Centrafrique : Abdoulaye Hissène dans le filet de la Cour pénale spéciale

C’est, après l’échec de l’arrestation de Hassan Bouba, le deuxième gros poisson à tomber dans les mailles de la Cour pénale spéciale, tribunal hybride siégeant à Bangui. Abdoulaye Hissène, ancien chef militaire du Front populaire pour la renaissance de Centrafrique (FPRC), a été arrêté et inculpé, jeudi 7 septembre, de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Abdoulaye Hissène accusé de crimes de guerre et contre l'humanité par la Cour pénale spéciale en Centrafrique - Lecture d'un rapport
Abdoulaye Hissène, un des chefs du groupe armé FPRC (Front populaire pour la renaissance de la République centrafricaine), lit un rapport sur les violations des accords de Khartoum, à Bangui, le 23 août 2019, lors d'une réunion des signataires six mois après sa signature.
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À 56 ans, l’ancien patron de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) devenu par la suite chef d’État-major du Front populaire pour la renaissance de Centrafrique (FPRC) dirigé par Noureddine Adam – visé lui par la Cour pénale internationale (CPI) –, Abdoulaye Hissène est une figure de premier plan dans la galaxie des groupes armés de la République centrafricaine. Entrepreneur de la guerre il a, selon plusieurs rapports d’Ong et des Nations unies, fait fortune dans l’exploitation des activités minières dans le nord-est du pays.

Il a également endossé le costume du politique. Engagé très tôt dans la rébellion, Hissène a gravi les échelons de l’ex-Séléka jusqu’à devenir ministre de la Jeunesse et des Sports entre 2012 et 2013, à la faveur de l’accord de paix de Libreville (signé en 2012 entre le président François Bozizé et la Séléka). Lorsque la Séléka accède au pouvoir par la force en mars 2013 Hissène reste ministre, jusqu’à la chute de Michel Djotodja en janvier 2014 et la dissolution de la Séléka. 

Déjà interpellé en 2016 par la section de recherche et d’investigation de la gendarmerie nationale centrafricaine, ses hommes l’ont arraché de force des mains des forces de défense et de sécurité, causant plusieurs morts et des blessés lors de leur fuite sur la barrière de Damara (75 km au nord-est de Bangui). Les éléments appartenant à son organisation avaient aussi kidnappé des policiers au commissariat du 3ème arrondissement de Bangui en 2015. Le FPRC a été impliqué entre 2017 et 2019 dans plusieurs attaques et affrontements à Ndélé, Bria, Sam Ouandjia et plusieurs autres localités de la région du nord-est. Evadé, il n’avait jamais été jugé et son dossier restait pendant devant la cour criminelle de Bangui, précise son ancien procureur général Eric Didier Tambo, joint par téléphone par Justice Info.

Durant le dialogue républicain initié en mars 2022 par le président centrafricain Faustin Archange Touadéra avec la société civile et certains partis politiques, Hissène, en disgrâce avec son mouvement armé, avait annoncé quitter le FPRC. Hissène, qui siégeait au sein du comité de suivi du désarmement de l’accord de paix du 6 février 2019, a refusé d’intégrer la Coalition des patriotes pour le changement, une nouvelle nébuleuse d’opposition qui a fédéré plusieurs rébellions dont une partie du FPRC. Cette posture l’a rapproché du régime en place. Il incite ses hommes à désarmer. C’est ce rapprochement qui aurait fait de lui un conseiller officieux du président Faustin Archange Touadéra et lui aurait permis de revenir résider à Bangui.

Objet de plusieurs informations judiciaires, lui qui disait n’avoir jamais tué un poulet, avait cependant déclaré, lors d’une émission retransmise en direct sur Radio Ndeke Luka fin mars 2022, qu’il y a une cellule à la Cour pénale internationale (CPI) qui l’attendait. Cependant, depuis son arrestation la semaine dernière, la CPI, bien qu’elle ait arrêté un de ses anciens lieutenants en janvier 2021, ne s’est pas manifestée pour se saisir de son dossier.

Arrêté pour une autre affaire 

Justice Info avait appris, de sources sécuritaires anonymes, la nouvelle de l’arrestation de Hissène le lundi 4 septembre, à son domicile de Bangui. Mais la CPS a attendu jusqu’au jeudi 7 pour publier un communiqué précisant sa mise en accusation. « Les juges ont décerné un mandat d’amener à l’encontre du Sieur Abdoulaye Hissène, qui lui a été notifié le 6 septembre. Ce dernier a été présenté au cabinet d’instruction de la CPS le 7 septembre, lequel a procédé à l’audience de première comparution », déclare le communiqué. Hissène est inculpé « de plusieurs crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis sur le territoire de la République centrafricaine en 2017, en sa qualité de leader du FPRC », indique le document qui ne précise pas les faits concrets qui lui sont reprochés. 

Dans un premier temps, le silence de la CPS a laissé planer un doute sur son arrestation. « Ce n’est pas la Cour pénale spéciale qui a directement lancé un mandat d’arrêt contre Abdoulaye Hissène, a déclaré Gervais Opportun Bodagaye, responsable de la cellule de communication de la CPS sur Radio Ndeke Luka. Il a d’abord été arrêté par les forces nationales de la République centrafricaine pour une autre affaire. » C’est lorsque la CPS a appris cette nouvelle qu’elle a sollicité son transfert pour qu’il réponde d’accusations de crimes graves présumés commis en 2017, a-t-il ajouté. Selon des sources sécuritaires, cette « autre affaire » relève de la sûreté intérieure. Hissène a été interpellé à son domicile à Bangui pour avoir hébergé un « étranger ». Un homme qui ne parle ni français ni sango (langue nationale de la République centrafricaine) qu’il avait fait venir chez lui deux jours plus tôt, précisent nos sources. Cela a suscité la méfiance envers cet ancien rebelle devenu allié du régime de Bangui. 

La CPS retient son souffle

Pendant que les jours passaient sans communication officielle, la situation rappelait celle de l’humiliation qu’a représenté pour la CPS l’évasion de Hassan Bouba, en novembre 2021. Arrêté sur mandat de la CPS, l’actuel ministre de l’Élevage avait été placé en détention préventive à la prison du camp de Roux. Il avait été exfiltré de sa cellule, par une unité spéciale de la gendarmerie centrafricaine, alors qu’il devait comparaitre le lendemain. Bouba avait repris du service au gouvernement quelques jours après. La CPS n’avait eu qu’à déplorer cet acte et dénoncer un obstacle à l’administration de la justice. 

Beaucoup s’attendaient à un communiqué qui annoncerait l’évasion d’Abdoulaye Hissène. Plusieurs défenseurs centrafricains des droits humains évoquaient à nouveau des pressions sur la CPS, ce que l’institution n’a pas confirmé. Et depuis son arrestation, la CPS retient son souffle. « C’est une chose de dire que la justice est la colonne vertébrale d’un gouvernement mais une autre chose, c’est de mettre en œuvre tous les ingrédients possibles pour permettre à la justice de faire son travail avec indépendance et impartialité », a déclaré le responsable de la cellule de communication de la CPS. 

« C’est vrai qu’au cours des dernières années, la CPS a eu des difficultés à mettre en œuvre son mandat. C’est un travail qui n’est pas facile, c’est laborieux et l’institution travaille avec beaucoup de détermination. Donc nous saluons ce travail de la CPS. Mais les inquiétudes n’ont pas disparu. [L’évasion de Bouba] est une affaire très grave qui a suscité de graves inquiétudes, notamment quant à la possibilité pour la CPS de faire son travail, d’entendre toutes les personnes qu’elle estime importantes à entendre », a réagi Abdoulaye Diarra, directeur général d’Amnesty international pour l’Afrique centrale et de l’ouest.

« Je pense que l’on est en train de tourner la page en RCA, grâce au mécanisme de la CPS. Mais en même temps, il y a beaucoup de défis », reconnait pour sa part Lewis Mudge, directeur Afrique de Human Rights Watch. 

Un « non-évènement » ?

L’enthousiasme affiché par les internationaux n’est pas partagé par la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH). « Nous, on ne prend pas cela comme un acte de justice », a tranché Joseph Bindoumi, président de la LCDH. Selon lui, « les pouvoirs publics savent que Abdoulaye Hissène est un criminel, qui a commis des actes au moment où il fuyait les Anti-Balaka au niveau de Pk 12 (barrière à la sortie nord de Bangui), tout le long de son parcours jusqu’à Ndélé. Tout le monde sait que lorsqu’il a mis pied à Bangui, il a été placé en détention. Qu’il a organisé une évasion, donnant l’impression d’être l’homme le plus fort, que même se trouvant aux mains de la justice, ses éléments pouvaient le faire sortir. A Ndélé, il a élevé une république, ses miliciens ont occupé la gendarmerie et la préfecture. Hissène est venu à Bangui avec les mains souillées de sang. Il est entré à la présidence, a salué des gens, a mangé avec eux. Il a nargué les organisations de défense des droits de l’homme. Et maintenant on dit qu’on l’a arrêté. Ce remue-ménage-là, qui certainement va se conclure avec la sortie de Hissène qui viendra encore narguer les gens, nous considérons ceci comme un non-évènement ».

A quand une première audience publique pour Abdoulaye Hissène ? « Pour l’instant, l’instruction suit son cours et elle est secrète. L’audience de confirmation des charges sera programmée lorsque les juges estimeront que les charges sont suffisantes et au-delà de tout doute », explique Bodagaye. Le dossier Hissène s’ajoute à une dizaine d’affaires en instruction devant la CPS. Le renvoi en procès de l’affaire dite « Ndélé I », qui a fait l’objet de plusieurs arrestations en 2020, pourrait être confirmé lors d’une prochaine audience, le 29 septembre.