Un GPS et du poivre : un « correcteur de tir » condamné à Kropyvnytskyi

Les « correcteurs de tir », qui aident les forces russes à diriger leurs missiles, comptent parmi les traîtres les plus redoutés et les plus traqués en Ukraine. Mais les procès sont rares. Le 29 mai, un tribunal de district de Kropyvnytskyi a déclaré l’un d’entre eux, Mykola Fomenko, un citoyen de cette ville âgé de 41 ans, coupable de haute trahison.

Procès en Ukraine de Mykola Fomenko, accusé de haute trahison. On le voit dans un écran de télévision lors de son procès (il était filmé au moment des faits).
Lors de son jugement par le tribunal de Kropyvnytskyi, au centre de l'Ukraine, le public et l'accusé ont découvert que tous ses mouvements avaient été filmés (notre image), depuis la récupération du colis contenant le traceur GPS jusqu'à son arrestation , le 21 janvier 2023. © Anastasia Zubova
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« J'exécutais l'ordre du commandant en chef suprême, qui a demandé de l'aide et de l'assistance à la Fédération de Russie en 2014. Une révolution a alors été mise en scène, mais à mon avis, il s'agissait d'un coup d'État. Ils ont détruit le pays », a justifié l'accusé devant le tribunal. L'homme dit être resté fidèle à l'ancien président de l'Ukraine Viktor Ianoukovytch, lui-même jugé pour trahison en 2018 par contumace, quatre ans après la révolution de Maïdan qui l'a fait tomber et prendre la fuite vers la Russie.

Le procès a attiré l’œil des médias sur le tribunal du district Leninsky de la ville de Kropyvnytskyi (Ukraine centrale) qui entendait, le 29 mai, l’affaire Mykola Fomenko. Un « correcteur de tir » pris en flagrant délit, accusé de haute trahison en vertu de la loi martiale. De tels actes sont passibles en Ukraine d'une peine d'emprisonnement allant de quinze ans à la perpétuité avec confiscation des biens.

L'accusé est entré à l’audience avec son avocate Angelina Dudnyk, désignée au titre de l’aide juridictionnelle gratuite. Fomenko, âgé de 41 ans, est originaire d'Odessa. Il vit à Kropyvnytskyi depuis longtemps. Il a étudié dans deux établissements d'enseignement supérieur locaux. Il a d'abord suivi des études de mécanicien télévision et radio, puis de cuisinier. Entre 2001 et 2005, il a étudié les machines agricoles à l'Université technique nationale de Kirovohrad. En 2008, il a obtenu un master en génie électrique et électromécanique dans la même université. En 2013, il s'est vu proposer un poste d'ingénieur électricien dans une succursale locale d'une entreprise ferroviaire publique, affiliée au ministère ukrainien des Infrastructures.

Il y a travaillé sans faire de vague jusqu'à récemment. L'enquête a révélé qu'en novembre 2022, un agent du FSB, le principal service de renseignement russe, a contacté Fomenko via la messagerie Telegram et lui a proposé de coopérer. Il lui a demandé de fournir des informations sur l'emplacement des bâtiments du service de contre-espionnage militaire ukrainien (SBU), des postes de police, des bureaux de recrutement militaire, des ponts d'importance stratégique, des unités militaires et d'un régiment de forces spéciales. Les informations devaient être envoyées tous les mardis et vendredis entre 20 et 21 heures.

L'agent l'a ensuite chargé de filmer les environs d'une centrale électrique située à Kropyvnytskyi, d'y acheter et d'y installer un traceur GPS de voiture. Ce traceur devait servir à préparer un attentat au missile prévu pour le 22 janvier 2023. Mais la veille, des agents du SBU ont arrêté Fomenko près de la centrale et ont saisi le traceur qu'il y avait installé.

Procès en Ukraine de Mykola Fomenko pour haute trahison.
Au cours d'un rare procès en Ukraine sur ce type d'affaire, le 29 mai dernier, les juges du tribunal de Kropyvnytskyi ont jugé le "correcteur de tir" Mykola Fomenko coupable de haute trahison et l'ont condamné à 15 ans de prison avec confiscation de ses biens. © Anastasia Zubova

La correspondance et le film de son méfait

Le procureur et la défense se sont accordés pour examiner l'affaire selon une procédure simplifiée - sans examiner l'ensemble des preuves – et pour que, comme cela a été révélé au tribunal, Fomenko soit inscrit sur une liste d'échange de prisonniers.

Au cours du procès, une partie de la correspondance échangée entre l'accusé et l'agent du FSB avant la mise en place du traceur a été examinée. L'accusation était représentée par le procureur du bureau du procureur régional de Kirovohrad, Volodymyr Leshchenko, qui a lu à haute voix la correspondance (en russe) interceptée en janvier dernier.

- « Bonsoir. L'électricité est coupée tous les deux jours. Mais moins souvent dans le centre ville. Aucun vol d'avion n'a été entendu. L'eau est distribuée. Il n'y a pas de file d'attente devant les bureaux de recrutement militaire », écrit Fomenko.


- « Bonsoir, Mykola. Merci pour ces informations. Tout se passe comme prévu. Nous resterons en contact demain. Avez-vous activé le traceur ? Veuillez également nous informer de la situation dans la ville », répond l'agent du FSB.

- « Oui, je l'ai fait. Puis-je l'enterrer ? Est-il étanche ? »

- « Il suffit de le poser sur le sol. »

- « Sera-t-il visible lorsqu'il clignotera ? »

- « Couvrez les lumières avec du ruban adhésif. »

- « Espérons qu'il n'y a pas de caméras et que je ne serai pas repéré. J'achèterai aussi du poivre pour tromper l'odorat des chiens. »

Des vidéos éloquentes sont alors visionnées par le tribunal. Les enquêteurs ont filmé Fomenko en train de récupérer un colis à un point de livraison "Nova Poshta". Ils l'ont ensuite filmé sur son trajet entre son domicile et la centrale électrique. Puis la caméra l'a enregistré en train de s'approcher de la clôture près de l'infrastructure visée, de déposer l'appareil et de jeter quelque chose sur le chemin du retour. Comme l'a expliqué le procureur, il s'agissait du poivre. Lorsqu’il s'est éloigné, l'homme a commencé à taper un message sur son téléphone. C'est alors qu'il a été encerclé et appréhendé par les forces de l'ordre.

"Seulement des biscuits" dans son sac

Lors de son procès, Fomenko a d'abord refusé de coopérer et de déverrouiller son téléphone, affirmant que les enquêteurs "savaient déjà tout, parce qu'ils l'espionnaient depuis longtemps". Il a déclaré que tout avait été organisé par le SBU et qu'il n'avait "que des biscuits" dans son sac. Il s'est plaint d'avoir été battu lors de son arrestation et que cela n'était pas nécessaire, car il n'avait pas résisté. L'homme présentait des écorchures et des salissures sur ses vêtements, causées par la chute lors de son arrestation.

Les enquêteurs ont examiné le contenu du sac que Fomenko avait avec lui lors de son arrestation. Il contenait notamment des sachets de poivre noir et de poivre rouge et un morceau de papier. Dans un premier temps, le détenu a refusé de montrer où il avait laissé le traceur, mais au bout d'un moment, il a indiqué d'un signe de tête l'endroit où il avait été placé. Les enquêteurs en ont retiré une carte SIM. Selon le procureur, l'examen a permis d'établir que le morceau de papier trouvé dans le sac de l'accusé était identique à celui dans lequel le traceur était emballé. Selon l'expert de l'accusation, l'appareil fonctionne sur la base d'un réseau GPS avec des satellites. Il peut être utilisé pour localiser et contrôler à distance des objets, suivis sur le web par le biais d'un logiciel ad hoc.

Interrogé par la juge présidente Svitlana Lyon, Fomenko a confirmé qu'il comprenait le contenu des accusations et qu'il avouait tout. Il a précisé qu'il ne savait pas avec certitude qui était l'agent du FSB, mais qu'il était convaincu et espérait qu'il s'agissait bien d'un agent.

À la question du juge sur ses motivations, l'accusé a déclaré qu'il suivait les ordres de Viktor Ianoukovych, l'ex-président en fuite : "C'est tout à fait normal. Il a demandé à la Fédération de Russie de l'assister et de l'aider en 2014. Et personne n'a annulé ces ordres", a expliqué Fomenko, qui a refusé de communiquer avec les journalistes après l'audience.

Un verdict de 15 ans... avec un accord d'échange

Le procureur Leshchenko a demandé à la Cour de condamner l'accusé à 15 ans de prison avec confiscation de ses biens, y compris ses téléphones et son appartement. L'avocate de la défense, Me Dudnyk, a demandé une peine plus douce, car son client avait plaidé coupable. Elle a déposé une requête pour demander la restitution de ses téléphones et de son unité informatique. Le collège de trois juges a considéré Fomenko coupable de haute trahison et l'a condamné à 15 ans de prison, avec confiscation des biens.

Mais après l'audience, le procureur a confirmé que l'accusé avait déposé une demande d'échange de prisonniers et que la partie russe l'avait inclus dans une liste. Selon lui, deux autres affaires de haute trahison sont actuellement en cours dans la région, où là aussi un échange devrait permettre de ramener des prisonniers ukrainiens.


Ce reportage fait partie d’une couverture de la justice sur les crimes de guerre réalisée en partenariat avec des journalistes ukrainiens. Une première version de cet article a été publiée sur le site d’information « Gre4ka ».

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