Impunis au Brésil, les crimes contre les autochtones échoient à la CPI

Au Brésil, des ONGs de défense des droits humains dénoncent les violations dont sont victimes les peuples autochtones depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, en janvier 2019. Face aux lenteurs des tribunaux, elles ont transmis le 27 novembre une « note d’information » accusant le président de crimes contre l’humanité et d’incitation au génocide, à la procureure de la Cour pénale internationale.

Impunis au Brésil, les crimes contre les autochtones échoient à la CPI©Phil NIJHUIS / AFP
Des leaders indigènes brésiliens, le 30 octobre à La Haye (Pays-Bas), venus décrire les violations des droits humains dont les populations autochtones d’Amazonie sont victimes, devant le Parlement néerlandais.
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De retour de la chasse, le jeune leader de l’ethnie guajajara est tombé dans une embuscade. Paulo Paulino a été assassiné le 1er novembre dernier, sur la terre Indigène Araribóia, en Amazonie. Il était l’un des « gardiens de la forêt », mobilisés pour empêcher que les intrus, orpailleurs ou exploitants forestiers, empiètent sur leurs territoires. Son élimination est l’un des nombreux motifs qui ont conduit deux organisations brésiliennes à saisir, le mois dernier, la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) contre le président brésilien Jair Bolsonaro pour crime contre l’humanité et incitation au génocide contre les Indiens.

« Sous prétexte de développer l’Amazonie, le gouvernement Bolsonaro encourage les attaques contre les Indiens du Brésil et contre leurs terres », affirme le manifeste élaboré par la commission Arns et le Collectif des avocats des droits de l’homme (Cadhu), deux groupes mobilisés pour la défense les droits humains au Brésil, qui est un État partie à la CPI depuis sa création en 2002. « Les chefs d’État et de gouvernement ont le devoir, dans le cadre du droit international, soutiennent-ils, d’empêcher des crimes et de protéger les populations vulnérables ».

Le président Bolsonaro a fréquemment critiqué la politique de démarcation des terres permettant aux Indiens de vivre sur leurs territoires sans être inquiétés, et souhaité y développer des activités minières et agricoles, ainsi que des travaux d’infrastructures. Il n’a jamais caché sa volonté de les assimiler au reste de la population brésilienne. « Nos Indiens, ou la majeure partie d’entre eux, sont condamnés à vivre comme des hommes pré-historiques (sic) au sein de notre propre pays. Cela doit changer, a-t-il expliqué à Manaus fin novembre. Pourquoi réserver un espace où l’on ne peut rien faire ? Nous voulons que l’Indien fasse sur sa terre exactement ce que l’agriculteur pratique juste à côté. Y compris exploiter les richesses minérales ».

« Incitation à la violence »

Au pouvoir depuis moins d’un an, le président d’extrême droite est ainsi accusé, par la commission Arns et par le Cadhu, d’inciter à la violence contre les peuples autochtones, d’affaiblir les mécanismes de contrôle et de ne pas agir pour empêcher les crimes contre l’environnement en Amazonie. Premier exemple flagrant, cité dans la communication à la CPI : la Fondation nationale de l’Indien (Funai), dont la mission officielle est de « protéger et de promouvoir les droits des peuples indigènes, au nom de l’État ». Elle a elle-même été prise pour cible. Faute de moyens, elle est devenue incapable de protéger ses collaborateurs. Ce fut le cas notamment lorsque des violences ont récemment éclaté dans la « terre Indigène » Vale du Javari, dans l’État d’Amazonas. « La base de la Funai au confluent de deux fleuves très importants de la région a été mitraillée à trois reprises au cours des six derniers mois. Deux collaborateurs ont été tués à Tabatinga. Récemment, les techniciens de la Funai ont simplement quitté les lieux parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité », explique un responsable local. Il précise que la pression des exploitants forestiers et des orpailleurs s’intensifie, en alliance avec les trafiquants de drogue locaux.

« Extermination programmée »

De son côté, le Conseil missionnaire indigène (Cimi) n’hésite pas à évoquer « une extermination programmée des peuples indigènes ». « Il ne s’agit pas seulement d’une omission du gouvernement fédéral, mais de son action délibérée pour permettre que ces peuples soient massacrés », affirme le groupe catholique. Le Cimi a engagé des poursuites judiciaires contre le nouveau président de la Funai, Marcelo Augusto Xavier da Silva, nommé par Bolsonaro. Il lui reproche de défendre les intérêts des propriétaires terriens. Ancien commissaire de la police fédérale, le chef de la Funai est soupçonné de prendre parti contre les Indiens. Dans l’État de Paraná (sud du Brésil), le Cimi affirme que 30 familles de la tribu Kaingang sont actuellement menacées d’expulsion. « Il y a eu une décision de la justice en leur faveur, mais le président de la Funai a donné l’ordre d’abandonner la procédure judiciaire », explique Antônio Eduardo Oliveira, secrétaire exécutif du Cimi, qui a porté plainte contre le président de la Funai devant le ministère public fédéral. Oliveira exprime ainsi son inquiétude : « Il y a une relation entre ce que dit M. Bolsonaro et l’invasion des territoires indigènes et le démantèlement des organes de protection prévues par la Constitution (...). Il a démontré qu’il met sérieusement en danger la vie des peuples indigènes. Il fomente la discrimination, la haine, et la violence contre les peuples indigènes ».

Un autre exemple d’« invasion » vient du bassin de l’Araguaia, entre l’État du Mato Grosso et celui de Tocantins. Des agriculteurs ont installé leur bétail sur les terres d’indiens de l’ethnie awa. Sans réaction des pouvoirs publics. Face à cette situation, Luciana Ferraz, du Forum national de la société civile des comités du bassin hydrographique à Cuiabá, vient d’expédier une « note technique » à un tribunal de Brasilia pour dénoncer cette « agression ». « La politique indigène actuelle génère un génocide », assure-t-elle.

Organes de contrôle démantelés

Le recours à la justice internationale est motivé par la lenteur de la justice locale et par la politisation de certaines nominations, dont celle du procureur général de la République Gustavo Aras - dont le nom ne figurait pas sur la traditionnelle « shortlist » de trois candidats suggérés par les procureurs. « Les organes de contrôle locaux ont été complètement démantelés. C’est ce qui nous a motivé à penser à lancer une initiative à l’échelle internationale », explique Juliana Vieira, du Cadhu. Elle évoque une « véritable tentative d’asphyxie des organisations de la société civile » et de la suppression des partenariats entre les ONG et le ministère de l’Environnement.

Les ONG, dans l’optique de Bolsonaro, représentent le mal. Ainsi, le président brésilien avait annulé en dernière minute une rencontre avec le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian en juillet dernier, précisément parce que celui-ci avait eu des entretiens avec des ONG spécialisées dans l’environnement. Un incident diplomatique qui s’est transformé en véritable brouille avec Paris après la polémique sur les incendies de forêt au mois d’août. Bolsonaro a accusé les ONG d’avoir déclenché ces feux de forêts et, en novembre, quatre jeunes pompiers volontaires ont été placés en détention pour ce motif en Amazonie, avant d’être relâchés peu après.

La rhétorique de Bolsonaro constitue, selon Vieira, du Cadhu, une « incitation à la violence contre les défenseurs de l’environnement et contre les peuples indigènes ». « On veut montrer qu’il y a un lien entre dégradation de l’environnement et les attaques de bandes armées, les opérations minières clandestines, la pénétration de l’agriculture sur la forêt, de sorte que les Indiens soient expulsés de leurs terres et se retrouvent dans la plus grande précarité, ce qui remet en cause leur propre identité », dit-elle. Une situation qui dégénère parfois en violences, comme dans le cas de l’assassinat de Paulino, toujours non élucidé. « L’enquête est au point mort. Il y a une omission de la part du gouvernement pour faire la lumière sur cette affaire », ajoute Vieira. Dimanche dernier, le 8 décembre, deux autres Indiens guajajaras ont été assassinés dans la terre indigène Cana Brava, dans l’État du Maranhão.