice aux victimes de l'apartheid."