Hasina ? « Son crime dépasse celui de tous les criminels de la terre »

À l’issue d’un procès par contumace qui a duré près de trois mois, le procureur du Tribunal des crimes internationaux du Bangladesh a requis la peine de mort à l’encontre de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina, pour avoir causé « la mort d’environ 1 400 personnes » en réprimant les manifestations de juillet 2024 qui ont conduit à sa chute.

Le procès de Sheikh Hasina (par contumace) se déroulait à Dhaka au Bangladesh.
L’ex-Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina. Actuellement en fuite en Inde où elle s'est réfugiée après d’importantes manifestations contre son régime réprimées dans le sang, son procès in absentia s'est achevé la semaine dernière à Dhaka. Photo : © Ludovic Marin / AFP
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« Sheikh Hasina est le noyau et la force vive du crime, et son crime surpasse celui de tous les criminels de la terre. Par conséquent, cette force vive doit être punie et le noyau doit être détruit. Je demande donc la peine maximale prévue par la loi », a déclaré Tajul Islam, le procureur général, devant le Tribunal des crimes internationaux du Bangladesh (ICT) dans son réquisitoire final, le 16 octobre dernier.

Islam, qui a dirigé l’accusation durant tout le procès, a également demandé au tribunal d’imposer une peine similaire à l’ancien ministre de l’Intérieur Asaduzzaman Khan Kamal, qu’il a estimé être « tout aussi coupable ». « Les décisions concernant le déploiement et les instructions à donner à la police et aux autres forces de l’ordre ont été prises principalement lors de réunions tenues chaque soir à la résidence d’Asaduzzaman Khan, ancien ministre de l’Intérieur et président du comité central [du parti au pouvoir] », a déclaré Islam.

Le procès pour crimes contre l’humanité s’est déroulé en l’absence des deux principaux accusés, qui se seraient tous deux réfugiés en Inde.

Leur avocat commis d’office a déclaré à la cour, mardi dernier 21 octobre, que ses deux clients étaient innocents et devaient être acquittés. « Il est allégué que mes clients ont donné des ordres, facilité, aidé, été complices et conspiré, ce qui a permis la commission de crimes contre l’humanité, dont ils avaient connaissance et qu’ils ont sciemment perpétrés », a déclaré Amir Hossain. « C’est là l’allégation principale. Je nie tout cela. Mes clients n’ont commis aucun crime de ce type. »

En ce qui concerne le seul accusé présent au procès, l’ancien inspecteur général de police Chowdhury Abdullah Al Mamun, qui a plaidé coupable et témoigné contre ses coaccusés, le procureur général a suggéré une peine plus clémente. « Si la cour estime qu’il a dit la vérité et tout révélé, [elle] peut rendre le verdict qu’elle juge approprié », a-t-il indiqué.

« Attaque généralisée et systématique » contre des manifestants

L’accusation a allégué que les trois hommes avaient commis cinq crimes contre l’humanité.

Le premier concernait les propos tenus par le Premier ministre le 14 juillet 2024, avant que les meurtres n’aient lieu, qualifiant les manifestants de « Razakars » (du nom des collaborateurs pro-pakistanais pendant la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971), ce qui incitait à les attaquer. Le deuxième concernait la planification et l’utilisation d’armes mortelles, de drones et d’hélicoptères pour tuer des manifestants. Le troisième concernait le meurtre de l’étudiant Abu Sayeed à l’université de Rangpur, dans le nord du pays, le 16 juillet. Le quatrième concernait le meurtre, dans la matinée du 5 août, de six hommes à Chankerpur, dans la capitale Dhaka. Et le cinquième concernait le meurtre, le même jour, de six autres hommes à Ashulia, juste à l’extérieur de Dhaka, et l’incinération de leurs corps.

L’accusation a fait valoir que chacun de ces incidents s’inscrivait dans le cadre d’une attaque « généralisée et systématique » « dirigée contre la population civile ». Pour prouver le caractère « généralisé » de l’attaque, Islam a souligné le nombre élevé de personnes tuées, estimé à 1 400 selon un rapport d’enquête des Nations unies, et le fait que les meurtres aient eu lieu dans tout le Bangladesh. Il a également fait valoir que l’attaque était « systématique » car elle impliquait « le même groupe d’auteurs » qui avaient mené des attaques « similaires » en utilisant le même type d’armes et de munitions, les autorités « refusant de prodiguer des soins médicaux » aux victimes blessées.

« Les témoins à charge ont systématiquement déclaré que les membres armés de la Ligue Awami, de la Ligue Jubo et de la Ligue Chhatra [les branches jeunesse et étudiante de la Ligue Awami] avaient participé avec la police aux attaques contre les étudiants et les civils », a déclaré Islam à la cour. Cela « démontre la nature organisée des actes de violence et un schéma identifiable dans la commission des crimes. De plus, le fait que les forces de l’ordre et les membres du parti au pouvoir aient collaboré pour attaquer la population civile est un indicateur fort d’une action coordonnée et organisée. Il ne s’agissait pas d’un acte de violence aléatoire et spontané commis par un seul groupe, mais d’une opération conjointe menée par les forces de l’État, un parti politique et sa branche étudiante, ce qui suggère une politique planifiée de violence à l’encontre des manifestants. »

Ordre d’utiliser des armes létales

Le témoignage donné à l’ICT le 2 septembre par l’ancien inspecteur général de la police a été important pour l’accusation.

Chowdhury Abdullah Al Mamun a déclaré à la cour que, le 18 juillet 2024, « le ministre de l’Intérieur Asaduzzaman Khan Kamal m’a appelé et m’a informé que la Première ministre Sheikh Hasina avait donné l’ordre d’utiliser directement des armes létales pour réprimer le mouvement. À ce moment-là, j’étais présent au quartier général de la police, et le DIG [inspecteur général adjoint] Proloy Joarder était présent. Lorsque j’ai informé Proloy Joarder de l’instruction donnée par la Première ministre, il a quitté ma salle et a transmis cette instruction à la DMP [police métropolitaine de Dhaka] et à l’ensemble du pays. » Il a ajouté que « l’utilisation d’armes létales a commencé ce jour-là ».

L’ancien chef de la police bangladaise a ensuite admis que « d’innombrables étudiants et membres du public ont été blessés et tués pendant le mouvement par l’utilisation de drones, d’hélicoptères et d’armes létales. Outre les forces politiques de la Ligue Awami, des intellectuels, des journalistes, des travailleurs culturels et des hommes d’affaires alignés sur la Ligue Awami ont encouragé le gouvernement à réprimer le mouvement. »

À la fin de son témoignage, Mamum a expliqué pourquoi il avait témoigné : « En tant que chef de la police, j’ai honte, je regrette et je présente mes excuses pour l’usage excessif de la force contre les manifestants, qui a entraîné des blessures et des morts, sous les ordres du gouvernement. »

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« Certains incidents ont pu se produire »

L’avocat commis d’office Hossain a remis en question le fondement de l’accusation. « Lorsque l’accusation parle de « répandue », cela devrait signifier l’ensemble du Bangladesh », a-t-il déclaré à la cour. « Si elle était vraiment répandue, il aurait dû y avoir au moins deux témoins par district, et leurs témoignages auraient dû être corroborés. Par conséquent, on ne peut pas parler de répandue. » Il a également fait valoir que les vidéos montrant des personnes se faisant tirer dessus, présentées à la cour par les procureurs, étaient « générées par l’IA ».

Il a remis en question la crédibilité de l’ancien inspecteur général de la police. « Il a rejeté la responsabilité sur d’autres pour dissimuler ses propres fautes. Tout ce qu’il a dit n’était que sa propre version », a déclaré l’avocat. Me Hossain affirme aussi que le magistrat à qui Mamun a fait ses aveux « ne lui a jamais expliqué les conséquences juridiques » de ses déclarations.

Pour Me Hossain, les drones ont été utilisés pour « voir dans quelles zones la foule était la plus nombreuse, où elle pouvait causer le plus de dégâts aux biens publics et entraîner le plus de pertes humaines et matérielles ». « Pour contrôler un mouvement de protestation en cours, l’utilisation de drones ne signifie pas que ceux-ci ont été utilisés pour tirer. Cela ne signifie pas que des bombes ont été larguées depuis les drones sur les manifestants. Ce n’est pas cela qui s’est passé. »

Il a toutefois reconnu que « certaines personnes sont mortes ». En essayant de contrôler le mouvement de protestation, « certains incidents ont pu se produire. Il n’est pas juste de penser que ces incidents se sont produits sur les instructions de Sheikh Hasina et d’Asaduzzaman Kamal ». L’avocat a également souligné que Hasina avait pris des mesures pour enquêter sur ces décès, en mettant en place une commission d’enquête.

« Je déclare que Sheikh Hasina, en tant que supérieure hiérarchique, n’a pas conspiré, n’a pas planifié de conspiration et n’a donné aucune instruction directe, à la suite de quoi l’utilisation généralisée et systématique d’armes mortelles, les meurtres, les tentatives de meurtre, les tortures, les actes inhumains et autres crimes contre l’humanité ont été commis. »

Après que l’avocat de la défense eut présenté ses conclusions, le procureur général du Bangladesh, Md. Asaduzzaman, s’est adressé à la cour : « Si nous ne pouvons pas garantir la justice, le peuple bangladais restera lâche et sans caractère dans les ruines de l’histoire », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il s’attendait à la voir prononcer « la peine maximale ».

Le 13 novembre prochain, la cour annoncera la date à laquelle elle rendra son jugement.

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