Au Soudan, la "terreur constante" des habitants d'une grande ville du Darfour

3 min 5Temps de lecture approximatif

Ishaq Mohammed reste terré chez lui depuis qu'il y a un mois, les affres de la guerre qui ravage le Soudan se sont abattus sur sa ville, el-Facher, dernière des cinq capitales du Darfour qui échappe au contrôle des paramilitaires.

"On vit dans une terreur constante", confie à l'AFP par téléphone ce commerçant soudanais alors que la communauté internationale et les ONG alertent quant au risque de carnage qui guette la capitale du Darfour-Nord.

Depuis plus d'un an, le Soudan est en proie à une guerre entre l'armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) de son ex-adjoint devenu rival, le général Mohamed Hamdane Daglo.

La guerre a fait des dizaines de milliers de morts. A el-Geneina, capitale du Darfour-Ouest, 10.000 à 15.000 personnes ont été tuées, selon l'ONU.

Les habitants d'el-Facher, la seule capitale des cinq Etats du Darfour à ne pas être aux mains des FSR, redoutent un scénario similaire.

Leur ville, où vivent 1,5 million de personnes, dont 800.000 déplacés, d'après l'ONU, a jusque-là été relativement épargnée grâce à une paix précaire négociée entre des groupes armés locaux et les FSR.

Mais le mois dernier, les deux principaux groupes armés ont abandonné leur neutralité pour combattre aux côtés de l'armée et les paramilitaires ont entouré la ville.

Depuis, "on vit sous un siège complet", affirme par SMS Ahmed Hassan à l'AFP, alors même que le Darfour est presque constamment privé de réseaux de communications depuis des mois.

A el-Facher, beaucoup ont encore en mémoire la guerre civile aux centaines de milliers de victimes déclenchée en 2003 qui avait meurtri le Darfour, cette vaste région de l'Ouest qui abrite un quart des 48 millions de Soudanais.

Aujourd'hui, au coeur de la lutte de pouvoir entre généraux, le Darfour a replongé dans l'horreur, la guerre charriant avec elle violences sexuelles, ethniques, pillages, et terres brûlées.

A el-Facher et les localités environnantes, l'escalade de la violence semble sans fin: "l'incendie systématique de villages entiers, les bombardements aériens (...) et un siège de plus en plus strict" rendent le quotidien des habitants infernal, dénonce Toby Harward, coordinateur humanitaire adjoint de l'ONU pour le Darfour.

- Faim et pénuries -

Et pourtant, les paramilitaires et l'armée ne se sont pas encore jetés dans une bataille totale pour la ville, dit-il, ce qui aurait pour conséquence "de faire couler massivement le sang de civils innocents".

"Un désastre aux proportions épiques se prépare", affirme de son côté l'ambassadrice des Etats-Unis auprès de l'ONU, Linda Thomas-Greenfield.

Dans le camp de déplacés d'Abou Shouk, à proximité d'el-Facher, certains ont été témoins de combats.

"Tous ceux qui n'ont pas réussi à partir sont piégés chez eux alors même qu'ils manquent de nourriture et que personne ne peut les atteindre", rapporte à l'AFP un des habitants du camp, Issa Abdelrahman.

Les pénuries frappent également le seul établissement médical de la ville où "le personnel est complètement épuisé", a déclaré à l'AFP une source médicale ayant requis l'anonymat.

"Certains médecins n'ont pas quitté l'hôpital depuis plus d'un mois", soignant sans relâche les blessures par balle, celles causées par les bombes et la malnutrition infantile.

Aujourd'hui au Darfour, "les gens en sont réduits à consommer de l'herbe et des gousses de cacahuètes", alerte Michael Dunford, directeur régional du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l'Afrique de l'Est.

- "Position de faiblesse" -

Selon la patronne de l'Unicef, Catherine Russell, "plus de 330.000 personnes seraient confrontées à une insécurité alimentaire aiguë à el-Facher".

Les violences "empêchent les familles de partir", dit-elle, et, si elles continuent, "750.000 enfants" seront en danger.

Les FSR menacent de lancer une attaque depuis des mois, mais, selon Amjad Farid, analyste politique soudanais, ils semblent en avoir été dissuadés par des mois "d'avertissements internationaux".

Selon M. Farid, la perspective d'un retour à la table des négociations, annoncé par les médiateurs américains et saoudiens, a poussé les paramilitaires à braquer de nouveau leurs armes sur la capitale du Darfour-Nord.

"Ils ne peuvent pas participer (aux négociations) en position de faiblesse", explique l'analyste à l'AFP.

Après avoir fait des percées fulgurantes et pris le contrôle de larges pans du pays au début de l'année, l'avancée des paramilitaires a récemment été endiguée par l'armée.

Dans ce contexte, prendre el-Facher, "permettrait aux FSR de prétendre représenter l'ensemble du Darfour", explique M. Farid.

L'armée comme les paramilitaires ont été accusés de bombardements aveugles sur des zones civiles et d'obstruction au passage de l'aide humanitaire, les FSR étant spécifiquement accusés de nettoyage ethnique et de crimes contre l'humanité.