« Le gouvernement devra rendre compte de ses échecs, de ses erreurs de jugement, mais cela aboutira à des effets concrets sur le terrain », se félicite Nerita Waight, directrice générale du Bureau d’aide juridique aux Aborigènes de Victoria. Elle souligne ce faisant ses attentes concernant le mécanisme de recherche des responsabilités prévu par l’accord de traité présenté la semaine dernière au Parlement de l’État de Victoria (sud-est de l’Australie).
Ce projet de loi est l’aboutissement d’un processus de vérité et de réconciliation qui a duré près d’une décennie, marqué par le travail de la commission Yoorrook. Il prévoit la création de deux nouveaux mécanismes autonomes, dotés de pouvoirs renforcés auprès du Parlement et pouvant demander des comptes au gouvernement, qui inscriront ce processus de recherche de la vérité dans la continuité.
Le projet devrait être adopté par le Parlement, bien qu’il intervienne à un moment où les initiatives de justice transitionnelle connaissent un recul en Australie. Après l’échec du référendum fédéral « Voice to Parliament » en octobre 2023 – qui proposait d’accorder des droits de représentation spécifiques aux peuples autochtones – de nombreux États ont abandonné leurs engagements antérieurs.
« Une source de fierté pour tous les Victoriens »
Malgré l’incertitude quant aux perspectives à long terme du traité, tous les acteurs du processus saluent son adoption prochaine.
Le projet de loi doit être adopté avec le soutien du Parti travailliste au pouvoir et des Verts. Le Parti libéral conservateur n’a pas les voix nécessaires pour le bloquer, mais il s’y est fermement opposé. Il estime que le traité accorde aux autochtones des pouvoirs excessifs et crée un nouveau niveau de gouvernement. Il s’est engagé à abroger la législation dans les 100 jours s’il remporte les élections régionales de novembre prochain.
Jacinta Allan, la première ministre travailliste de Victoria, promet pour sa part au Parlement que l’État du sud « mènera l’Australie vers une réparation des torts du passé et la construction d’un avenir pour tous les Victoriens. Le traité sera une source de fierté pour tous les Victoriens. Car il ne s’agit pas de priver qui que ce soit de quoi que ce soit, mais d’apporter des changements concrets pour mieux faire les choses, ensemble. »
Elle a critiqué l’opposition des libéraux : « Leur priorité n’est pas de construire l’avenir... mais de le détruire, de détruire quelque chose qui s’est construit au fil des décennies. »
La nouvelle loi créera un nouvel organisme faîtier, dénommé Gellung Warl en langue gunaikurnai (« Fer de lance » en français), qui comprendra un organe représentatif élu déjà existant, l’Assemblée des Peuples Premiers de Victoria, ainsi que deux mécanismes chargés de la recherche de la vérité d’une part, et de la recherche des responsabilités d’autre part.
L’Assemblée des Peuples Premiers de Victoria [l’Assemblée], créée en 2018, a joué un rôle clé dans la négociation du traité. Son coprésident, Rueben Berg, dans un discours prononcé devant le parlement de Victoria, a déclaré : « Ce traité marque la fin de l’époque où des gouvernements paternalistes prenaient des décisions au nom de notre peuple. Les politiques qui nous concernent ne seront plus élaborées sans nous. »
L’Assemblée sera habilitée à s’adresser chaque année au Parlement sur les questions touchant les Peuples Premiers et à donner son avis sur la législation qui les concerne. Les membres du Parlement qui présenteront de nouveaux projets de loi seront tenus de fournir une évaluation de leur compatibilité avec l’objectif de remédier aux injustices historiques. L’Assemblée sera aussi habilitée à rencontrer les chefs des départements gouvernementaux concernés et la police, dont le rôle dans la perpétuation des désavantages subis par les Peuples Premiers a été mis en lumière lors des audiences de la Commission Yoorrook.

Deux nouveaux organes de justice transitionnelle
Enfin, l’Assemblée sera responsable des deux nouveaux organes qui doivent être créés.
Le premier, connu sous le nom de Nginma Ngainga Wara (qui signifie « vous agirez »), est un mécanisme chargé de surveiller l’impact des politiques gouvernementales sur l’amélioration des conditions de vie des Peuples Premiers. Il sera habilité à mener ses propres enquêtes sur des questions allant des préjugés inconscients aux performances des agences gouvernementales et même des ministres sur des questions qui touchent les Peuples Premiers.
L’autre organisme, Nyerna Yoorrook Telkuna (qui signifie, dans différentes langues, « s’asseoir », « dire la vérité », « guérir »), consolidera le travail entrepris par la Commission Yoorrook au cours des trois dernières années. Il mettra en œuvre une mission permanente de recherche de la vérité, en mettant notamment l’accent sur la collecte d’informations sur les impacts de la colonisation et la conservation des archives des processus de recherche de la vérité.
À contre-courant de la tendance conservatrice
Ce dernier développement dans l’État de Victoria est suivi de près en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie méridionale et dans le Territoire de la capitale australienne, où les responsables et les représentants autochtones locaux travaillent pas à pas à l’élaboration de leurs propres traités.
Le caractère historique de la nouvelle législation de l’État de Victoria n’a suscité que peu d’enthousiasme parmi les médias et le public des autres États australiens. Le contexte politique s’étant résolument retourné contre ces initiatives de traités, depuis la défaite retentissante du référendum fédéral sur les voix autochtones.
Une commission vérité naissante dans l’État du Queensland, au nord-est du pays, a été subitement dissoute l’année dernière, après l’élection d’un gouvernement conservateur, tandis que les gouvernements de l’Australie occidentale et de Tasmanie ont également renoncé à leurs promesses de traité, après le référendum de 2023.
L’opposition conservatrice de l’État de Victoria a déclaré qu’elle créerait à la place un organe consultatif des Premières Nations, mais avec des pouvoirs beaucoup plus limités que ceux accordés dans le projet de loi actuel. « Il y a une grande différence entre avoir un groupe consultatif, et un groupe élu qui fonctionnerait au Parlement comme un autre niveau de gouvernement », a souligné le chef de l’opposition, Brad Battin.
Le Parti travailliste au pouvoir n’a pas non plus résisté à la tentation de sacrifier l’autonomisation des autochtones au profit de l’opportunisme politique, après avoir rejeté une recommandation clé de Yoorrook – relever l’âge de la responsabilité pénale – sous l’effet d’une pression politique qui exacerbent les crimes violents et les peines clémentes.
L’opposition victorienne étant considérée comme ayant de bonnes chances de remporter les élections régionales de l’an prochain, qui devraient se tenir en novembre, l’avenir de Gellung Warl est incertain avant même sa création. Mais s’il voit le jour, il devrait créer un nouveau précédent en matière de justice transitionnelle en Australie et dans d’autres États concernés par les injustices historiques et actuelles à l’encontre des peuples autochtones.