Les parties belligérantes au Soudan du Sud ont pris des engagements ambitieux en matière de justice transitionnelle dans les accords de paix signés en 2015 et 2018. Cependant, à l'instar du processus de paix dans son ensemble, leur mise en œuvre a été entravée par de nombreux retards, les parties étant confrontées à des défis techniques, politiques et financiers liés au lancement d'un programme judiciaire complexe dans un État fragile et fragmenté. Ces défis soulignent une tension profonde entre les aspirations des accords de paix, qui visent non seulement à garantir un cessez-le-feu permanent mais aussi à s'attaquer aux causes profondes du conflit, et des réalités politiques et sécuritaires bien enracinées. Les récentes réductions de l'aide étrangère et de la présence diplomatique des principaux partenaires bilatéraux créent des obstacles supplémentaires.
Pour aller de l'avant, les dirigeants du Soudan du Sud devront probablement mobiliser la volonté politique et les ressources nécessaires pour faire avancer les initiatives en matière de justice avec un soutien extérieur limité. Bien que cela puisse sembler improbable à ceux qui considèrent que la classe politique est uniquement motivée par son intérêt personnel, l'histoire récente montre que les Soudanais du Sud ont la capacité de promouvoir le dialogue, la réconciliation et la justice, même face au scepticisme de la population. La récente adoption d'une loi portant création d'une commission vérité et d'une autorité chargée des réparations offre une opportunité à cet égard, à la fois comme réponse à court terme à la crise politique actuelle et comme initiative à plus long terme pour la construction de l'État et de la nation.
Pourquoi la justice transitionnelle est-elle importante ?
Malgré la longue histoire de guerre du Soudan du Sud, les accords de paix passés, y compris l'Accord de paix global (CPA) de 2005, ont ostensiblement passé sous silence la question de la justice pour les violations commises dans le passé. Avec la mise en place du gouvernement du Sud-Soudan en 2005, le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM), alors au pouvoir, a délibérément décidé de mettre de côté les débats sur la justice et la réconciliation et de se concentrer sur la possibilité d'une sécession par le biais d'un référendum sur l'autodétermination, prévu en 2011. Lorsqu'une guerre civile a éclaté en 2013, deux ans seulement après l'indépendance du Soudan du Sud, ces calculs ont changé et les Soudanais du Sud ont pris de plus en plus conscience du rôle joué par les griefs non résolus et l'impunité dans l'alimentation des cycles de violence. Les processus de paix au Soudan du Sud reflètent un schéma récurrent dans lequel les chefs de guerre sont récompensés par des nominations politiques et militaires, pour être ensuite remplacés par de nouveaux rebelles. Ces cycles créent une incitation perverse, dans la mesure où les aspirants politiciens considèrent la violence comme un moyen légitime d'accéder au pouvoir et à l'influence. Cela indique aux communautés que le seul moyen d'assurer leur protection ou d'acquérir de l'influence est de recourir à la force, ce qui sape l'état de droit et érode la confiance de la population dans l'État.
Pour briser ce cycle, les accords de paix de 2015 et 2018 comprenaient des engagements visant à créer trois institutions clés : une Commission pour la vérité, la réconciliation et la guérison (CTRH), une Autorité pour l'indemnisation et la réparation (CRA) et un Tribunal hybride pour le Soudan du Sud (HCSS). Les progrès ont été lents, d'autant plus que de nombreux dirigeants impliqués dans des violations commises pendant la guerre occupent toujours des postes de pouvoir et n'ont guère intérêt à promouvoir la justice. Néanmoins, en novembre 2024, le gouvernement de transition a franchi une étape importante en adoptant une législation relative à la CTRH et à la CRA. Si la création du tribunal hybride reste au point mort, le gouvernement et l'Union africaine se renvoyant mutuellement la responsabilité de l'inaction, le ministère de la Justice poursuit le processus de sélection des responsables de la CTRH et de la CRA, et les deux institutions pourraient devenir opérationnelles dans un avenir proche.
Aperçu de la commission vérité et de la loi sur les réparations
À bien des égards, la CTRH et la CRA reflètent une approche familière de la justice transitionnelle dans un contexte post-conflit. La CTRH devrait être dirigée par sept commissaires : quatre Sud-Soudanais désignés par un comité de sélection représentant divers groupes de la société civile et trois non-Sud-Soudanais nommés dans le cadre d'un processus mené par l'Union africaine. Elle aura pour mandat d'enquêter sur les violations des droits de l'homme, les crimes de guerre et les exactions, d'établir des rapports à ce sujet et de recommander des mesures de réparation pour les victimes. Bien que la législation ne précise pas la période couverte, l'accord de paix de 2018 laisse entendre que l'accent sera mis sur les exactions commises entre juillet 2005, date de la création du gouvernement du Sud-Soudan, et la signature de l'accord de paix revitalisé, en septembre 2018. La CTRH se distingue par son mandat opérationnel exceptionnellement long de six ans, renouvelable une fois. Bien que cette disposition ait suscité des réactions négatives de la part de certains groupes de la société civile, qui estimaient qu'il serait difficile de maintenir l'attention et la confiance du public pendant une période aussi longue, le gouvernement a déclaré qu'il avait opté pour cette longue durée en réponse à d'autres commissions vérité qui ont eu du mal à remplir leur mandat au cours des trois à quatre années pendant lesquelles celles-ci fonctionnent généralement.
La Commission est également habilitée à recommander l'amnistie pour les auteurs qui reconnaissent intégralement leurs crimes, à l'exception des crimes internationaux tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les crimes graves au regard du droit sud-soudanais, tels que le meurtre et le viol. Le Parlement a inclus les crimes relevant du droit national parmi les exclusions de l'amnistie après la dernière audience publique sur les projets de loi, en réponse aux préoccupations de la société civile selon lesquelles les poursuites devant les tribunaux nationaux constituent le seul moyen viable d'assurer la justice dans le contexte actuel et que les rescapés ne devraient pas être privés de ce droit. Si la disposition relative à l'amnistie est suffisamment restrictive pour se conformer aux normes internationales en matière de responsabilité pour les crimes graves, il reste à voir comment elle sera appliquée dans la pratique.
La CRA est chargée d'administrer les réparations – financières ou non, individuelles ou collectives – aux victimes d'exactions liées au conflit. Si le délai applicable pour bénéficier de ces réparations reste flou, les références contenues dans l'accord de paix suggèrent que l'accent sera mis sur les préjudices commis entre 2013 et 2018. La CRA serait supervisée par un conseil composé de représentants du gouvernement et de la société civile, et saisi des cas signalés par les victimes ou par la CTRH. Une question controversée est son apparente préférence pour les réparations collectives, les réparations individuelles n'étant autorisées que lorsque les approches collectives sont jugées inappropriées – une position qui a suscité des critiques de la part de la société civile et des groupes de rescapés. Il sera essentiel de clarifier ces ambiguïtés politiques pour que la CRA gagne en légitimité et en confiance auprès du public.
Le financement du programme de réparations et de l'initiative plus large de justice transitionnelle reste également une question en suspens. Les organisations de la société civile ont appelé le gouvernement à placer une partie des recettes pétrolières et non pétrolières sur un compte séquestre destiné à financer ces initiatives, et à compléter ce financement par la saisie des avoirs des personnes reconnues responsables de crimes liés au conflit, à condition que ces avoirs aient été acquis par la corruption ou d'autres activités illicites. Toutefois, compte tenu de la crise économique actuelle et des nombreuses priorités concurrentes en matière de financement public, les perspectives à court terme sont minces. Certaines organisations ont proposé des approches innovantes, telles que des mesures réparatrices provisoires urgentes, qui pourraient combler les besoins à court terme pendant que la CRA élabore des plans pour un programme de réparations plus substantiel.
Un processus mené par le Soudan du Sud est-il réalisable ?
Le scepticisme quant à la faisabilité de la justice transitionnelle au Soudan du Sud reste élevé. De nombreux analystes se demandent si une justice significative est possible dans un pays où les fonctionnaires sont souvent impayés, où l'insécurité reste élevée et où les élites politiques sapent régulièrement les réformes. Certains considèrent le programme de justice transitionnelle comme un geste symbolique destiné à apaiser les observateurs internationaux tandis que la violence et la répression se poursuivent sans contrôle.
Si ces critiques sont valables, plusieurs exemples récents brossent toutefois un tableau moins pessimiste. Par exemple, entre 2017 et 2020, le gouvernement du Soudan du Sud a engagé près de 20 000 citoyens dans un dialogue national visant à identifier les facteurs de conflit dans le pays et les solutions possibles. Malgré un financement international limité, cette initiative a permis des discussions franches, de nombreux participants critiquant ouvertement les dirigeants politiques et appelant le président Salva Kiir et le premier vice-président Riek Machar à se retirer des élections à la fin de la période de transition.
Un autre exemple concerne les cours martiales militaires qui se sont tenues dans divers endroits du Soudan du Sud ces dernières années. Après avoir établi un précédent important en poursuivant un groupe de soldats pour des exactions commises contre des Soudanais du Sud et des travailleurs humanitaires étrangers à l'hôtel Terrain de Juba en 2016, l'armée a procédé à une nouvelle série de cours martiales à Yei (au sud) en 2020, 2022 et 2023. D'autres procès ont suivi dans des endroits tels que Bentiu (nord) et Maridi (sud). Bien que présentant certaines lacunes, notamment en raison de l'accent mis sur des militaires de rang inférieur et des préoccupations relatives à la protection des victimes et des témoins, ces procès constituent parmi les premiers cas de poursuites engagées au niveau national contre des soldats pour des crimes liés au conflit.
Optimisme prudent
Les mécanismes de justice transitionnelle pourraient également apporter une réponse plus immédiate à la crise politique actuelle. En mars 2025, le gouvernement a arrêté le premier vice-président Riek Machar et d'autres dirigeants de l'opposition lors d'affrontements entre les forces gouvernementales et celles de l'opposition dans le Haut-Nil, l'Équatoria occidental et le Bahr el-Ghazal occidental. Parmi les défis à relever pour remédier à cette situation figure l'absence d'un homme d'État de haut niveau ayant l'envergure et l'influence nécessaires pour réunir les parties autour d'une table de dialogue. La CTRH, qui sera dirigée par un groupe de personnalités éminentes du Soudan du Sud et d'autres pays africains, pourrait jouer ce rôle en fournissant un ancrage moral dans un paysage polarisé, en favorisant le dialogue national, en apaisant les tensions et en aidant à tracer la voie vers des élections. Le lancement crédible et transparent de la CTRH et de la CRA pourrait également contribuer à restaurer la confiance du public dans le processus de paix, car de nombreux Soudanais du Sud sont désabusés par les retards répétés, les promesses non tenues et l'exclusion des victimes du discours national.
La justice transitionnelle n'est jamais facile. Il existe souvent une grande continuité entre les régimes en temps de guerre et ceux qui la suivent, et les motivations politiques sont rarement en parfaite adéquation avec l'impératif moral de réparer les abus passés. Aucun processus, qu'il s'agisse d'une commission vérité, d'un programme de réparations ou d'un tribunal spécial, ne peut à lui seul transformer la culture politique d'un pays. Néanmoins, ces mécanismes font partie des rares outils disponibles pour affronter un passé violent et commencer à construire un avenir plus juste. Dans le cas du Soudan du Sud, le déclin de l'engagement des donateurs pourrait imposer un changement nécessaire vers un processus de justice transitionnelle dirigé et tenu par les Sud-Soudanais eux-mêmes. La décision du gouvernement de promulguer une législation pour deux des trois institutions prévues dans l'accord de paix est un signe de progrès. Si un certain scepticisme est de mise, il y a également des raisons de croire que les acteurs nationaux peuvent tracer la voie à suivre s'ils bénéficient du soutien nécessaire. Les défenseurs des droits humains doivent aborder cette période avec un optimisme prudent. En collaborant de manière constructive avec les institutions émergentes et en encourageant des processus inclusifs et crédibles, nous pouvons aider le Soudan du Sud à sortir de la voie du conflit et de la guerre et à s'engager vers un avenir plus juste et plus équitable.
David K. Deng, avocat spécialisé dans les droits humains, mène des activités de recherche et de plaidoyer au Soudan du Sud depuis 2008. Son travail porte sur diverses questions, notamment le point de vue des citoyens sur les processus de paix et la justice transitionnelle, les droits fonciers et les approches locales en matière de sécurité et de justice.