Rwanda: les rescapés dénoncent une conclusion « honteuse » du parquet français

Rwanda: les rescapés dénoncent une conclusion « honteuse » du parquet français©Pierre Boussel/AFP
Photo d'archive de Wenceslas Munyeshyaka (à gauche) en 1994 à Kigali
2 min 58Temps de lecture approximatif

« C’est une honte que les témoignages des nôtres n’aient pas été pris en considération. Nous, nous savons que ce qu’on raconte sur lui est vrai ». C’est en ces termes que le président de la principale organisation de survivants du génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda, Jean-Pierre Dusingizemungu, a dénoncé le non-lieu requis par le procureur en France dans le dossier de l’ancien vicaire à la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali, l’abbé Wenceslas Munyeshyaka.

Après vingt ans d’enquête, le parquet a requis un non-lieu pour ce prêtre catholique rwandais dont le dossier avait été confié à la France par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

Agé de 57 ans, l’abbé a été accueilli en France peu après le génocide des Tutsis de 1994 et officie aujourd'hui dans une paroisse du nord-ouest du pays.

Pour le président d’Ibuka (souviens-toi, en langue rwandaise), une telle décision vise à saper le moral des survivants. « Ils ne peuvent se refaire une vie si justice n’est pas rendue », a déclaré Jean-Pierre Dusingizemungu au journal rwandais en ligne Igihe.com (Le Temps, en langue rwandaise).

Cet universitaire rwandais, qui s’exprimait en kinyarwanda, a annoncé que les rescapés étaient prêts à prouver aux différentes institutions, dont les institutions judiciaires françaises, « qu’ils ne sont pas contents de ce comportement du procureur français qui ne vise qu’à blesser les survivants ».

Poursuivi en France pour génocide dès 1995 et condamné par contumace au Rwanda en 2006, l’homme d’église avait été également poursuivi par le TPIR. Fin 2007, le Tribunal international a transféré son dossier, ainsi que celui de l’ancien préfet de Gikongoro (sud), Laurent Bucyibaruta, à la justice française.

Le parquet de Paris justifie le non-lieu essentiellement par une insuffisance de charges précises.

Il appartient désormais aux juges d'instruction du pôle spécialisé dans les crimes contre l'humanité d'ordonner ou non son renvoi devant une cour d'assises.

Dans un éditorial publié vendredi, le quotidien progouvernemental rwandais, New Times, exhorte « les survivants et le peuple rwandais en général à tirer des forces de telles injustices et à construire un meilleur pays pour eux-mêmes et les futures générations ».

« Beaucoup de présumés génocidaires circulent encore librement dans des villes européennes sans crainte d’être poursuivis », écrit le quotidien en anglais. « Cette inaction inexpliquée a renforcé la détermination des Rwandais à ne pas trop compter sur qui que ce soit pour exorciser les démons de 1994 », ajoute le journal qui accuse des pays occidentaux de « carrément protéger et garder des tueurs dans leurs arrière-cours ».

 

« Notre premier sentiment, est la stupéfaction »

 

Le procureur de la République de Paris, François Molins, reconnaît, dans un communiqué cité mercredi par l’AFP, que le rôle de l’abbé Munyeshyaka « a pu susciter de très nombreuses interrogations en raison, notamment, de son comportement mais aussi (de ses) propos ».

Mais, poursuit le magistrat, « l'instruction n'a pas permis, au final, de corroborer de façon formelle des actes précis et certains (de sa) participation active » aux massacres, comme auteur ou complice.

 L’homme d’église, qui était connu pour circuler armé et protégé par un gilet pare-balles dans sa paroisse, a toujours clamé son innocence, assurant avoir fui Kigali car les miliciens hutus lui « reprochaient d'avoir protégé les Tutsis ».

Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association française, a été le premier à s’indigner de ce non- lieu.

« Notre premier sentiment, est la stupéfaction. De nombreux témoins rescapés de l'église de la Sainte Famille à Kigali ont accusé l'abbé Munyeshyaka d'avoir été un acteur actif dans le génocide des Tutsis », a affirmé, dans un communiqué, Alain Gauthier, président du Collectif. 

Pour sa part, Maître Jean-Yves Dupeux, a, une fois de plus clamé l’innocence de l’homme qu’il défend depuis des années. « Il a fait tout ce qu'il a pu pour accueillir 18.000 personnes à la Sainte-Famille durant cette période épouvantable et il a plus ou moins bien, mais plutôt bien que mal, géré les ravitaillements, les protections et les évacuations », a déclaré l’avocat à l'AFP.

Selon l’acte d’accusation du TPIR qui s’était dessaisi de l’affaire au profit de la justice française, Munyeshyaka aurait participé à des réunions de planification des massacres et livré des civils tutsis aux milices hutus, les Interahamwe. Il aurait par ailleurs lui-même abattu trois jeunes Tutsis et encouragé ou commis des viols, ce qu’il a toujours nié en bloc.