Ukraine : un combattant séparatiste de 2014 pris dans la guerre de 2022

Les combattants séparatistes des régions de Louhansk et de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, sont régulièrement jugés devant les tribunaux ukrainiens. Ruslan Glotov a été l'un d'entre eux pendant quelques mois en 2014. En mars 2022, il a été identifié alors qu'il était enrôlé pour aller combattre avec l'armée ukrainienne contre la Russie. Selon lui, il avait été réhabilité dans le cadre d’un programme de "Retour à la maison". Le 9 décembre, il a été condamné à 15 ans de prison.

Ruslan Glotov, un combattant séparatiste (en 2014) pose avec 2 autres militaires devant une voiture.
En 2014, Ruslan Glotov pose avec des camarades dans les rangs des séparatistes de la région de Luhansk.
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Le 9 décembre, le tribunal du district de Halytskyi, à Lviv, dans l'ouest de l'Ukraine, a déclaré coupable Ruslan Glotov, un trentenaire originaire de la région ukrainienne de Louhansk, au Donbass dans l'est du pays, contrôlé par la Russie. En 2014, lorsque les combattants séparatistes ukrainiens, soutenus par la Russie, ont pris le contrôle de la région du Donbas et autoproclamé leur indépendance en tant que République populaire de Louhansk (RPL) et République populaire de Donetsk (RPD), Glotov s’est trouvé à des postes de contrôle de la RPL pendant plusieurs mois.

Début mars 2022, Glotov a été enregistré à Lviv comme personne déplacée à l'intérieur du pays après que la Russie a commencé son invasion totale de l'Ukraine, le 24 février. Le village natal de Glotov, Toshkivka, dans la région de Luhansk, a été occupé par les troupes russes. Il s'est inscrit au bureau d'enrôlement militaire de Drohobych et était censé se battre pour l'Ukraine, cette fois-ci. Mais après un contrôle approfondi, il a été découvert qu'il avait été impliqué dans les activités de la RPL. Glotov a été placé dans un centre de détention, où il est resté tout au long de son procès, sans possibilité de libération sous caution.

L'accusé a plaidé coupable de participation à des groupes armés non prévus par la loi, mais pas au chef d’assistance à une organisation terroriste, comme les armées de la RPL et de la RPD sont considérées en Ukraine. "Votre Honneur, je vous demande de traiter mon cas de manière dépassionnée en cette période difficile pour l'État", a demandé Glotov à la cour.

La preuve sur le réseau social "Vkontakte"

Selon l'accusation, en 2014, Glotov était en service avec un fusil Kalachnikov à l'un des points de contrôle sur la route du district de Lysychansk. Il vérifiait les documents des citoyens, inspectait leurs biens et leurs véhicules sur la route Toshkivka-Bila Hora et en direction de Lysychansk. Il effectuait également des patrouilles et surveillait les véhicules transportant des armes et des munitions.

"La culpabilité est confirmée par son témoignage personnel", a déclaré le procureur, "il a fait des aveux sur sa participation pendant la période d'août à septembre 2014, pour autant qu'il s'en souvienne, à un groupe armé illégal."

Le procureur a soumis la page personnelle de Glotov et de ses amis sur le réseau social "Vkontakte". Sur la photo, l'accusé porte un T-shirt avec l'inscription "La juste Russie", se vantant de son séjour à Moscou après le déclenchement de la guerre en Ukraine orientale, en 2014.

Sur d'autres photos, Glotov se tient à côté d'hommes armés, en uniforme militaire avec des chevrons russes. "Il porte un pantalon de camouflage, un T-shirt vert, un gilet militaire, avec un bandana noué sur la tête et tient un fusil Kalachnikov. (…) Ces photographies, selon la description de Glotov, ont été prises vers 2014", indique le dossier.

Lors de l'audience, l'accusé a expliqué qu'il avait simplement pris une photo près du véhicule militaire qui passait par là, et que le fusil d'assaut ne lui avait été donné que pour la période de service. "Des groupes illégaux sont venus à la mine [le Donbas est une région minière], ils nous ont dit de servir au poste de contrôle. Si tu refuses, tu seras emmené loin des mines et tu vivras là-bas sans rien. Ils sont venus et nous ont sortis de chez nous. Nous étions en service pendant 4 à 5 heures au poste de contrôle, pour vérifier les documents", a déclaré Glotov.

- « Pendant quelle période étiez-vous en service au poste de contrôle ? demande le procureur.

- Eh bien, je ne me souviens pas de la période exacte. Août, septembre [2014].

- Quel est le nom du groupe armé illégal où vous étiez en service au poste de contrôle ? À quoi appartenait-il ?

- Je ne sais pas.

- Quelles fonctions exerciez-vous au poste de contrôle ?

- Je vérifiais les voitures.

- Que cherchiez-vous dans ces voitures ?

- Je ne sais pas ce qu'ils cherchaient. Ils vérifiaient.

- Portiez-vous un uniforme de camouflage lorsque vous étiez au poste de contrôle ?

- Eh bien, un uniforme normal, oui. Celui qui est vendu dans n'importe quel magasin.

- Saviez-vous que ce groupe armé illégal faisait partie de la "RPL" lorsque vous avez pris part au poste de contrôle ?

- Honnêtement, je ne savais pas ce qui se passait... Non.

- Aviez-vous un fusil Kalashnikov lorsque vous étiez en service au poste de contrôle ?

- Oui, je l'avais. »

Ruslan Glotov (habillé tout en noir, capuche sur la tête) est dans le box des accusés lors de son procès en 2022.
Ruslan Glotov à son procès à Lviv, en décembre 2022. © Kateryna Trokhymchuk

Contrôlé et réhabilité dans le cadre du programme "Retour à la maison" ?

Glotov a souligné à plusieurs reprises qu'il avait déjà contacté les forces de l'ordre et signalé ses services dans la RPL, et qu'il aurait été réhabilité. "Jusqu'en 2016, je me considérais comme coupable, puis j'ai contacté les agents du SBU [les services de renseignement ukrainiens] en 2016, à Severodonetsk. Quand je me suis tourné vers eux, j'ai tout expliqué, passé des tests au polygraphe. Ils ont tout vérifié sur moi, m'ont gardé dans le cadre du programme "Retour à la maison", j'ai été acquitté", a-t-il déclaré. "Depuis 2016, je suis enregistré auprès de l'intendance militaire, j'ai passé un examen médical, je n'ai pas été appelé à la guerre."

Glotov s'est plaint que le ministère public ne veut pas vérifier les informations qu'il a fournies au SBU en 2016, notamment le polygraphe. "En 2018-2019, j'ai officiellement travaillé à la mine DTEK de Rinat Akhmetov et j'ai été contrôlé par le service de sécurité de l'une des entreprises les plus puissantes d'Ukraine. Toujours en 2018, j'ai remplacé mon passeport de citoyen ukrainien après l'avoir perdu. En aucun cas, l'État n'a eu de questions à me poser. Je suis jugé pour ce qui appartient déjà au passé. Je suis parti pour servir dans l'armée pour protéger l'Ukraine et ceux qui sont restés dans le territoire occupé", a déclaré Glotov.

Au tribunal, l'accusé a été défendu par un avocat du Centre d'aide juridique gratuite, Yuriy Prozhuhan. Dans une conversation avec Sudovyi Reporter à l'extérieur du tribunal, Prozhuhan reconnaît qu'"il n'y a aucune information sur sa réhabilitation en 2016. Oui, en effet, il y avait un tel programme de "Retour à la maison". Il n'y a aucune information sur le fait qu'il ait participé à ce programme. Il n'a pas non plus fourni d'informations – il n’y a que ses dires. Lorsqu'il se trouvait dans le territoire occupé et qu'il était dans la RPDL [républiques séparatistes de Louhansk et de Donetsk], il se serait dirigé vers l'Ukraine et, à Severodonetsk, aurait contacté le SBU, où il aurait fait un témoignage à charge, selon lui, contre les chefs qu'il avait en RPDL. Mais il n'existe aucune preuve pour le réfuter ni aucune preuve pour le confirmer", a déclaré l'avocat de la défense.

Refus d'un échange de prisonniers

Prozhuhan a également déclaré que Glotov n'a pas accepté de faire partie d’un échange de prisonniers entre le gouvernement ukrainien et les autorités de la RPL. "Pour autant que je sache, l'échange lui a été proposé. Cependant, il est inquiet pour sa vie et sa santé, et n’a pas voulu être inclus sur les listes de ceux qui seront échangés. Il m'a également dit à plusieurs reprises qu'il voulait se battre pour l'Ukraine."

En effet, Glotov insiste toujours sur le fait qu'il veut se battre pour son pays. "Le 24 février, lorsque l'offensive russe à grande échelle a commencé, j'ai évacué ma mère vers la ville de Pavlohrad, dans la région de Dnipropetrovsk. Je suis retourné à Lysychansk, nous n'avions plus de maison, rien. J'ai aidé les gens à partir. Puis je suis allé au bureau d'enregistrement et d'enrôlement militaire, il était fermé à cause de l'offensive russe. J'ai réussi à passer de la ville de Lysychansk à la ville de Lviv, puis à la ville de Drohobych, où je suis allé directement à l'intendance militaire", a déclaré l'accusé devant le tribunal.

Avant l'annonce du verdict, Glotov a exprimé le désir de nous parler.

- Pourquoi avez-vous voulu vous battre du côté de l'Ukraine ? lui avons-nous demandé.

- Parce que j'ai vécu tout ce temps près de la ligne de front. J'ai vu comment tout cela s’est passé. Je suis né en Ukraine et je mourrai ici. Je ne me suis pas enfui de l'autre côté, comme beaucoup l'ont fait. Je suis resté ici. Ceux qui voulaient faire sécession [de l'Ukraine] vivent là-bas et qu’on les laissent vivre, mais je suis resté en Ukraine.

- « Pourquoi étiez-vous dans la "RPL" en 2014 ?

- Je n'ai pas servi là-bas, je n'ai pas combattu. Ils sont venus à la mine et l'ont prise, illégalement.

- Vous teniez une arme, n'est-ce pas ?

- Je la tenais, mais je n'ai pas tiré. Je ne sais même pas si elle fonctionnait ou pas.

- En 2014, avez-vous compris que la Russie avait déjà attaqué l'Ukraine ?

- J'ai tout compris et je me suis immédiatement tourné vers les officiers du SBU. Je leur ai tout expliqué. Et j'ai été admis dans le programme "Retour à la maison". Après cela, je suis allé dans la région de Dnipropetrovsk et j'ai travaillé à la mine d'Akhmet jusqu'en 2021. Je suis rentré à Lysychansk parce que ma mère était malade [La ville de Lysychansk était proche de la ligne de démarcation avec les territoires occupés par la RPL. Elle a été contrôlée par le gouvernement ukrainien jusqu'en juillet 2022, date à laquelle elle a été occupée par la Russie]. Je suis resté pour travailler à la mine là-bas. Quand la guerre a commencé, je me suis retrouvé sans maison, sans rien, dans la rue. Que pouvais-je faire s'ils vous jetaient dans une voiture et vous mettaient un pistolet sur la tempe ? »

Le procureur Serhiy Yesypchuk a demandé la peine maximale de 15 ans de prison. Le 9 décembre, le tribunal l'a accordée.


Ce reportage fait partie d’une série sur les crimes de guerre, réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».