Guinée : le casse-tête d’un procès en appel

Un an après un verdict retentissant dans le procès du massacre de 2009 au stade de Conakry, l’avenir d’un procès en appel relève toujours de l’inconnu. Il y a désormais ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas, ceux qui n’en veulent plus et ceux qui ne disent rien.

En Guinée, le procès en appel relatif au massacre du 28 septembre 2009 est au point mort. Photo : Asmaou Diallo, présidente d'une association de victimes, pose devant le stade de Conakry où ont eu lieu les événements.
Asmaou Diallo, la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa), espère encore que les victimes non prises en compte, comme elle, par la chambre de première instance dans le procès du massacre du stade de Conakry (Guinée), puissent être indemnisées en appel. Photo : D.R.
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Le 31 juillet, cela a fait un an depuis que le tribunal de première instance de Dixinn, à Conakry, a rendu un verdict historique dans le procès des événements du 28 septembre 2009 en Guinée. Huit des douze accusés avaient été condamnés à des peines allant de dix ans de prison à la perpétuité. Quatre avaient été acquittés. Les huit condamnés avaient également écopé du paiement de 12 millions d’euros, en réparation aux 334 parties civiles. Dès le prononcé de la décision, la plupart des parties au procès avaient fait appel. Depuis, cette procédure n’a pas avancé.

Pourtant, la Cour d’appel disposait d’un délai de trois mois pour organiser un nouveau procès après le dépôt de toutes les parties. Ce délai légal est aujourd’hui largement dépassé, mais des victimes croient toujours à la tenue de ce procès en appel et attendent son organisation avec espoir. C’est le cas de Mamadou Kaly Diallo. Ce militant des droits humains, qui s’est constitué partie civile dans ce dossier pour des faits de torture, continue d’y croire. Il compte sur l’engagement des autorités guinéennes à organiser ce procès.

« C’est vrai que le verdict a été salué, mais nous attendons avec impatience le déroulement du procès en appel », confie Diallo. « Toutes les parties prenantes ont interjeté appel. Les avocats de la défense, parce qu’ils estiment qu’on ne devrait pas requalifier les faits en crimes contre l’humanité. Les parties civiles, à cause de l’omission de plusieurs victimes. Le parquet, parce qu’il estime que tous les responsables de ces crimes n’ont pas été condamnés, alors que la responsabilité de commandement hiérarchique a été retenue par le tribunal. »

L’espoir des victimes oubliées

De son côté, Asmaou Diallo, la présidente de l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (Avipa), y voit l’espoir que les victimes omises, oubliées comme elle, par la chambre de première instance, soient indemnisées. L’Avipa a beau être la plus grande association des victimes du massacre, elle a pourtant vu un certain nombre de ses membres affiliés omis lors du procès en premier instance.

Une situation que la plupart de ces victimes oubliées reprochent d’ailleurs à l’Avipa et à sa présidente : elles l’accusent de favoritisme, d’avoir communiqué les noms des uns et ignoré ceux des autres, sans savoir que Diallo elle-même a été omise du programme d’indemnisation actuellement pris en charge par les autorités du pays.

« Au niveau de l’Avipa par exemple, on est au nombre de 737 victimes. Donc ce n’est pas tout ce monde-là qui a été pris en compte. Parce que le jugement ne parle que de 334 personnes. Pendant ce temps, il y a d’autres associations qui sont avec d’autres victimes qui ne figurent pas non plus dans le lot des victimes à indemniser », précise Diallo.

Les pessimistes, les boycotteurs et les taiseux

Contrairement aux victimes qui gardent l’espoir, les avocats de la partie civile se montrent pessimistes. Alpha Amadou DS Bah, à la tête du collectif d’avocats des victimes de l’Avipa en première instance, n’y croit pas du tout. Selon lui, les autres condamnés pourraient être graciés de la même manière que le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte militaire au moment du massacre, l’a été, le 28 mars 2025, par décret présidentiel. « Dès lors que le principal condamné dans cette affaire est gracié, je pense que le dossier est vidé de toute sa substance et qu’il ne faut même plus continuer cette procédure en appel. Nous sommes certains que pour les autres condamnés, ce ne sera qu’une question de temps. Le procès en appel n’a plus de sens », affirme l’avocat qui est aussi le coordinateur des avocats de la partie civile.

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La grâce du capitaine Dadis Camara, c’est aussi l’argument présenté par certains pour rejeter en bloc un futur procès en appel et refuser d’y participer, même s’il se tenait, en tout cas tant que Dadis Camara reste en liberté. C’est la position de la défense du commandant Aboubacar Sidiki Diakité, alias Toumba, condamné à dix ans de prison en première instance. « Quand il y a appel, cela suspend l’exécution de la décision prise par le premier juge. Puisque la décision n’est pas définitive, le président [de la République] aurait dû attendre pour exercer le droit de grâce », déclare Me Lanciné Sylla. « En exerçant [ce] droit sans que ces conditions ne soient réunies, la conséquence est d’empêcher la tenue du procès en appel. C’est une évidence. Parce que le capitaine Dadis, qui est élargi, ne va plus participer à ce procès. Ce décret sonne donc le glas du procès en appel. En tout cas, moi, je ne prendrai pas part pour cautionner l’injustice. Je l’ai déjà dit à mon client. »

D’autres parties au procès comme le collectif d’avocats de la partie civile, mené par Me Hamidou Barry, qui défendait les victimes non affiliées à l’Avipa, n’ont pas répondu à nos sollicitations. De même pour les autorités, qui n’ont pas souhaité s’exprimer sur le sujet, même si en mai dernier, elles avaient rassuré le procureur adjoint de la Cour pénale internationale (CPI) quant à leur volonté d’organiser le procès en appel. « À l’heure où je quitte la Guinée, je suis rassuré de savoir que le procès se poursuivra au stade de l’appel, qu’il sera mené à son terme et que les réparations des victimes se poursuivront. Il n’y a pas eu de changement de cap. Le gouvernement a affiché sa volonté d’apporter le soutien nécessaire à l’appareil judiciaire dans sa quête de justice », avait alors déclaré Mame Mandiaye Niang, au terme de sa visite à Conakry les 19, 20 et 21 mai 2025.

Le procès en premier instance de cinq autres accusés

L’autre défi qui attend la justice guinéenne est la tenue du procès connexe des cinq accusés qui n’ont pas comparu lors du premier jugement. Ce dossier implique Jean-Louis Kpoghomou, Georges Olémou, Thomas Touaro, Jacques Sagno et Bienvenue Lamah. Selon Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba, ces officiers militaires et gendarmes étaient très proches du capitaine Dadis Camara en 2009 et auraient joué un rôle dans le massacre du 28 Septembre.

Tous ont été arrêtés et placés en détention en novembre 2022 et renvoyés devant le tribunal pénal de Dixinn pour être jugés. Cependant, leurs avocats, convaincus de leur innocence, ont fait appel de l’ordonnance de renvoi. La Cour d’appel de Conakry a examiné ces recours et prononcé un non-lieu en faveur des inculpés, à l’exception du colonel Bienvenue Lamah. Insatisfait de ce jugement, le parquet général près cette juridiction s’est aussitôt pourvu en cassation.

Dans un arrêt rendu le 28 juillet dernier, la Cour suprême a rejeté ce pourvoi du parquet. Les avocats de la défense disent se battre actuellement pour obtenir la libération de leurs clients à la suite de cet arrêt de la plus haute juridiction du pays. S’ils y parviennent, le colonel Bienvenue Lamah sera seul dans le box devant le tribunal pénal de Dixinn pour être jugé. Dans son cas, les voies de recours contre l’ordonnance de renvoi ont été épuisés. Son conseil, Me Zézé Kalivogui attend impatiemment le procès de son client.

« L’article préliminaire du Code de procédure pénale indique simplement que le justiciable doit être jugé dans un délai raisonnable. Si nous partons de ce principe, dans les conditions normales, dès lors qu’il y a un renvoi devant le tribunal, le justiciable se doit d’être jugé. Mais lorsque le tribunal va au-delà de cinq mois sans évoquer le dossier, nous ne sommes plus dans le cadre d’un délai raisonnable », explique-t-il. « C’est pourquoi nous continuons à pousser pour que le procès puisse être organisé. Puisque c’est le parquet qui l’organise, nous sommes tout le temps sur les pas du parquet », poursuit-il, avant de préciser : « Je crois que, présentement, la composition du tribunal est déjà faite. On attend le mois d’octobre, probablement pour le jugement. »

Le colonel Bienvenue Lamah a été interpellé le 21 novembre 2022, avant d’être écroué à la maison centrale de Conakry. Au moment de son arrestation, l’officier était commandant de la gendarmerie régionale de Conakry.

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