Crime de guerre en Ukraine : un pilote russe condamné puis échangé

C'est la première fois qu'un pilote russe est condamné en Ukraine, en présence de l’accusé. Le 2 mars, le lieutenant-colonel Maksim Krishtop a été reconnu coupable d'avoir commis un crime de guerre en bombardant la tour de télévision de Kharkiv. Il a passé un an en prison avant d'être jugé à huis clos, pour des raisons de sécurité. Puis, le lendemain de sa condamnation, la cour a accepté qu’il soit échangé contre des prisonniers ukrainiens en Russie.

Crime de guerre en Ukraine : le pilote russe Maksim Krishtop s'exprime lors d'une conférence de presse
Le lieutenant-colonel Maksim Krishtop lors d'une conférence de presse en mars 2022 après sa capture par l'armée ukrainienne.
4 min 36Temps de lecture approximatif

L'année dernière, le 6 mars, deux avions militaires russes bombardent la tour de télévision de Kharkiv avec huit bombes d'une charge totale de 2,4 tonnes de TNT, dans la deuxième ville d'Ukraine, au nord-est du pays. Le site n'avait aucune valeur militaire et était exclusivement réservé à un usage civil. La station fournissait des communications téléphoniques, un système de sirènes, ainsi que des chaînes de radio et de télévision. Selon les enquêteurs ukrainiens, la destruction ou l'occupation de la station n’entraînait aucun avantage militaire.

Selon l'enquête, l'ordre de détruire la tour de télévision est donné par le général de division Oleg Makovetsky, commandant de la 6e armée de l'armée de l'air et de la défense aérienne du district militaire occidental des forces armées russes. Oleksiy Loboda, commandant de l'unité militaire 45117 (régiment d'aviation de bombardement de la 6e armée), en informe deux pilotes et deux navigateurs et leur ordonne d'engager cette mission.

Le lieutenant-colonel Maksim Krishtop, commandant adjoint du 47e régiment d'aviation de bombardement, unité militaire 45117, est le pilote de l'un des avions. Après avoir endommagé la tour de télévision, vers 18h10 heure locale, le Su-34 piloté par Krishtop est abattu par la Garde nationale ukrainienne. L'avion russe est détruit, mais Krishtop peut s'éjecter et est capturé vers 2 heures du matin.

"J'ai réalisé que les cibles n'étaient pas des objectifs militaires ennemis"

Le 11 mars 2022, une conférence de presse est organisée à Kyiv avec des soldats russes capturés qui demandent à leurs commandants d'arrêter la guerre. Krishtop se trouve parmi eux et fait un discours en tant que prisonnier de guerre. Il déclare qu'en janvier, le lieutenant-colonel Loboda lui a parlé d’une participation prochaine à des opérations de combat. Les soldats commencent à s'entraîner à voler à très basse altitude, à échapper à la défense aérienne et à tirer des missiles. Il déclare avoir réussi à effectuer trois vols sur le territoire ukrainien et, au cours de l'un d'entre eux, à larguer 4 tonnes de bombes explosives sur des immeubles résidentiels. "Lors d'une mission de combat, j’ai réalisé que les cibles n'étaient pas des objectifs militaires ennemis, mais des immeubles résidentiels et des civils, mais j'ai exécuté l'ordre criminel. J'ai ensuite été abattu par la défense aérienne ukrainienne et fait prisonnier par la Garde nationale ukrainienne", explique le pilote russe capturé.

Krishtop déclare avoir largué des bombes sur des soldats ukrainiens au sud de Balakliya et sur un convoi de véhicules blindés ukrainiens près d'Izium. Il précise qu'il s'agissait de bombes de 250/500 kilogrammes.

"Je tiens à présenter mes excuses au peuple ukrainien pour la tragédie que nous avons provoquée. Je promets de tout mettre en œuvre pour que cette guerre prenne fin le plus rapidement possible et que tous les responsables du génocide du peuple ukrainien soient traduits en justice", ajoute Krishtop lors de la conférence de presse.

Les deux autres soldats assis à ses côtés sont Aleksey Golovensky, commandant d'un escadron d'aviation, et Aleksey Kozlov, navigateur. Leur régiment était stationné à l'aérodrome de la marine russe en Crimée. Ils effectuaient des vols militaires afin de repérer et de détecter la défense aérienne ukrainienne. Le 5 mars, ils ont été abattus par les forces ukrainiennes au-dessus de la région de Mykolaiv. Au cours de la conférence de presse, Golovensky confirme que ses parents vivent en Ukraine et que la famille de sa femme vit à Kharkiv.

De nombreux militaires russes capturés font l'objet d'un échange de prisonniers alors qu'ils sont soupçonnés de crimes de guerre. Selon la publication "Krym. Realii", Golovensky a été échangé le 29 juillet 2022 lors du plus grand échange de prisonniers entre l'Ukraine et la Russie à ce jour. Golovensky aurait passé 116 jours en captivité. On ne sait pas si Kozlov a bénéficié d'un arrangement similaire ou non.

Un procès à huis clos

Fin février 2023, Krishtop n'a pas encore fait l'objet d'un échange de prisonniers et se trouve détenu dans l'établissement correctionnel de Dnipro (n° 89). Après que l'affaire a été soumise au tribunal le 24 février, il est décidé de le transférer au centre de détention provisoire de Kharkiv.

Le procès de Krishtop est rapide et se déroule à huis clos. Son nom ne figurait pas dans le programme du tribunal, de sorte que les journalistes ou autres observateurs n'ont pas pu être informés de la tenue de l'audience. À la suite d'une requête de l'avocat de la défense, le tribunal tient une audience à huis clos pour la partie où l'accusé témoigne. Le 2 mars, le tribunal du district de Dzerzhinsky, à Kharkiv, déclare Krishtop coupable de violation des lois et coutumes de la guerre. C'est la première fois qu'un pilote russe est condamné en Ukraine. De plus, le verdict n'a pas été prononcé par contumace, mais en présence de l'accusé.

La transcription publique du verdict exclut le témoignage de Krishtop au motif qu'il s'agit d'informations classifiées. Les raisons de cette exclusion ne sont pas expliquées dans la décision, mais lors de l'audience préliminaire, l'avocat de la défense avait insisté pour que le procès se déroule à huis clos pour la sécurité de l'accusé.

Krishtop a plaidé coupable et a coopéré à l'enquête, ce dont le tribunal a tenu compte. Le Russe n'a pas de casier judiciaire, il est marié et a deux fils mineurs. Il est condamné à 12 ans de prison. Il doit rester pour le moment au centre de détention provisoire de Kyiv, en tant que prisonnier de guerre. L'accusé devra payer les dommages subis par les entreprises de télécommunications "Lifecell" - 434 000 UAH (environ 11 000 euros) -, "Kyivstar" - 96 000 UAH (environ 2 500 euros) -, et "VF Ukraine" - 591 000 UAH (environ 15 000 euros). Pourtant, le lendemain de sa condamnation, la Cour accepte la demande déposée par le bureau du procureur – et approuvée par le condamné – que Krishtop fasse l’objet d’un échange de prisonniers avec la Russie.

Le 26 janvier dernier, le service de sécurité de l'Ukraine a officiellement émis des avis de suspicion pour l'attentat à la bombe contre la tour de télévision de Kharkiv. Il incluent le général de division Oleg Makovetsky et le lieutenant-colonel Oleksiy Loboda, qui sont en fuite.


Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Sudovyi Reporter ».

Tous nos articles au sujet de :