Conflit israélo-palestinien : quelle différence pourrait faire un arrêt de la CIJ ?

Fin décembre, l'Assemblée générale des Nations-unies a demandé à la Cour internationale de justice (CIJ) un avis consultatif sur la légalité de l'occupation prolongée de la Palestine par Israël. Cette décision fait suite à une recommandation d'une commission d'enquête de l’Onu présidée par la juge sud-africaine Navanethem Pillay. Celle-ci explique le but de cette démarche juridique et pourquoi elle espère que le droit pourra contribuer à mettre fin à un conflit vieux de 70 ans.

Des soldats israéliens patrouillent en territoire occupé (Cisjordanie / Palestine)
Des soldats israéliens se déploient lors d'affrontements avec des manifestants palestiniens, suite à une protestation contre l'expropriation de terres palestiniennes par Israël dans le village de Kfar Qaddum, en Cisjordanie occupée, près de la colonie juive de Kedumim, le 30 septembre 2022. © Jaafar Ashtiyeh / AFP
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JUSTICE INFO : Pourquoi la commission d'enquête sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire en Palestine et en Israël a-t-elle recommandé la demande de cet avis consultatif à la Cour internationale de justice (CIJ) ?

NAVANETHEM PILLAY : Tout d'abord, ce sont les outils des Nations-unies et tous ses États membres l'ont prévu. Ils ont dit que s'il y a un différend, la cour intervient et donne un avis consultatif, interprète le droit international et rappelle aux États leurs obligations. C'est leur tribunal et ils n'ont jamais eu l'occasion d'examiner la légalité d'une occupation prolongée. Nous devons suivre les voies de recours disponibles, et il nous fallait une résolution de l'Assemblée générale des Nations-unies. Cela a été fait [recours à la CIJ], comme vous le savez, dans le dossier Ukraine-Russie et, avant cela, dans l'affaire de la Gambie contre Myanmar.

Et quels résultats pensez-vous obtenir ?

Je pense qu'un différend aussi long et prolongé, qui n'a pas été résolu et qui, à notre avis, n'a fait qu'empirer, doit être traité par le tribunal. Ils peuvent maintenant décider si c'est illégal, ou si c'est légal. Il leur a également été demandé, et c'est très important, de déterminer quelles sont les responsabilités et les obligations des autres États car, à ce stade, certains États soutiennent cette occupation. Ils l'aident financièrement et moralement. Quel est alors l'impact d'une décision selon laquelle l'occupation est illégale ? Peuvent-ils continuer à apporter leur soutien à une opération illégale ? Il se peut que la décision prise ne soit pas utile à la Palestine, je ne peux pas le prédire. Mais s'ils respectent le droit international, nous pensons qu'il est possible d'expliquer pourquoi l'occupation prolongée de près de 60 ans n'a jamais été envisagée par le droit international. Elle a toujours été censée être temporaire.

Une telle décision de la CIJ n'est pas réellement contraignante car il s'agit d'un avis consultatif. Et il se pourrait bien qu'il faille un an à cette cour pour rendre une telle décision. Alors, ne sera-t-il pas trop tard ?

Ma foi, cela peut même prendre plus d'un an parce que [le tribunal] a une lourde charge de travail. Ce sont les limites dans lesquelles la commission d'enquête que je préside peut aller pour rappeler aux membres leurs propres mécanismes de résolution des problèmes. Et si la CIJ se penche sérieusement sur la question, aborde le droit international, cela doit être pris au sérieux par les États membres. C'est leur tribunal. Certes, la CIJ n'a pas le pouvoir d'appliquer ses décisions. Elle attend des États qu'ils les mettent en œuvre. En général, les États se conforment aux décisions de la CIJ, mais il y a des cas où cela n'a pas été le cas.

Vous voulez dire Israël, par exemple ? La CIJ a rendu un autre avis consultatif sur Israël en 2004, qui a jugé que le mur de séparation autour du territoire palestinien, y compris Jérusalem, était illégal et devait être démantelé. Israël l'a ignoré, alors ne va-t-il pas le faire à nouveau ?

Oui, vous avez raison, Israël l'a complètement ignoré. Il a également ignoré de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations-unies et de l'Assemblée générale, par exemple, sur les colonies. C'est ce que nous avons documenté dans notre premier rapport. Nous avons examiné le nombre massif de recommandations des organes de l'Onu, de traités, de rapporteurs spéciaux, et toutes ces recommandations ont été ignorées. Israël a poursuivi son chemin et sa politique.

Avec le soutien, comme vous le dites, d'autres États membres, notamment l'un des plus puissants, les États-Unis.

Oui.

Votre rapport indique que de possibles crimes de guerre et crimes contre l'humanité ont été commis dans le cadre de l'occupation israélienne de la Palestine, et vous exhortez également la Cour pénale internationale (CPI) à donner la priorité à ses enquêtes concernant la situation en Palestine. Celles-ci ont été officiellement ouvertes en mars 2021, mais elles ne semblent pas progresser beaucoup. Selon vous, pourquoi la CPI traîne-t-elle les pieds ?

C'est entre les mains du Procureur. Tout ce qu'on me dit, c'est qu'ils enquêtent. Mais notre Commission n'est pas limitée dans le temps, le mandat est large et inclut la coopération avec les institutions de justice internationale. Nous sommes en contact avec la CPI.

Partagez-vous les preuves avec la CPI ?

Pas encore, mais nous le ferons.

La Commission a-t-elle bénéficié de la coopération d'Israël ?

Non. Israël n'a donné la permission à aucune commission de l'Onu ou rapporteur spécial d'entrer en Israël. Ils ne nous disent même pas pourquoi. Mais nous réussissons assez bien à parler aux Palestiniens et aux Israéliens en Jordanie et à Genève, par exemple.

Votre rapport mentionne un avis consultatif de la CIJ de 1971 qui a déclaré, à l'époque, que l'occupation de la Namibie par l'Afrique du Sud était illégale, ce qui a contribué à mettre fin à cette occupation. Voyez-vous des similitudes avec la situation actuelle en Palestine ?

Vous savez, en Afrique du Sud, à l'époque, nous n'avions aucun recours juridique, nous nous sommes donc tournés vers l'Onu. Les États-Unis sous Ronald Reagan et le Royaume-Uni sous Margaret Thatcher ont utilisé leur veto pour empêcher les sanctions contre l'Afrique du Sud. Je pense que cet arrêt de la CIJ est un bon exemple de l'utilité d'un avis juridique de cette cour. Pourquoi la Palestine doit-elle autant lutter ? Elle a beaucoup de soutiens politiques mais pas celui d’États puissants. Nous voulons donc utiliser le droit, comme cela a été fait avec la Namibie.

Navanethem Pillay

© Fabrice Coffrini / AFP

NAVANETHEM PILLAY

La juge sud-africaine Navanethem Pillay, 81 ans, est présidente de la Commission internationale indépendante d'enquête des Nations-unies dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, créée par le Conseil des droits de l'homme de l’Onu en mai 2021. Auparavant, elle a été, entre autres, juge et présidente du Tribunal pénal international pour le Rwanda, juge à la Cour pénale internationale et haut-commissaire des Nations-unies aux droits de l'homme.