Les victimes de Habré ne veulent pas de "libération déguisée" sous couvert de coronavirus

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Les victimes de Hissène Habré s'inquiètent du risque que la sortie de prison temporaire de l'ex-président tchadien, motivée par le Sénégal par le coronavirus, ne devienne définitive, a dit mardi un de leurs défenseurs.

"Le gouvernement sénégalais a dit très clairement que Hissène Habré retournera en prison", a déclaré à l'AFP Reed Brody, défenseur des victimes et avocat pour l'ONG Human Rights Watch.

"La crainte, c'est que, comme nous le savons, Hissène Habré s'est servi des millions de dollars qu'il a volés dans les caisses du Trésor tchadien pour se constituer un réseau de protection", a dit M. Brody, cheville ouvrière du processus ayant abouti au proçès de l'ex-dirigeant devant un tribunal spécial africain, condamné à la prison à vie.

"La crainte, c'est que cela ne soit une libération déguisée. Il y a beaucoup de pressions depuis un an de la part de Habré et de ses soutiens pour sa libération", a-t-il déclaré.

Le Sénégal a autorisé lundi M. Habré à quitter pendant deux mois la prison de Dakar où il est détenu. Le juge de l'application des peines, accédant à l'argument de l'avocat de M. Habré pour appuyer une demande de sortie, retient que le détenu est "particulièrement vulnérable à ce coronavirus".

Il s'agit aussi de faire de la place pour d'autres détenus, sa prison ayant été choisie pour mettre en quarantaine les prisonniers commençant leur détention afin d'éviter la contamination en milieu carcéral, selon l'ordonnance du juge.

Renversé en 1990, l'ex-président tchadien avait trouvé refuge au Sénégal, où, sous la pression internationale, les conditions de son procès avaient été créées. Il y avait été arrêté en 2013 et inculpé par le tribunal spécial instauré en coopération avec l'Union africaine.

Il "a regagné son domicile de Ouakam (banlieue de Dakar) depuis hier (lundi) à 19H00 (locales et GMT), point de départ de la durée de 60 jours qui lui a été accordée", a dit son avocat Ibrahima Diawara.

L'ordonnance du juge stipule que M. Habré réintégrera la prison "immédiatement à l'expiration de la permission" de sortie.

Le ministre sénégalais de la Justice, Malick Sall, a souligné lundi soir sur une radio que M. Habré "n'a pas été libéré, Hissène Habré est toujours en prison", chez lui, sous garde pénitentiaire permanente. Il ne s'agit pas d'une décision du chef de l'Etat, d'une grâce ou d'une libération conditionnelle, a-t-il insisté.

Il a invoqué le fait que le prisonnier Hissène Habré avait été "confié" à l'Etat du Sénégal et que la responsabilité de sa sécurité incombait donc à ce dernier.

Hissène Habré, 78 ans, qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, a été condamné le 30 mai 2016 à la prison à vie à l'issue d'un procès sans précédent à Dakar, après avoir été déclaré coupable de crimes contre l'humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvement.

Une commission d'enquête tchadienne a chiffré à 40.000 morts le nombre des victimes de la répression sous le régime Habré.

"Ce qui reste en travers de la gorge des victimes, dont beaucoup sont totalement indigentes et se sont battues pendant 25 ans pour qu'il soit jugé, c'est que Habré refuse toujours de commencer à leur payer les réparations de 82 milliards de francs CFA ordonnés" par le tribunal spécial, a dit M. Brody.

Cette somme correspondraient aujourd'hui à 125 millions d'euros.

Le Sénégal a officiellement déclaré 237 cas de contamination par le Covid-19 et deux décès.