Au cours des derniers mois, l’attention du monde s’est concentrée sur l’absence d’une personnalité, bruissant de spéculations sur les conséquences de la disparition d’une princesse pour le fonctionnement d’une auguste institution - la famille royale britannique. À une échelle beaucoup plus réduite, la petite coterie des observateurs de la justice internationale a noté la disparition du juge Antoine Kesia-Mbe Mindua, basé à La Haye, et s’inquiète tout autant des conséquences de cette disparition sur le verdict attendu d’un Malien et sur la bonne administration d’une autre auguste institution, la Cour pénale internationale (CPI).
Le procès d’Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud a commencé il y a plus de trois ans. Il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris d’esclavage sexuel, pour son rôle à Tombouctou, dans le nord du Mali, en tant que chef de la police religieuse du groupe islamiste Ansar Dine, qui a pris le contrôle de la ville en 2012. Son équipe de défense, dirigée par Melinda Taylor, a fait valoir que la torture et la contrainte subies par leur client lors de sa détention dans une prison malienne compromettaient le dossier d’accusation. Les deux parties ont conclu leurs plaidoiries après trois ans de procès - et sept ans de détention pour Al Hassan. 52 témoins ont été cités par l’accusation, deux témoins par le représentant des victimes et 22 par la défense.
« Une approche attentiste »
Ces plaidoiries finales se sont déroulées devant un panel de trois personnes, comme le prévoit le texte régissant la CPI, présidé par le juge Mindua. Huit mois plus tard, au pied levé, la Cour a brusquement annulé la date initialement prévue pour le prononcé du jugement - le 18 janvier - « en raison de l’état de santé actuel » de Mindua, « qui est temporairement indisponible ».
Cette indisponibilité temporaire s’est poursuivie. Ainsi, dix mois après les audiences finales - ce qui, dans le manuel des juges, est la limite prévue pour la durée du prononcé d’un jugement - il n’y a eu que peu d’informations. Elles n’ont émergé qu’au compte-gouttes. Dans sa dernière demande d’informations, la défense s’est contentée de citer des médias français qui ont publié des informations selon lesquelles le juge pourrait être malade depuis des mois et qu’il espérait rendre son jugement en juin. « Une approche attentiste n’est pas viable à ce stade », estime la défense.
« Le juge Mindua reste généralement indisponible »
La défense précise qu’elle n’a reçu aucune information directement de la Cour. En même temps que les avocats des victimes, ils ont demandé comment obtenir de telles informations et ont été informés le 5 février, par courriel, qu’ils devaient faire une demande formelle. Kimberly Prost, juge unique, leur a finalement répondu : « Les parties et les participants soulèvent des préoccupations et des questions valables. La juge unique ne peut que convenir qu’il est de la plus haute importance, dans les circonstances, et en particulier à ce stade, que tous reçoivent rapidement des informations actualisées. Tous les efforts ont été faits pour obtenir ces informations avec autant de détails que possible. Cependant, le juge Mindua reste généralement indisponible, de sorte que les autres juges de la Chambre n’ont eu que des communications limitées avec lui au cours des quatre dernières semaines. »
La liste des questions soulevées par l’absence inexpliquée et indéterminée d’un juge est infinie. Dans un article tranchant et prémonitoire datant de 2015, Megan Fairlie de l’Université internationale de Floride, aujourd’hui décédée, notait que « les verdicts retardés ont tendance à saper la confiance du public dans le système de justice concerné » . Elle écrivait alors à propos de la disqualification d’un juge et de la substitution immédiate d’un autre au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans le procès intenté contre l’homme politique serbe Vojislav Seselj. Mais elle poursuivait aussi sa critique du manque de prévoyance de ce tribunal en prévoyant que « si des changements ne sont pas apportés, ce n’est qu’une question de temps avant qu’une chambre de première instance de la CPI ne soit rendue incomplète à mi-parcours ». « Ce n’était qu’une question de temps, surtout dans le cas de ces longs procès », dit Hemi Mistry, de l’université de Nottingham. « Je suis surprise que ce genre de problème ne se soit pas produit plus tôt », ajoute-t-elle.
Al Hassan peut-il être indemnisé ?
L’impact humain peut-il être considéré comme sérieux ? Bien que cette situation soit « inhabituelle » parce qu’elle survient juste avant le jugement, il est important, selon Mistry, d’en évaluer l’impact réel. « Il ne fait aucun doute, suggère-t-elle, que les retards de ce type ont un impact sur l’accusé. C’est une épreuve pour lui. » Al Hassan pourrait peut-être même demander à ce titre une indemnisation, suggère-t-elle. Danya Chaikel, représentante de la FIDH à la Cour pénale internationale, qualifie ces délais de « mystérieux » et affirme qu’ils « peuvent prolonger le traumatisme et l’incertitude des victimes, en affectant leur santé mentale et leur bien-être ». « Ce report entrave directement la mise en œuvre des réparations en cas de condamnation, retardant le processus de guérison des victimes et de leurs communautés. »
Mais au-delà de l’incertitude, un retard est-il préjudiciable aux droits d’Al Hassan à un procès équitable ? Là, Mistry est plus hésitante - pour l’instant. Toutes les preuves ont été présentées. Trois juges se sont acquittés de cette tâche. Mais son évaluation pourrait changer. « S’il ne s’agissait pas simplement d’une relecture finale du jugement et qu’il restait encore une décision de fond à prendre, cela soulèverait des questions », dit-elle.
« Il ne s’agit pas encore d’une violation du droit à un procès équitable », estime aussi David Donat Cattin, professeur à l’université de New York. Même si, selon lui, « la certitude et la prévisibilité des procédures sont en quelque sorte le corollaire du principe d’équité des procédures et du fait que chaque partie a besoin de savoir exactement ce qui va se passer ensuite, quand et comment ». Et comme ce problème intervient à la toute fin, « malheureusement, une véritable évaluation de l’importance de ce qui se passe ne peut se faire qu’a posteriori ».
Un juge sortant qui s’accroche à son poste ?
L’absence du juge Mindua intervient dans un contexte de relève de la garde parmi les juges de la CPI. Six nouveaux juges ont été élus en décembre lors de l’Assemblée des États parties et Mindua est l’un de ceux qui quittent la Cour après neuf ans de service. La pratique établie veut qu’un juge sortant termine son travail avant de partir.
Dans le même temps, la nouvelle présidence des juges Tomoko Akane, président de la Cour, Rosario Salvatore Aitala et Reine Alapini-Gansou, vice-présidents, a introduit - pour la première fois à la CPI - des juges suppléants pour trois chambres de première instance, mais pas pour la Chambre Al Hassan. Donat Cattin rappelle l’expérience du plus grand procès du TPIY, celui de l’ancien président serbe Slobodan Milosevic, où le juge président est tombé malade et est décédé subitement. Cela a « considérablement retardé le procès, qui était le plus important à l’époque », et il n’a finalement jamais été achevé en raison du décès de l’accusé. Il y a dix ans, Fairlie affirmait que « les juges suppléants dans les procédures pénales internationales - malgré leur prix - valent leur pesant d’or ».
Dans le cas de la CPI, Donat Cattin souligne que les rédacteurs du Statut de Rome en 1998 étaient prévoyants. Au paragraphe 1 de l’article 74, « il est assez stupéfiant de voir que, dans la composition de la chambre, la présidence peut désigner un juge suppléant en vertu du statut ». Ce n’est « ni dans le règlement, ni dans les règles, ni dans le manuel de pratique », c’est dans le Statut de Rome lui-même, souligne-t-il.
Le juge suppléant, un impératif
La question est alors de savoir pourquoi cette disposition n’a jamais été appliquée, demande Donat Cattin : « Il faut poser la question à tous les anciens présidents de la Cour », dit-il. En attendant, le tribunal de La Haye est confronté à une pénurie considérable de nouvelles arrestations. Aucune n’est entrée dans la prison de la Cour depuis plusieurs années. En revanche, les juges ont accepté la proposition du procureur d’organiser une audience préliminaire par contumace pour le chef de l’Armée de résistance du Seigneur, Joseph Kony. Et plusieurs mandats d’arrêt émis dans le cadre de la situation en Ukraine ont été rendus publics, même s’il est peu probable qu’ils aboutissent à des arrestations.
« Je pense qu’il s’agit d’une question de bonne administration de la justice. Plus une affaire est complexe, plus la présence d’un quatrième juge est justifiée », souligne Donat Cattin. « Car on ne veut pas perdre, à tout moment, tout le travail réalisé, les preuves, les témoins, les documents acquis. Si un jour nous avons de grands procès comme celui d’Omar al-Bashir ou, je l’espère, celui de Vladimir Poutine, je dirais que le juge suppléant sera un impératif. »
Les requêtes de la défense visent à comprendre qui savait quoi et quand, et si le juge Mindua a tenu ses collègues, y compris la présidence, informés. Cependant, s’il n’a pas tenu ses collègues juges informés, la question se pose de savoir si la présidence devrait intervenir.