Bangladesh : le procès Hasina démarre

Un an après la fuite de l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina du Bangladesh, son procès pour crimes contre l’humanité s’est ouvert devant le Tribunal des crimes internationaux du Bangladesh (ICT). Elle est accusée d’avoir violemment réprimé des manifestations antigouvernementales, qui ont fait « plus de 1.400 morts ».

Le procès de Sheikh Hasina démarre au Bangladesh. Photo : en août 2024, dans une rue de Dahka, des étudiants manifestent contre la cheffe de l’État dont un portrait est dessiné sur un mur en arrière-plan.
Fresque murale représentant Sheikh Hasina, l’ancienne Première ministre du Bangladesh, lors d'une manifestation réclamant qu’elle soit traduite en justice, près de l’université de Dhaka, le 12 août 2024. Un an plus tard, le 3 août 2025, son procès par contumace s’est ouvert devant le Tribunal des crimes internationaux du Bangladesh (ICT). Photo : © Luis Tato / AFP
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Le procès par contumace de Sheikh Hasina, l’ancienne Première ministre du Bangladesh, s’est ouvert le 3 août 2025 devant le Tribunal des crimes internationaux (ICT) du pays, établi à Dhaka. Hasina est accusée de crimes contre l’humanité en relation avec la répression sanglante des manifestations contre son gouvernement en juillet et début août 2024, qui a fait des centaines de morts.

Le ministère de la Santé du Bangladesh a confirmé une liste de plus de 800 personnes tuées pendant les manifestations, mais dans sa déclaration liminaire devant le tribunal, l’accusation a affirmé que plus de 1.400 personnes avaient été tuées « par les forces de sécurité de l’État et les cadres armés du parti au pouvoir ».

Hasina, qui a fui le Bangladesh dans l’après-midi du 5 août 2024, après que le chef d’état-major de l’armée lui ait dit qu’il ne pouvait pas garantir sa sécurité, est actuellement en exil en Inde. Elle a ignoré les requêtes officielles lui demandant de rentrer. Son ancien ministre de l’Intérieur, Asaduzzaman Khan Kamal, est également jugé par contumace puisque, comme Hasina, il a fui le Bangladesh. Le seul accusé présent à la barre est l’ancien inspecteur général de la police (IGP), Chowdhury Abdullah Al-Mamun, qui, avant le début du procès, a fait des aveux devant un magistrat et accepté de fournir des preuves contre ses co-accusés, ce qui pourrait lui permettre de bénéficier d’une réduction de peine.

À ce jour, 23 témoins appelés par l’accusation ont témoigné. La plupart d’entre eux ont été eux-mêmes blessés par balle par les forces de l’ordre, tandis que d’autres témoins sont des membres de la famille des personnes tuées par balle ou des membres du personnel médical.

Des « étudiants-manifestants innocents et non armés » pris pour cible

« L’accusation prouvera devant ce tribunal qu’en juillet et août 2024, le gouvernement au pouvoir de la Ligue Awami, dans le but de réprimer et de persécuter les mouvements pacifiques d’étudiants, de la population et de dissidents politiques, a pris pour cible des étudiants-manifestants innocents et non armés qui participaient au mouvement étudiant contre la discrimination », a déclaré le procureur général, Tajul Islam, dans sa déclaration liminaire devant une salle d’audience remplie d’avocats et de journalistes. 

Islam était autrefois l’un des principaux membres de l’équipe de défense juridique du parti Jamaat-e-Islami lorsque dix ans plus tôt, ses dirigeants ont été jugés devant l’ICT pour crimes de guerre commis pendant la guerre d’indépendance du pays en 1971. Poursuivant sa déclaration liminaire, désormais en tant que procureur général, Islam a déclaré que l’ancien gouvernement de la Ligue Awami avait mené « diverses formes d’attaques, de persécutions, de politiques répressives, d’arrestations massives, de harcèlement judiciaire, de menaces et de violences ». « Une politique répressive institutionnelle coordonnée a été mise en place avec la coopération des agences de sécurité et de renseignement de l’État », a-t-il déclaré, notamment la Direction générale du renseignement des forces armées, les services de renseignement de la sécurité nationale, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale, et la branche spéciale.

Les manifestants ont été identifiés à l’aide de drones, d’écoutes téléphoniques et de technologies de localisation, et des mesures répressives ont été prises, a ajouté Islam. « Simultanément, la Ligue Awami et ses organisations affiliées, la Ligue Chhatra et la Ligue Jubo [les branches étudiante et jeunesse de la Ligue Awami], ont déployé des cadres armés au niveau local pour identifier les manifestants. Sur la base de ces renseignements, les forces de l’ordre, en particulier la police et le Bataillon d’action rapide (RAB), ont mené des opérations de répression, des arrestations et des attaques violentes. »

Islam a fait valoir que « tous ces programmes ont été exécutés sous les ordres directs de la Première ministre autocratique de l’époque, Sheikh Hasina, et sous la supervision du ministre des Transports routiers et des Ponts de l’époque, Obaidul Quader, du ministre de l’Intérieur de l’époque, Asaduzzaman Khan Kamal, et du directeur général de la police de l’époque, Chowdhury Abdullah Al-Mamun, ainsi que d’autres dirigeants politiques, responsables fonctionnaires, leurs subordonnés et les forces de sécurité ». Obaidul Quader, qui n’a pas été arrêté et qui se trouverait également en Inde, n’est pas accusé dans ce procès, mais il est poursuivi dans une autre affaire devant l’ICT.

Le Tribunal pénal international pour le Bangladesh (ICT) s'apprête à juger Sheikh Hasina. Photo : Le procureur général de l'ICT, Mohammad Tajul Islam, est au centre d'un groupe d'hommes en costumes noirs, face à des micros, lors d'une conférence de presse.
Le procureur général du Tribunal pénal international pour le Bangladesh (ICT), Mohammad Tajul Islam (au centre), a annoncé dans sa déclaration liminaire à la cour que l’accusation va se concentrer sur « 11 incidents symboliques ». Photo : © Munir Uz Zaman / AFP

Des attaques « généralisées, systématiques et délibérément planifiées »

Le procureur général a déclaré que l’accusation se concentrerait sur « 11 incidents symboliques » qui, selon lui, ont été sélectionnés pour prouver chaque élément constitutif des crimes contre l’humanité tels que reconnus par le droit international. « À travers ces incidents, l’accusation démontrera que les attaques contre la population civile étaient généralisées, systématiques et délibérément planifiées », a-t-il déclaré à l’ICT. « Chaque incident servira de prisme à travers lequel le tribunal pourra voir comment des crimes tels que le meurtre, la persécution, la torture, la détention arbitraire et les violences sexuelles ont été commis de manière systématique et généralisée en utilisant l’ensemble de l’appareil d’État. »

Le procureur général a déclaré que « la force principale de l’accusation réside dans la puissance irréfutable des preuves directes », notamment « les déclarations enregistrées de l’ancienne Première ministre, les enregistrements audio et les diverses directives claires qu’elle a données pendant ces jours calamiteux ». Islam a souligné qu’il ne s’agissait pas de preuves circonstancielles, mais de « preuves indéniables et directes qui ouvrent une fenêtre rare et secrète sur les intentions et les plans des plus hautes sphères du gouvernement ».

« Les preuves qui seront présentées devant ce tribunal ne sont pas un ensemble de bribes éparpillées d’informations ambiguës mais une chaîne de la preuve solide et continue, où chaque élément renforce le suivant. L’ensemble de ces preuves - témoignages oculaires, enregistrements numériques, communications gouvernementales et rapports médico-légaux - est si clair et si puissant qu’il ne laisse aucune place au doute. Ces preuves sans équivoque et irréfutables prouveront sans l’ombre d’un doute les crimes de Sheikh Hasina et la culpabilité de ses coaccusés. »

À titre d’illustration, le procureur général a cité une conversation téléphonique enregistrée entre Hasina et son neveu, Sheikh Fazle Noor Taposh, ancien maire du quartier de Dhaka Sud, lors de laquelle elle dit avoir ordonné au RAB d’ouvrir le feu : « J’ai déjà donné l’instruction, c’est désormais l’instruction permanente, ils doivent désormais utiliser des armes létales. Partout où [ils] les rencontreront, [ils] tireront immédiatement. » 

Hasina, « la figure centrale » de tous les crimes

Selon le procureur général, les trois accusés, « depuis leurs positions de plus haute autorité, par le biais d’une entreprise criminelle commune et de leur responsabilité de commandement, ont ordonné à leurs forces subordonnées et aux cadres armés de leur parti de mener des attaques meurtrières à travers le pays ». Islam a déclaré qu’en tant que dirigeante autocratique, l’ancienne Première ministre Hasina « prenait seule toutes les décisions importantes ». « Ses subordonnés étaient toujours prêts à exécuter ses ordres, tant sur le plan politique qu’administratif », a-t-il déclaré.

« Le seul but des crimes contre l’humanité commis pendant le mouvement de juillet était de maintenir Sheikh Hasina au pouvoir. Elle était la figure centrale ou le noyau de tous ces crimes. Les autres accusés, qui travaillaient sous ses ordres, comprenaient que leur sécurité et leurs récompenses dépendaient du maintien au pouvoir de Sheikh Hasina », a-t-il affirmé, ajoutant que l’ex-ministre de l’Intérieur « avait le contrôle total des forces de l’ordre du pays » et que « toutes les décisions concernant la répression du mouvement étaient prises lors des réunions du “comité central” qui se tenaient dans sa résidence de Dhanmondi ».

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Mais les propos et les arguments du procureur général ne peuvent être entendus par Hasina, car l’ex-Première ministre n’est pas présente à son procès devant l’ICT. Les procès par contumace sont autorisés par la loi du Bangladesh, mais la plupart des tribunaux internationaux ne les autorisent pas et beaucoup les considèrent comme controversés. Dans sa déclaration liminaire, Islam a défendu la procédure par contumace en affirmant que l’absence des anciens ministres « ne peut pas et ne sera pas un obstacle à la garantie de la responsabilité pour les crimes commis ». Il a déclaré que Hasina et Kamal demeurent absents depuis longtemps, refusent ainsi de se soumettre à la juridiction du tribunal, et que « la fuite volontaire des accusés ou l’inaction d’un État étranger ne peuvent entraver la recherche de la vérité par ce tribunal et son devoir solennel de garantir la justice ». « Le bras de la justice est long, l’absence ou l’indifférence ne peuvent l’arrêter », a-t-il conclu.

« Mes yeux, mon nez et mon visage ont été touchés »

Le premier témoin à avoir déposé était Khokon Chandra Barman, un chauffeur de 23 ans dont une importante partie du visage a été touchée à la suite d’un tir. Le 5 août 2024, il marchait avec d’autres manifestants vers Dhaka et ils sont arrivés dans le quartier de Jatrabari, dans la capitale, peu après midi. Il a déclaré avoir vu « un membre de la BGB [garde-frontière du Bangladesh] tirer sur une personne. Il saignait comme si on avait abattu une vache. La balle est sortie du corps de cette personne et a touché une autre personne qui a également été blessée ».

Barman a déclaré que la foule avait ensuite appris que Hasina avait démissionné, mais qu’après le départ des militaires, des policiers sont sortis d’un commissariat et « ont commencé à nous prendre pour cible et à tirer sur nous ». À un moment donné, a-t-il dit, il s’est réfugié sous une bretelle de route surélevée. « Là, un policier m’a repéré et m’a tiré dessus, visant ma tête : mes yeux, mon nez et mon visage ont été touchés », a-t-il déclaré. L’accusation a ensuite montré une vidéo de Barman, allongé sur la route, faisant des gestes avec ses bras, quelques instants après avoir été touché.

Parmi les 23 témoins qui ont témoigné jusqu’à présent, un médecin de l’Institut national des neurosciences et de l’hôpital a déclaré au tribunal que pendant les manifestations, 167 personnes gravement blessées avaient été admises à l’hôpital, dont beaucoup avaient reçu des balles dans la tête. Il a ajouté que le 19 juillet 2024, des membres de la brigade criminelle de la police l’avaient mis en garde en lui demandant de ne pas soigner les victimes de coups de feu et de ne plus admettre d’autres patients blessés. « Le personnel de la brigade criminelle a lancé cet avertissement : “Ne faites pas preuve de zèle excessif. Vous vous exposeriez à des ennuis. Ne libérez pas les personnes déjà admises. Il y a des instructions venant d’en haut, et des poursuites judiciaires seront engagées contre elles” », a-t-il relaté.

La réaction de la Ligue Awami au procès

Le tribunal a désigné Amir Hossain, un avocat pénaliste chevronné, comme avocat de la défense pour représenter Hasina et Kamal. Il a reçu les preuves invoquées par l’accusation le 25 juin 2025, cinq semaines avant le premier jour du procès. Lorsqu’on lui a demandé si cinq semaines étaient suffisantes pour se préparer, il a répondu : « Si j’ai besoin d’un ajournement, je le demanderai ».

Une question se pose : Hossain sera-t-il en mesure de contre-interroger les témoins sur les « contradictions » entre leurs déclarations initiales aux enquêteurs et leurs témoignages devant le tribunal ? Le premier jour du procès, les juges de l’ICT ont donné raison à Islam en refusant à l’avocat de la défense le droit de contre-interroger les témoins, bien que ce type de contre-interrogatoire soit une pratique courante dans les tribunaux pénaux ordinaires du Bangladesh.

Quant au parti de la Ligue Awami, son porte-parole, Mohammad A. Arafat, a déclaré dans un communiqué public que le parti « rejette catégoriquement les accusations politiquement motivées portées contre ses dirigeants ». « Les événements de juillet dernier ont été tragiques et chaotiques. Les forces de l’ordre ont réagi à l’escalade de la violence collective avec les moyens dont elles disposaient. À ce moment-là, le gouvernement élu s’était effectivement effondré », a-t-il déclaré.

« Il est absurde de suggérer que Sheikh Hasina dirigeait les décisions tactiques en temps réel. Aucun dirigeant démocratiquement élu ne devrait être poursuivi pour avoir respecté ses devoirs constitutionnels face à une insurrection violente », a-t-il poursuivi, ajoutant que les actions de Hasina « étaient conformes à la Constitution et visaient à assurer la stabilité nationale ».

Le procès devrait durer plusieurs mois, mais le gouvernement a indiqué qu’il s’attendait à ce qu’un jugement soit rendu avant les élections nationales prévues en février 2026. L’accusation a annoncé qu’elle appellerait au total 40 témoins à comparaître, tandis que la défense n’a pas encore communiqué de chiffre. S’ils sont reconnus coupables, Hasina et son coaccusé Kamal pourraient être condamnés à mort, peine applicable au Bangladesh. L’autre accusé, Al-Mamun, sera plus probablement condamné à une peine de prison.

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