Ex-Yougoslavie : troquer les aveux contre le retrait des charges

Ex-Yougoslavie : troquer les aveux contre le retrait des charges©Wikipedia/ commons
Cimetière à Srebenica
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Dans la suite de notre série hebdomadaire sur les politiques de pardon, nous nous penchons cette semaine sur le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. La semaine prochaine, l’Afrique du Sud.

 

Dans le milieu et la fin des années 1990, un vif débat a divisé les militants des droits de l’homme, portés par deux hommes charismatiques, le président de la CVR sud-africaine, l’archevêque Desmond Tutu, et le président du TPIY, Antonio Cassese. Ce débat a opposé les partisans des commissions vérité et aux partisans de la justice pénale internationale. Les premiers, avec l’archevêque Desmond Tutu, mettant en avant la nécessité du pardon, comme une condition indispensable pour d’abord, éviter un bain de sang, puis construire une nouvelle identité nationale et permettre ainsi les conditions d’un vivre ensemble. Les partisans de la justice pénale mettaient, eux, en évidence la nécessité du châtiment comme condition indispensable pour brise le cycle de la vengeance et de la violence. Approche souvent résumée par la formule « pas de paix sans justice », celle-ci était définie uniquement de manière pénale.

Huit ans après la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, les juges décidèrent d’introduire le plaider coupable en décembre 2001 dans le règlement de procédure et preuve dans l’article 62ter:

« Le Procureur et la Défense peuvent convenir que, après que l’accusé aura plaidé coupable de l’ensemble des chefs d’accusation, de l’un ou de plusieurs de ces chefs, le Procureur prendra tout ou partie des dispositions suivantes devant la Chambre de première instance:

1.      i)  demandera l’autorisation de modifier l’acte d’accusation en conséquence,

2.      ii)  proposera une peine déterminée ou une fourchette de peines qu’il estime appropriées,

3.      iii)  ne s’opposera pas à la demande par l’accusé d’une peine déterminée ou d’une fourchette de peines.

2.      B)  La Chambre de première instance n’est pas tenue par l’accord visé au paragraphe A).

 

Cette disposition souvent utilisée dans le droit américain (le guilty plea) permet à l’accusé de reconnaître ses crimes et d’exprimer son repentir. En échange de ces aveux et de la demande de pardon assortie, le procès n’a plus lieu de se dérouler. L’accusé y trouve son intérêt : son avocat négocie au préalable avec le bureau du procureur les charges et le montant de la peine que celui-ci va requérir. Les juges ne sont pas formellement tenus d’accepter le produit de cette transaction entre les deux parties, mais en pratique, s’y soumettent. Cette procédure permet de désengorger les tribunaux américains.

Critiqué d’innombrables fois pour la lenteur de ses procès (4 ans en moyenne au TPIY), leur prix (10 millions de dollars par procès), la complexité des procédures qui limitent la dimension pédagogique de la justice, le TPIY a trouvé un moyen pragmatique et efficace de répondre à ces critiques, qui offrait à la fois une considérable économie de temps et de ressources, tout en étant formidablement pédagogique : au lieu de procès qui s’éternisent pendant des années, il se réduit à une audience visant à fixer la peine et à la comparution de quelques témoins, puisque l’accusé a reconnu la matérialité des faits reprochés. Quant à la scène des aveux, elle peut être mise en ligne dans une vidéo d’une quinzaine de minutes. L’efficacité médiatique rejoint dans l’esprit du TPIY sa mission profonde, celui d’encourager le processus de réconciliation par le dévoilement de la vérité que le plaider coupable implique.

Le plaider coupable suscite cependant de profonds questionnements: que penser de cette négociation discrète, sinon secrète, entre l’accusation et la défense, au terme de laquelle les accusations les plus lourdes peuvent être retirées ? Que penser ainsi du fait que Bijlena Plavsic, ex-présidente de la Republika Srpska, ainsi que tous les accusés associés aux massacres de Srebrenica qui ont plaidé coupable ont vu la charge du « crime de génocide » être retirées ? Formidable incitation au plaider-coupable !  D’où la grinçante ironie du journal Oslobodjene qui titra : « A qui plaide coupable, génocide est pardonné ». Quant aux accusés associés aux massacres de Srebrenica qui ont refusé le plaider coupable, ils furent condamnés pour crimes ou complicité de crimes de génocide.

Derrière l’économie du procès, la vérité historique gagne-t-elle au plaider coupable ? Ou les aveux ne se limitent-ils pas au strict minimum ? C’est ce qu’en sont venus à penser les juges eux-mêmes dans l’arrêt Nikolic :

« Un procès public lors duquel les deux parties présentent des témoignages et des preuves documentaires permet de brosser un tableau plus complet et détaillé des événements que ne le fait l’accord sur le plaidoyer , lequel peut en effet se borner à établir les simples faits allégués dans l’acte d’accusation ou s’accompagner d’un exposé des faits et d’un document par lequel l’accusé reconnaît sa responsabilité ».

Les juges mettent à raison le doigt sur le fait que la vérité reconnue peut être très partielle. Ainsi, l’ex-membre de la présidence de la Republika Srpska, Bijlena Plavsic n’est jamais revenu sur ces déclarations plus virulentes faites durant la guerre, elle n’a pas non plus collaboré dans d’autres affaires du TPIY, ni apporté une lumière sur le fonctionnement du pouvoir au sein de la présidence de la Republika Srpska. Après avoir purgé sa peine (elle a été condamné à 11 ans de prison), elle est revenue sur ses aveux pour s’en distancer.

Dans le même jugement de Momir Nikolic, les juges eux-mêmes se sont inquiétés d’une dérive du plaider coupable, où, au détriment de l’équité de la justice, les charges les plus lourdes peuvent être retirées comme dans le cas mentionné quelques lignes plus haut :

« Une fois qu’une accusation de génocide a été confirmée, on ne saurait en faire une simple monnaie d’échange dans une négociation. Si l’accord conclu entre le Procureur et l’accusé ne reflète pas la totalité du comportement criminel ou si les chefs d’accusation restants ne reflètent pas la totalité des crimes, on pourra se demander effectivement si justice est faite. (…)»

L’approche utilitariste adopté par le TPIY se comprend par les fortes pressions exercées par le Conseil de sécurité de l’ONU pour que le Tribunal accélère ses travaux.  Mais l’usage du plaider coupable est loin d’avoir apporté les fruits escomptés. Le retrait des charges – souvent les plus lourdes - a été interprété comme une reconnaissance du fait que les crimes ne se sont pas produits ou qu’ils n’ont pas eus la gravité qui leur était prêtée, ou encore comme un déni de justice. Ainsi, les mères de Srebrenica ont exprimé leur colère face à la peine réduite à 5 années de prison infligée à Drazen Erdemovic, membre d’un peloton d’exécution, pour la mort de 70 personnes à Srebrenica. On le voit, le lien entre le plaider coupable et la réconciliation que trace le TPIY est pour le moins fragile.

Force est de constater qu’en dépit du plaider-coupable d’une vingtaine d’accusés du TPIY, le révisionnisme, voir le négationnisme reste puissant dans les différentes républiques de l’ex-Yougoslavie. Quant aux victimes, la plupart des témoignages montrent qu’elles restent pour l’essentiel sceptiques, sinon hostiles, sur l’opportunité du plaider coupable, n’y voyant le plus souvent que des stratégies opportunistes des coupables afin d’obtenir une peine réduite lorsque les preuves s’amoncellent contre eux.