Alain
Alain* a 68 ans. Il est psychothérapeute. Il a été attouché sexuellement par le prêtre de son village quand il était enfant de chœur entre 8 et 13 ans. Il a trois enfants d’un premier mariage et est remarié. Il n’a pas souhaité saisir les commissions.
« Ça n’a pas eu d’impact trop fort sur ma vie sexuelle. Parce que je n’aimais pas les hommes, tout simplement. Ça m’a d’ailleurs longtemps dégouté de l’homosexualité masculine. Ce dont j’étais conscient, par contre, c’était de la manipulation. Tout ce qui ressemblait à un ecclésiastique était suspect. J’ai donc développé une forme de paranoïa. Comme vous êtes abusé, vous êtes livré au combat. Si vous êtes obligé de combattre à l’extérieur, tout risque de devenir problématique. Ça a traversé quasiment toute ma vie, sur mon rapport à l’autorité car j’étais toujours vigilant sur l’abus de confiance et d’autorité morale. »
Claudine
Claudine* a 75 ans. Infirmière à la retraite. Victime de viol de la part de l’aumônier catholique du lycée public d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise) de 17 à 21 ans, elle a saisi la Commission reconnaissance et réparation (CRR) dès sa création et a été indemnisée. Elle est remariée et a deux filles.
« Je suis partie à l’étranger dès que j’ai pu et j’ai vécu 15 ans dans des pays différents. C’était comme si je me donnais le pouvoir d’inventer ma vie. J’ai eu un manque de confiance systématique, je me suis mis des bâtons dans les roues toute ma vie. J’ai eu des possibilités – danser dans des ballets, enseigner l’espagnol – que je n’ai jamais saisies. Je suis devenue infirmière libérale et c’est maintenant que j’analyse les faits. J’ai tout enfoui jusqu’à 2019 quand j’ai parlé à mon deuxième mari et mes enfants de ce viol. »
Danièle
Danièle* a 52 ans. Travaille dans le secteur médical, au chômage depuis 2020 pour cause de maladie. Violée plusieurs années pendant sa jeunesse par un prêtre, longtemps frappée d’amnésie, sa mémoire des faits lui est revenue lors de l’annonce d’une maladie grave. Elle a été indemnisée par la CRR et est en attente du procès canonique, au sein de l’Église, de ce prêtre.
« À la suite de cela j’ai été en amnésie traumatique, elle a commencé pendant les agressions. J’ai totalement oublié ce qui s’est passé, au niveau de la mémoire mais pas du corps. J’ai vécu avec énormément de problèmes de santé, relationnels et affectifs. Je refuse qu’on me touche. Je pensais que c’était à cause de moi mais il y a 3 ans quand la mémoire est revenue, j’ai compris que non. Je n’ai pas pu me marier, je voulais avoir une famille et des enfants je ne comprenais pas pourquoi. C’est une blessure très grande de ne pas avoir pu. Je me sens seule aujourd’hui. J’ai cette impression de vivre à côté du monde tout en étant dans le monde. Aujourd’hui je ne peux pas aller consulter un médecin homme et au niveau des femmes c’est impossible de me déshabiller. Je montre un papier aux urgences pour ne pas répéter les choses. J’ai eu un cancer de l’endomètre, et pour le suivi de la maladie c’est très compliqué. J’ai des blessures profondes invisibles de tous mais très réelles pour moi. »
François Devaux
« L’impact de cette agression a été fondamental. C’est un élément prépondérant de ma vie ; tout ce que je suis est plus ou moins lié à ça. Ça a changé des choses dans mon comportement, dans mon attitude, ça m’a demandé des adaptations. Et surtout, j’ai un besoin vital de vérité ; c’est cela qui m’attire vers la philosophie, guide l’éducation de mes enfants, façonne ma manière de travailler, le sens de mon existence. »
Gilbert
Gilbert* a 70 ans. Directeur d’agence de la Poste à la retraite. Violé par un prêtre à 12 ans au pensionnat Sainte-Marie à Chagny géré par les frères maristes, il a été indemnisé par la CRR. Il est remarié trois fois et a trois enfants.
« Ça a laissé des traces profondes dans ma vie. En pensionnat après la quatrième je ne faisais plus rien, j’étais révolté, amoché, on a voulu me faire redoubler mais j’ai dit à mes parents de me sortir de là. J’ai essayé un lycée technique en comptabilité, et puis j’ai arrêté, mon avenir avait déjà été massacré. J’ai des capacités pourtant, j’ai le sentiment de ne pas être trop bête, je l’ai prouvé dans ma carrière professionnelle. Quelques jours avant mes 17 ans, j’étais au boulot. Ça fait trois ans et demi que j’ai pris conscience de tous les dégâts dans ma vie. J’ai été marié trois fois. Ce viol a pourri ma vie affective. »
Michel
Michel* a 73 ans. Psychothérapeute à la retraite. Il a été abusé par une religieuse à 5 ans dans un pensionnat. Marié, il est père de quatre enfants. Il a été indemnisé par la CRR.
« À partir de l’adolescence, j’ai été troublé par des rêves et des fantasmes extrêmement violents à l’égard des femmes, alors que j’ai toujours été un homme doux et respectueux dans mon quotidien. Ce fut le point de départ de ma thérapie qui a duré des années. Passionné par ce travail, j’en ai fait plus tard mon métier. »
Nanou Couturier
Nanou Couturier a 69 ans. Elle a été violée de ses 18 mois jusqu’à ses 14 ans par trois prêtres de la communauté des pères maristes. Elle n’est pas mariée et a deux enfants. Elle a travaillé dans des usines fabriquant des machines à laver puis du matériel de sécurité pendant 25 ans, âge auquel elle entreprend une formation professionnelle en secrétariat comptabilité. Elle qui se rêvait vétérinaire termine sa carrière dans un cabinet d’expertise comptable.
« Les sévices et viols subis sous le toit de ma grand-mère m’ont appris très vite à m’en sortir seule, jeune je volais de la nourriture. J’étais une excellente élève mais mon comportement était toujours problématique. J’ai eu peur toute ma vie. J’ai toujours du mal à me retrouver seule avec un homme. Je suis une écorchée vive car mes 13 premières années n’ont été qu’une destruction de l’intérieur. »
Véronique Garnier
« Ça a impacté toute ma vie à tous les niveaux. Ces agressions ont mis du désordre dans ma vie. Je passe mon temps depuis des années à remettre de l’ordre au niveau relationnel, émotionnel, affectif, spirituellement ; et petit à petit j’avance, mais c’est long et douloureux.
Yolande du Fayet de la Tour
« J’ai perdu la mémoire et été en totale amnésie traumatique jusqu’à récemment, pour une partie importante de la période d’agression. Le processus de réparation m’a donné le temps et l’espace pour trouver des explications sur plein de choses que j’ai vécues entre 11 et 16 ans. Par exemple j’ai compris pourquoi Je n’arrivais pas à mémoriser mes leçons. J’ai pris conscience du fait que j’avais fait une dépression dans cette période-là.
* Prénom d’emprunt